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Une France divisée à cause d’un héros national

Lors d’une cérémonie solennelle, la France a rendu hommage mercredi à Robert Badinter, l’avocat et ancien ministre de la Justice venu représenter la conscience de la nation, mais des conflits politiques aigus ont brisé toute démonstration d’unité.

La famille de M. Badinter, un socialiste de toujours qui a mené la campagne ayant abouti à l’abolition de la peine capitale en France en 1981, a exigé que ni le parti d’extrême droite du Rassemblement national de Marine Le Pen, ni le parti d’extrême gauche France Insoumise fondé par Jean-Luc Mlenchon, soit autorisé à assister à la cérémonie. M. Badinter est décédé vendredi.

À eux deux, les deux partis détiennent environ 30 pour cent des sièges à l’Assemblée nationale, ou chambre basse du Parlement. Une cérémonie conçue pour célébrer l’incarnation de l’âme de la France par un homme a plutôt révélé un pays fissuré dont l’identité et les valeurs essentielles sont contestées.

Mme Le Pens Rassemblement National, anciennement Front National, a épousé bon nombre des opinions les plus détestées par M. Badinter : antisémitisme, xénophobie, rejet de l’unité européenne, de sorte que la demande de la veuve de M. Badinter, Lisabeth Badinter, était peut-être prévisible. Le parti a dûment respecté ses souhaits.

Mais la sévère réprimande adressée à M. Mlenchon, qui, en tant que camarade socialiste, a siégé aux côtés de M. Badinter au Sénat pendant de nombreuses années, était une indication frappante de l’éclatement de la gauche en France et de l’éclipse des opinions sociales-démocrates modérées adoptées par l’ancien ministre de la Justice. Le Parti socialiste est en fort déclin depuis qu’Emmanuel Macron, centriste, a bouleversé les alignements traditionnels en 2017 et est devenu président.

M. Mlenchon, qui, en tant que candidat de France Insoumise, s’est classé troisième au premier tour du scrutin présidentiel en 2022, n’a pas bien réagi.

Un hommage national dont une partie du peuple français est exclue n’est pas un hommage national, a-t-il déclaré sur X, anciennement Twitter. La République est une et indivisible.

Le parti a insisté pour envoyer deux hauts représentants à la cérémonie contre la volonté de Mme Badinter, mais M. Mlenchon n’y a pas assisté. Sabrina Agresti-Roubache, une jeune membre du gouvernement centriste français, a dénoncé la présence du parti comme faisant preuve d’un manque absolu de décence.

Le cercueil de M. Badinter, drapé du drapeau français, a été transporté place Vendôme, dans le centre de Paris, par six membres en uniforme de la Garde républicaine, sous le regard du président Macron. Le site, qui n’avait jamais été utilisé pour une telle cérémonie, a été choisi parce que M. Badinter a travaillé cinq ans sur la place lorsqu’il était ministre de la Justice.

C’était une âme qui criait, une force qui vit et sauve la vie des mains de la mort, a déclaré M. Macron.

C’est le 17 septembre 1981 que M. Badinter tonnait devant le Parlement des paroles qui ont marqué l’histoire de France : J’ai l’honneur de réclamer, au nom du gouvernement de la République, l’abolition de la peine de mort en France. Les exécutions se faisaient encore à l’époque par guillotine, comme c’était le cas depuis la Révolution française.

M. Badinter était le fils d’immigrants juifs d’Europe de l’Est. Son père a été déporté de Lyon, en France, vers un camp d’extermination nazi en 1943 et n’est jamais revenu. M. Badinter s’est séparé de M. Mlenchon sur ce qu’il percevait comme les positions extrémistes de La France Insoumise.

Il était particulièrement troublé par son flirt avec l’islam politique, qui a attiré un fort soutien à la France insoumise dans les banlieues pauvres comptant d’importantes populations musulmanes d’origine principalement nord-africaine.

Je n’aurais jamais cru que l’antisémitisme allait disparaître, jamais, avait déclaré M. Badinter au magazine Challenges l’année dernière. J’ai toujours pensé que cela reviendrait sous une forme ou une autre. L’Islam politique n’est qu’une variante, et non une nouveauté. Ce qui me trouble, c’est cette alliance entre l’islam politique et une partie de la gauche, une gauche à la recherche d’un nouveau prolétariat puisque la plupart des travailleurs votent désormais pour le Rassemblement national et Le Pen.

Cette variante de gauche, M. Mlenchons, s’était détournée des Lumières et de l’universalisme pour adopter des formes de politique identitaire, a soutenu M. Badinter.

Sa veuve, philosophe, était plus directe. Mme Badinter a déclaré l’année dernière à LExpress, un hebdomadaire, que M. Mlenchons France Unbowed porte une énorme responsabilité dans la montée de l’antisémitisme. Le parti a encouragé le pire dans toute une partie de notre jeunesse en présentant les musulmans français comme les victimes par excellence de notre société, a-t-elle déclaré.

M. Mlenchon a nié toute suggestion selon laquelle il serait antisémite, une accusation portée contre son parti par l’ancienne Première ministre Lisabeth Borne, après avoir tergiversé sur l’attaque du Hamas contre Israël le 7 octobre, accusant chaque camp de manière égale pour la violence.

M. Mlenchon a depuis soutenu que la réponse militaire israélienne à Gaza n’était pas de la légitime défense mais un génocide, comme il l’a dit l’année dernière à Orient XX1, un magazine en ligne axé sur les mondes arabe et musulman.

M. Macron s’est engagé à être fidèle aux leçons et à l’engagement de M. Badinter, en dénonçant les antisémites, les négationnistes de l’Holocauste et ceux qui menacent l’État de droit. Il a suggéré qu’il serait favorable à l’intronisation de M. Badinter au Panthon, le tombeau sacré des héros du pays.

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