Un agitateur d’extrême gauche français : prêt à gouverner ?
Emphatique, pugnace et exigeant : le style était au rendez-vous dans le discours du leader d’extrême gauche Jean-Luc Mélenchon devant une foule enflammée de milliers de personnes célébrant sa victoire aux élections législatives françaises de dimanche.
Devant ses partisans dans le 20e arrondissement de Paris, quartier populaire, M. Mlenchon s’est adressé au président Emmanuel Macron, et pas poliment. Le président devrait démissionner ou nommer l’un d’entre nous Premier ministre, a-t-il déclaré.
D’autres dirigeants de gauche ont déclaré qu’il fallait débattre de l’avenir du pays. Pas celui-là. La foule a hurlé dimanche.
Le ton et la ligne dure de M. Mlenchon lui ont valu un public jeune et dévoué, le seul dirigeant de gauche à en posséder un, et l’ont rendu à la fois adoré et détesté, marginalisé et central dans la politique française. Les Français sont plus nombreux à avoir une opinion négative de lui (73 %) que de Marine Le Pen, la dirigeante du Rassemblement national d’extrême droite. Mais il attire aussi de larges foules qui l’écoutent attentivement, comme ce fut le cas dimanche.
Il est désormais au centre des débats sur l’avenir de la France : son gauchisme ou la forme atténuée représentée par ses détracteurs au sein de la coalition de gauche victorieuse, le Nouveau Front populaire. Son parti, La France insoumise, a remporté le plus grand nombre de sièges au Parlement, 75, au sein de la coalition.
Il a déclaré que la personne choisie pour diriger le gouvernement devait être lui-même. Contrairement aux autres dirigeants de gauche, il s’est rapproché de la présidence, passant presque au second tour il y a deux ans. Il a déclaré sur France 5 le 22 juin qu’il était très clairement prêt à être Premier ministre. « J’ai l’intention de gouverner ce pays », a-t-il déclaré.
C’est une perspective que même les membres de la coalition de M. Mlenchon, méfiants à l’égard de ce qui est considéré comme son extrémisme intermittent, ont juré de ne jamais voir se réaliser. S’il veut vraiment aider le Nouveau Front populaire, il devrait se mettre à l’écart, a déclaré il y a deux semaines François Hollande, l’ancien président aux manières douces, socialiste et désormais député nouvellement élu. Il devrait simplement se taire.
Il ne le fera pas, et c’est à la fois une source de son soutien et son problème majeur avec les autres membres de la coalition de gauche qui menace presque immédiatement de se fracturer malgré sa victoire serrée de dimanche.
« Le problème, c’est que lorsque le président cherchera un nouveau gouvernement, les autres ne voudront pas de M. Mlenchon », a déclaré Gérard Grunberg, politologue et directeur de recherche émérite au Centre national de recherche scientifique. « Il rend impossible une véritable union de la gauche. Il est très provocateur. La gauche est totalement désunie. »
Pour l’heure, la France est sans gouvernement et on ne sait pas comment elle va en avoir un. Aucun parti ni aucune alliance n’a obtenu la majorité aux élections. Malgré cela, a déclaré dimanche M. Mlenchon, nous n’allons pas annuler une page ou une virgule de notre programme.
Ce programme est une vision économique redistributionniste, égalitaire et hostile au capitalisme, inspirée en grande partie du programme présidentiel 2022 de M. Mlenchon.
Dimanche, il a parlé des plans économiques de la coalition comme s’il en était le propriétaire : augmentation du salaire minimum mensuel après impôts de 1 398 à 1 600 euros (soit environ 1 700 dollars contre 1 500 dollars environ). Décrétons-le, a déclaré M. Mlenchon ; gel des prix de la nourriture, de l’énergie et du carburant ; 162 milliards de dollars d’impôts pour les riches. D’autres éléments comprennent des paiements aux ménages pour les coûts associés à l’éducation de leurs enfants. La droite, et M. Macron, ont critiqué ce plan, estimant qu’il ajouterait un fardeau fiscal insupportable à un pays déjà profondément endetté.
M. Mlenchon n’a même pas eu besoin d’évoquer un autre élément emblématique de la plateforme de la gauche : la retraite à 60 ans !, a commencé à scander spontanément la foule jeune.
Il est difficile d’imaginer que M. Macron nomme Mlenchon Premier ministre. Ils ne sont pas fans l’un de l’autre. M. Macron a comparé le mouvement politique de gauche au Rassemblement national d’extrême droite. M. Mlenchon est heureux de lui retourner le compliment.
