Entrée des Manouchiens au Panthon : qui décide qui recevra la plus haute distinction de France ?
Les résistants Missak et Mline Manouchian seront intronisés au Panthon le 21 février, 80 ans jour pour jour après l’exécution du poète et ouvrier immigré arménien par les Allemands près de Paris. Avant eux, le président français Emmanuel Macron avait déjà accueilli trois grandes figures dans la nécropole parisienne : Simone Veil, Maurice Genevoix et Josphine Baker. Après la mort de Robert Badinter, le 9 février 2024, Macron a annoncé que l’ancien ministre de la Justice qui a aboli la peine de mort en France serait également intronisé au Panthéon. Mais comment se prend exactement cette décision ?
Qu’est-ce que le Panthon ?
L’édifice, conçu par l’architecte Germain Soufflot en 1764, était initialement destiné à être une église dédiée à Sainte Genevive, sainte patronne de Paris. En 1791, lors de la Révolution française, l’Assemblée Nationale décide d’en faire un temple laïc, appelé « Panthon » en référence aux dieux grecs. Elle honorerait la mémoire des nouveaux héros du pays, équivalent républicain de la basilique Saint-Denis, nécropole des rois de France.
À travers les bouleversements politiques du 19ème siècle, le Panthon redevient église et temple, avant de retrouver sa fonction originelle en 1885 pour les funérailles de l’écrivain Victor Hugo. Un décret précise que « le Panthon retrouve sa destination première et légale. Les restes des grands hommes qui ont mérité une reconnaissance nationale y seront déposés ».
Quels sont les « grands hommes » qui y sont honorés ?
Logiquement, le Panthon fut d’abord le foyer des révolutionnaires. Le comte de Mirabeau fut le premier à y entrer, en 1791, mais aussi le premier à en sortir, après avoir été disgracié. Jean-Paul Marat, Louis-Michel le Peletier et Auguste Marie Henri Picot de Dampierre subirent le même sort, contrairement aux philosophes Voltaire et Jean-Jacques Rousseau. Plus de la moitié des « grands hommes » furent admis au Panthon sous l’Empire qui suivit la révolution, la plupart étant des militaires et des dignitaires peu connus aujourd’hui.
Depuis la Troisième République, débutée en 1870, des personnalités politiques majeures (Sadi Carnot, Jean Jaurs, Lon Gambetta) ; des écrivains (Émile Zola, puis André Malraux et Alexandre Dumas sous la Ve République) ; des scientifiques (Marcellin Berthelot, Paul Painlev, plus tard Pierre et Marie Curie) ; et, plus récemment, des résistants, ont été mis à l’honneur. Les Justes, qui ont sauvé les Juifs pendant l’Occupation, y ont été collectivement honorés en 2007.
Et les femmes ?
Depuis plus de 200 ans, les « grands hommes » sont exclusivement masculins. Sophie Berthelot, première femme à entrer au Panthon, l’a fait en 1907, pour ne pas se séparer de son mari, le scientifique Marcellin Berthelot.
Ce n’est qu’en 1995 qu’une femme entre au Panthon en reconnaissance de son propre travail. Il s’agit de la scientifique Marie Curie, qui a découvert la radioactivité avec son mari Pierre Curie (intronisé au Panthon la même année). Elle est la seule scientifique à avoir reçu deux prix Nobel dans des disciplines différentes, physique et chimie.
Dans un rapport de 2013 sur la modernisation du Panthon, Philippe Blaval, président du Centre des monuments nationaux, recommandait de « rendre hommage aux femmes du 20ème siècle qui incarnent un message fort d’engagement républicain. »
Deux ans plus tard, deux résistantes, Germaine Tillion et Genevive de Gaulle-Anthonioz, y sont enterrées, ainsi que deux résistants, Jean Zay et Pierre Brossolette. En 2018, Simone Veil, ancienne déportée de la Shoah et éminente femme politique, entre aux côtés de son mari, Antoine Veil. En 2021, pour la première fois, la cérémonie d’entrée au Panthon a honoré une femme seule, sans conjoint ni compagnon dans son travail : Josphine Baker. Elle fut également la première artiste et la première femme noire à y être intronisée.
Qui décide de l’admission au Panthon ?
C’est l’Assemblée Constituante qui, la première, décide d’enterrer un personnage célèbre au Panthon avant que la Convention ne prenne le relais en 1794. Napoléon Ier assume ensuite ce droit sous l’Empire, avant de le restituer aux députés en 1885. Depuis la Ve République, qui commence en 1958, c’était l’apanage du président. « Cela s’inscrit dans la redéfinition de ses pouvoirs, même si ce n’est pas précisé dans la Constitution », explique Patrick Garcia, professeur à l’université de Cergy-Pontoise et chercheur à l’Institut d’histoire du temps présent. « Rien n’est codifié. Le président seul choisit et la décision est exécutée par le ministère de la Culture. »
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Toutefois, la personne elle-même ou ses descendants ne doivent pas s’opposer à l’entrée au Panthon. Par exemple, le général Charles de Gaulle a clairement fait savoir qu’il ne souhaitait pas y être enterré, et les descendants d’Albert Camus ne voulaient pas que l’écrivain soit honoré par Nicolas Sarkozy en 2009. Il est également possible d’être intronisé au Panthon. sans être enterré dans la crypte : c’est le cas du poète Aim Csaire, enterré en Martinique, à qui une fresque et une plaque ont été dédiées dans le monument de Paris, mais aussi de Germaine Tillion et Genevive de Gaulle-Anthonioz. Ce fut également le cas de Baker, dont le corps est resté au cimetière de Monaco où elle a été enterrée.
S’il suffit d’un simple décret pour officialiser le transfert des cendres ou du corps du défunt, il faut environ deux mois de préparation pour organiser l’événement. Avec un cortège dans la rue Soufflot, des discours et une entrée solennelle, la mise en scène soignée met en valeur à la fois le président et la personne qu’il souhaite honorer.
Quels sont les critères d’entrée ?
Le Panthon est réservé aux « grands hommes ayant mérité une reconnaissance nationale ». Mais aucun texte ne détaille les mérites requis. En théorie, il n’est même pas obligatoire d’être de nationalité française, même si c’est aujourd’hui le cas pour tous ceux qui se trouvent dans la crypte.
Il existe cependant des critères implicites avec l’attente d’un personnage exemplaire, quelqu’un qui incarne les idéaux de la République (le compositeur Hector Berlioz et le marquis de La Fayette ont donc été rejetés pour leur tendance monarchique) et dont le combat fait écho aux valeurs du président. L’Elyse a estimé que Missak Manouchian « porte une part de notre grandeur » à travers son « courage » et son « héroïsme discret ».