Rencontrez Olivier Dussopt – le ministre chargé de faire adopter la réforme des retraites en France par le Parlement
Emmanuel Macron aime prendre des risques. Insister sur une réforme des retraites détestée mais nécessaire à un moment de crise à l’étranger et de dissension à l’intérieur était, dès le départ, un risque calculé.
Jeudi après-midi après-midi, le président s’est trouvé confronté, comme l’un des héros prétentieux de la tragédie française classique, à choisir entre deux grands risques.
Il pourrait permettre que la réforme des retraites soit soumise à un vote à l’Assemblée nationale qu’il perdrait probablement avec des résultats potentiellement calamiteux pour la position de la France sur les marchés financiers mondiaux.
Ou il pourrait imposer la réforme par les pouvoirs spéciaux accordés aux gouvernements français en vertu de l’article 49.3 de la constitution. Trois de ses plus hauts ministres l’ont supplié de ne pas le faire, selon Le Monde. Ils ont mis en garde contre un embrasement de la colère populaire qui pourrait éclipser les pires moments du mouvement Gilets Jaunes en 2018-9.
Mieux vaut, disaient-ils, perdre le vote démocratiquement et poursuivre les quatre années restantes de son second mandat. Mais passer à quoi ?
La réforme des retraites, que Macron avait édictée l’an dernier, était la clé de toutes les autres réformes : une première étape indispensable pour maîtriser les déficits budgétaires et accroître la capacité de la France à générer de la richesse pour tous.
Les émeutes du jour au lendemain à Paris et dans plusieurs autres villes françaises suggèrent que les ministres ont eu raison de mettre en garde contre l’humeur sombre du public.
Il y avait eu une atmosphère d’insurrection publique pendant plusieurs jours, avec des sections syndicales militantes coupant le courant à des quartiers entiers de villes de province, y compris, dans deux cas, des hôpitaux. Des montagnes de déchets non ramassés s’étaient accumulées à |Paris, fournissant des feux de joie prêts à l’emploi pour les émeutiers de jeudi soir.
Il est important, cependant, de regarder qui étaient les émeutiers d’hier soir. Il s’agissait pour la plupart de jeunes révolutionnaires urbains, de la classe moyenne et anti-système, vêtus de noir, qui se plaisaient à eux-mêmes et qui s’attachaient à toutes les manifestations de rue en France. Il est difficile de croire qu’ils étaient sincèrement indignés par la possibilité de devoir travailler jusqu’à 64 ans au lieu de 62.
Contrairement au mouvement des gilets jaunes, il ne s’agissait pas ou pas encore d’une véritable explosion spontanée de colère populaire. Reste à savoir ce qui se passera les nuits suivantes.
Reste également à voir quel sera le soutien à la neuvième journée syndicale d’action contre la réforme des retraites et l’article 49.3 qui a été convoquée jeudi prochain. L’opposition à un report de l’âge de la retraite est profonde et sincère en France, mais il y a aussi beaucoup de fatigue après deux mois de manifestations intermittentes.
Est-ce le début d’un nouveau mai 1968 ou juillet 1789 ? J’en doute.
La réforme des retraites peut encore être arrêtée si une majorité de l’Assemblée nationale vote une motion de censure du gouvernement. La Première ministre Elisabeth Borne et son gouvernement seraient alors également contraints à la démission.
Une motion de censure doit recueillir la majorité absolue des voix 287. Pour aboutir, elle aurait besoin du soutien d’environ 40 des 61 députés de centre droit Les Républicains (LR).
Puisqu’un vote de censure réussi pourrait forcer une élection législative anticipée qui dévasterait le centre-droit, cela semble hautement improbable.
Macron et Borne avaient espéré et s’étaient fait promettre à plusieurs reprises le soutien d’au moins 35 députés LR lors du vote d’hier sur la réforme des retraites. En ce qui concerne le rassemblement final, la direction LR qui avait soutenu et largement façonné la législation ne pouvait garantir que 28.
