La réalité virtuelle peut combattre l’isolement avec crainte et empathie sur Terre et dans l’espace
Il faut sept mois pour atteindre Mars dans un vaisseau spatial efficacement conçu, couvrant la distance de 480 millions de kilomètres. Au cours de ce voyage, un équipage devrait survivre dans un espace confiné sans possibilité de découvrir la nature ou d’interagir avec de nouvelles personnes. Il est facile d’imaginer à quel point cet isolement pourrait avoir un impact sévère sur le bien-être et la productivité des équipages.
Les défis rencontrés par les voyageurs spatiaux de longue durée ne sont pas étrangers aux gens ordinaires, bien qu’à un degré moindre. De nombreux Canadiens vivent l’isolement et la solitude, au moins occasionnellement.
L’épidémie de solitude pourrait être atténuée par un mariage improbable entre la recherche spatiale, la réalité virtuelle (VR) et la science des expériences auto-transcendantes.
Les blocages de COVID-19 ont créé un environnement pour la plus grande étude d’isolement de l’histoire de la recherche. Les ordonnances de séjour à domicile nous ont empêchés de rencontrer d’autres personnes et de découvrir la nature, ce qui a augmenté les taux de solitude et de dépression.
Se sentir seul et isolé est associé à un large éventail de conséquences négatives pour notre bien-être, notre santé physique et cognitive. Le sentiment de connexion est d’une importance cruciale pour une vie heureuse, saine et pleine de sens.
Isolement simulé
Compte tenu des risques associés à l’isolement, les agences spatiales mènent des études de simulation à grande échelle pour étudier et atténuer ces effets. SIRIUS (Scientific International Research in Unique Terrestrial Station) est une série d’expériences d’isolement à terre simulant un vol spatial à long terme.
Il est plus sûr et moins coûteux d’effectuer des simulations à terre pour évaluer les effets de l’isolement sur l’équipage. Cela permet également aux agences spatiales de tester l’efficacité de solutions potentielles pouvant soutenir la santé physique et mentale de l’équipage lors de vols spatiaux de longue durée, comme un voyage sur Mars.
SIRIUS-21 est une étude d’isolement de huit mois à Moscou qui commence le 4 novembre 2021. Un équipage multinational de six personnes se rendra dans une installation spéciale, appelée NEK, modélisant un vaisseau spatial construit dans les années 1960 et y restera pendant 240 jours, en participant à 70 expériences préparées par des équipes de recherche internationales.
Pour explorer les possibilités de soutenir les futurs astronautes dans leurs voyages extraplanétaires, iSpace Lab de l’Université Simon Fraser a collaboré avec un groupe de recherche de l’Universittsmedizin Charit à Berlin pour créer une expérience de réalité virtuelle conçue pour susciter des sentiments de connexion.
Expériences au-delà de soi
Les expériences auto-transcendantes sont un ensemble de phénomènes et d’états émotionnels associés qui se caractérisent par un sentiment accru d’interconnexion avec le monde. La crainte est un type particulier d’émotion auto-transcendante qui peut être ressentie lorsque l’on est témoin de quelque chose de plus grand que soi, comme se tenir au sommet d’une montagne, impressionné par l’immensité d’un paysage au-delà de son horizon ou assister à une nuit étoilée claire. La crainte soutient non seulement notre bien-être, mais nous rend également plus compatissants et pro-sociaux, et améliore même notre santé physique.
Bien que nous soyons émerveillés par de nombreuses expériences dans la nature, les pratiques spirituelles et la culture, il faut parfois se rendre dans un site impressionnant, comme le Grand Canyon, pour en faire l’expérience. Vivre dans l’isolement limite inévitablement nos possibilités de ressentir la crainte.
Ma recherche doctorale étudie le potentiel des technologies immersives comme la réalité virtuelle pour susciter des sentiments de connexion et favoriser le bien-être. Avec mes collègues d’iSpaceLab, nous avons produit une expérience de 30 minutes d’observation de la Terre en réalité virtuelle où les participants sont immergés dans une scène de nature.
À travers le voyage qu’ils vivent : contempler les nuages, regarder un coucher de soleil sur un canyon en compagnie d’animaux sauvages, observer des aurores dans le ciel nocturne, assister à Mars s’élever à l’horizon et voler à travers l’espace en rencontrant une éclipse solaire. Enfin, les participants gravitent autour de la Terre, réfléchissant à l’interdépendance de toute vie sur notre planète. Ce voyage virtuel s’inspire de l’Overview Effect, une expérience profonde que vivent les astronautes lorsqu’ils sont témoins de la beauté et de la fragilité de la Terre depuis l’espace.
Nous aurons l’occasion d’étudier la réponse à notre expérience Earthgazing VR à Moscou. L’équipage SIRIUS-21 vivra cette expérience de réalité virtuelle tout au long de sa mission et enregistrera ses effets sur sa santé physique et psychologique, son niveau de stress, son état émotionnel et son sentiment de connexion.
L’été prochain, notre équipe de recherche collectera des informations supplémentaires lorsque l’équipage sortira et en apprendra davantage sur notre expérience VR conçue et son potentiel pour les vols spatiaux.
La puissance de la réalité virtuelle
Notre expérience de réalité virtuelle pourrait être bénéfique pour atténuer les effets de l’isolement. La réalité virtuelle, bien que souvent présentée comme une technologie isolante, a été explorée comme un outil pour susciter des connexions. Il y a un intérêt croissant et une expérimentation créative sur la façon dont la technologie immersive pourrait apporter des expériences positives qui pourraient nous connecter, plutôt que de nous enfermer dans nos réalités individuelles séparées.
Dans notre laboratoire, nous avons observé que les expériences de vol autour de la Terre en réalité virtuelle peuvent entraîner des expériences de crainte (observées dans la chair de poule visible sur les bras des participants), ainsi que des descriptions subjectives de la crainte, de la connexion et du changement de perspective.
Des chercheurs de l’Université catholique du Sacré-Cœur de Milan ont également signalé que les paysages impressionnants de montagnes et de cascades expérimentés en réalité virtuelle produisent une augmentation statistiquement significative des émotions positives. La réalité virtuelle pourrait également favoriser les émotions sociales auto-transcendantes, telles qu’une expérience de méditation virtuelle qui invite deux utilisateurs à synchroniser leur respiration et leurs ondes cérébrales, favorisant ainsi la compassion.
Une autre étude récente a exploré le potentiel d’un voyage en réalité virtuelle inspiré des psychédéliques pour susciter des qualités d’expérience auto-transcendantes, y compris un niveau accru de connectivité.
Ce corpus croissant de recherches reflète la promesse des RV d’aider à atténuer les effets négatifs de l’isolement. Bien sûr, il existe d’autres moyens de faire l’expérience de la connexion que de mettre un casque VR, comme aller dans la nature ou passer du temps de qualité avec des amis. Mais en l’absence de ces opportunités, la réalité virtuelle pourrait fournir un coup de pouce nécessaire aux émotions auto-transcendantes.