Sous sa direction, la France est devenue un exemple mondial de violence policière et d’abus de pouvoir au sein d’un régime qui est censé être démocratique, a écrit M. Mlenchon à propos du président dans son livre de 2023, We Can Do Better! Toward a Citizen Revolution, qui n’a pas été traduit.
Emmanuel Macron traîne les pieds, a déclaré mardi M. Mlenchon à son arrivée à l’Assemblée nationale. Il fait traîner les choses pour s’accrocher au pouvoir le plus longtemps possible.
M. Mlenchon se bat avec les médias, s’en prend à des journalistes individuels, professe une haine pour les États-Unis et un amour pour les dictateurs latino-américains de gauche dont il partage la prolixité. Il a fait l’éloge des régimes autoritaires de Chine, de Cuba et du Venezuela. « Les Yankees représentent tout ce que je déteste », déclarait-il au Monde en 2011. Un empire prétentieux et arrogant, composé d’ignorants, de dirigeants pitoyables.
Ancien trotskiste, sénateur de longue date de la banlieue parisienne et ancien ministre du gouvernement du pragmatique Premier ministre socialiste Lionel Jospin, M. Mlenchon est un lecteur de Faulkner qui a quitté les socialistes en 2008 pour fonder son propre parti, allant de plus en plus à gauche.
Il refuse de condamner le Hamas comme organisation terroriste, s’est publiquement battu avec les dirigeants d’organisations juives en France et est régulièrement accusé d’antisémitisme, ce qu’il nie. Il fait parfois circuler des insinuations qui sont des stéréotypes, déclarant par exemple qu’un ancien ministre de l’Economie juif, Pierre Moscovici, ne pensait pas français mais finance internationale.
Il y a au moins une ambiguïté qui favorise l’antisémitisme, a déclaré M. Grunberg.
Patrick Weil, politologue lui aussi, est du même avis : « Il y a des limites à Mlenchon. Il est considéré par une grande partie de la population comme dangereux et antisémite. »
Lorsque M. Mlenchon a déclaré dimanche que la priorité absolue serait de reconnaître le plus rapidement possible l’État de Palestine, la foule a crié « Palestine libre ». Comme lors des autres rassemblements de Mlenchon, les keffiehs et les drapeaux palestiniens étaient bien visibles.
L’un de ses héros de longue date est Maximilien Robespierre, le plus sanguinaire des révolutionnaires français, et pendant la campagne, il a montré son propre côté autoritaire, en purgeant cinq membres de son parti La France insoumise qui avaient souvent été en désaccord avec lui. Notre démocratie mérite mieux que ce que vous, François Ruffin, un député indépendant et membre du parti qui ne faisait pas partie de ceux qui ont été purgés, a posté sur les réseaux sociaux.
Il a pourtant une formule économique populiste pour séduire les jeunes démunis, une hostilité féroce envers Israël pour séduire les musulmans de la classe ouvrière française des banlieues, un discours anti-américain et anti-européen et une position pro-immigrés qui s’est avérée gagnante lors de cette élection. Beaucoup de ceux qui l’ont acclamé dimanche étaient d’origine arabe ou africaine. Le peuple français n’est pas une religion, pas une couleur de peau, a déclaré M. Mlenchon.
C’est le rare homme politique français qui parle avec enthousiasme de l’immigration, employant le terme de créolisation pour décrire son pays, comme il l’a fait dimanche. C’est très positif, a dit M. Weil. Il intègre dans la citoyenneté des jeunes d’origine maghrébine et africaine. Il dit que la France est devenue un melting-pot. C’est super important.
C’est l’une des nombreuses raisons qui lui ont valu des soutiens. Lundi, l’une des dirigeantes de La France insoumise, Mathilde Panot, a déclaré à la radio RTL que M. Mlenchon n’était absolument pas disqualifié pour être Premier ministre.
On pouvait entendre dans son discours de dimanche soir des échos de son héros Robespierre, qui présida à la Terreur pendant la Révolution française.
Le gouvernement du Nouveau Front Populaire n’aura d’autre autorité que celle que le peuple lui donnera, a-t-il dit, une phrase qui aurait pu être écrite il y a 230 ans par Robespierre, un homme qui n’a cessé de proclamer que le peuple était la seule source de l’autorité gouvernementale.
Ce ne sont pas les politiques du passé qui continueront, a déclaré M. Mlenchon, ce sont les gens qui ont surgi de tous les quartiers ouvriers.