C’est cette sombre nouvelle, dans un appel téléphonique à Borne des dirigeants LR, qui a persuadé Macron d’imposer la loi au moyen de l’article 49.3. Il a attendu dix minutes avant le début du vote de l’Assemblée dans l’espoir désespéré que les votes pourraient être trouvés.
Pourquoi un tel tapage, vous demanderez-vous, sur le fait que Macron a utilisé une arme constitutionnelle judicieusement fournie par le président Charles de Gaulle il y a 65 ans ? L’article 49.3 a été utilisé 100 fois depuis lors par tous les présidents et par les gouvernements de tous bords dont dix fois par Elisabeth Borne pour débloquer le budget de l’Etat 2023 à l’automne et l’hiver derniers.
Qu’est-ce que l’article 49.3 et à quelle fréquence les gouvernements français l’utilisent-ils ?
Il y a une différence comme Macron le savait, d’où son dilemme hier entre utiliser A.49.3 pour faire fonctionner l’appareil étatique et l’utiliser pour imposer une réforme des retraites à laquelle 70 % des adultes français s’opposent.
Au-delà de cela, il y a eu une hystérisation de toute la politique en France depuis que l’ancien système gauche-droite s’est effondré (ce que Macron lui-même a encouragé et dont il a bénéficié). Il y a eu une hystérisation de l’utilisation de l’article 49.3 (qui est après tout parfaitement légal).
Il y a surtout eu une hystérisation du débat sur les retraites. Il est raisonnable et respectable de s’interroger sur la nécessité de cette réforme et sur la nécessité qu’elle se produise maintenant. Il n’est ni raisonnable ni respectable de le qualifier d’aussi brutal et violent que l’ont fait les syndicats et l’opposition.
Si la réforme va de l’avant comme elle le fera presque certainement, les Français auront toujours un âge officiel de la retraite inférieur en 2030 à ce que la plupart des pays européens ont déjà.
Les pertes pérennes du système de retraite soi-disant autofinancé pèsent lourdement sur les finances de l’État français. Lorsque Macron a évoqué sa peur de la réaction des marchés financiers mondiaux, comme il l’a fait jeudi, cela est traité dans les médias français comme une sorte de coup de foudre. Vous voyez, il s’agissait de plaire aux banquiers.
Point de contrôle de la réalité. Un pays dont la dette accumulée s’élève à 114 % de son revenu national annuel et un pays qui n’a pas équilibré son budget d’État depuis un demi-siècle ne peut pas se permettre d’embêter trop longtemps ses banquiers.
Personne ne sort de la saga des retraites avec un crédit. Macron a été largement absent d’une dispute qu’il a lancée. Elisabeth Borne a présenté un plan compliqué de manière confuse et peu convaincante.
La gauche a été hystérique. L’extrême droite a souri d’un air suffisant, espérant en tirer profit mais n’apportant rien de sensé.
Le centre-droit, vestige du grand mouvement gaulliste, a beaucoup exigé et promis mais ses mensonges, son égoïsme et ses querelles internes ont conduit le gouvernement dans un piège à éléphant. Ils apparaissent, plus que jamais, condamnés en tant que mouvement politique sérieux.
Tous sont à blâmer mais une seule personne paiera avec son travail.
Elisabeth Borne survivra à la motion de censure mais elle sera remplacée par Macron d’ici un mois environ. C’est une règle de fer de la politique française que le Premier ministre souffre d’un échec, pas le président.
Un nouveau Premier ministre sera nommé pour livrer le reste de l’agenda de Macron. Bonne chance avec ça.
La réforme des retraites était censée être la clé d’autres réformes, mais la manière dont elle a été réalisée rendra toute autre réforme ou initiative difficile à mettre en œuvre.
Et les Français devront encore travailler encore un peu, qu’ils le veuillent ou non.
C’est perdant-perdant tout autour.