Quand Matra remettait la France sur le chemin de la victoire aux 24 Heures du Mans | 24h-lemans.com
MARQUES, MARQUES ET EMPREINTES DU CENTENAIRE DES 24 HEURES Aucun constructeur français n’avait triomphé aux 24 Heures du Mans depuis Talbot-Lago en 1950 jusqu’à ce que Matra mette fin à la séquence perdante. La firme aéronautique s’est lancée sur les circuits à la fin des années soixante, pour le plus grand plaisir des fans français qui ont découvert une nouvelle génération de pilotes menée par le triple vainqueur Henri Pescarolo.
L’aventure Matra au Mans a été propulsée pour la première fois en 1966 et 1967 par un moteur V8 BRM de 2 litres. La nouvelle réglementation introduite pour la course de 1968, limitant la cylindrée des prototypes à 3 litres, incite Matra à concevoir son propre V12. Ce fut le catalyseur d’une marche incessante vers la gloire.
1968-71 : Un exploit personnel et les premiers signes de promesse
En 1968, Henri Pescarolo se fait un nom en pilotant la seule Matra en course dans la nuit pluvieuse avec un essuie-glace défectueux. Après avoir remonté à la deuxième place, Pescarolo et son compatriote français Johnny Servoz-Gavin ont abandonné à trois heures de l’arrivée lorsqu’un incendie s’est déclaré à la suite d’une crevaison. L’année suivante, quatre Matras prennent le départ de la course dont trois terminent dans les dix premiers du classement général : Jean-Pierre Beltoise/Piers Courage (4ème), Jean Guichet/Nino Vaccarella (5ème) et Nanni Galli/Robin Widdows (7ème ).

En 1970, cependant, les quatre voitures engagées ont toutes été expulsées avant minuit. Douze mois plus tard, Chris Amon et Jean-Pierre Beltoise sur l’unique Matra atteignaient la deuxième position, à la poursuite de la Porsche 917 des futurs vainqueurs, Helmut Marko/Gijs van Lennep. Malheureusement, leur course s’est terminée brutalement dimanche matin.
1972-74 : Gagner avec style
Dès lors, Matra choisit de mettre toutes les chances de son côté pour augmenter ses chances de remporter les 24 Heures du Mans. En 1972, le constructeur a décidé que Le Mans serait la seule manche du Championnat du Monde des Marques (le prédécesseur de l’actuel Championnat du Monde d’Endurance FIA) auquel il participerait, ainsi que ses engagements en Formule 1. En 1973 et 1974, cependant, Matra s’est retiré de la F1 pour se concentrer à plein temps sur le championnat du monde des marques. Cette stratégie a porté ses fruits sous la forme de trois victoires consécutives au Mans. Cependant, le chemin vers la gloire n’était pas sans obstacles.

Peu de temps après que le président français Georges Pompidou eut donné le départ de la course de 1972, Matra perdit une de ses voitures à cause d’une panne de moteur. Henri Pescarolo/Graham Hill ont réussi à éviter de tels mésaventures dans la Matra #15 et ont combattu les coéquipiers François Cevert/Howden Ganley sous la pluie pour décrocher la victoire.
Après avoir rencontré quelques problèmes gênants lors des essais préliminaires, Ferrari a choisi de ne pas participer à la course de 1972, mais est revenue un an plus tard. L’édition du 50e anniversaire a vu un superbe face-à-face franco-italien jusqu’à 90 minutes avant le drapeau à damier lorsque la Ferrari de Jacky Ickx/Brian Redman a été contrainte à l’abandon. Pescarolo s’impose pour la deuxième année consécutive, cette fois associé à Gérard Larrousse.

En 1974, Ferrari se retire de l’endurance pour redorer son blason en Formule 1 où aucune voiture portant l’emblème du Cheval cabré n’avait remporté le titre depuis 1964. Malgré une avance confortable de 11 tours, la Matra n°7 s’immobilise avec un problème de boîte de vitesses sur le détroit de Mulsanne. Pescarolo a soulevé le capot et a réussi à résoudre suffisamment le problème pour ramper jusqu’aux stands en troisième vitesse. La Porsche de Gijs van Lennep/Herbert Müller avait réduit l’écart à moins de trois minutes mais a également été frappée par des problèmes de transmission dans les dernières étapes de la course. Matra a remporté sa troisième victoire consécutive, tout comme Pescarolo, toujours le seul pilote français à avoir réussi cet exploit aux 24 Heures du Mans.

« Génération Matra » et autres grands noms du sport automobile français
L’aventure Matra a donné naissance à une génération exceptionnelle de pilotes français qui ont brillé non seulement au Mans mais aussi dans les courses de formule.
A eux deux, Jean-Pierre Beltoise, Henri Pescarolo et François Cevert ont réinventé le sport automobile français des années 60 et 70 : Beltoise en instigateur de cette « nouvelle vague », Pescarolo par ses exploits au Mans et surtout son effort héroïque de 1968, et Cevert qui, en 1971, est devenu le premier pilote français à remporter un Grand Prix de Formule 1 depuis Maurice Trintignant en 1958, ainsi qu’à décrocher la pole position au Mans en 1972 et à boucler le tour le plus rapide en 1973.

Jean-Pierre Jaussaud, copilote de Pescarolo aux 24 Heures 1966 et 1967, a signé deux victoires mancelles en 1978 (Renault-Alpine) et 1980 (Rondeau). Jean-Pierre Jabouille a prêté son immense talent de pilote/ingénieur à Matra, puis à Renault pour la première victoire en Formule 1 d’une voiture turbocompressée, avant de travailler sur le programme Peugeot 905 dans les années 1990. Le sens technique de Patrick Depailler était également très apprécié des ingénieurs.
Parmi les meilleurs pilotes Matra des années 70, citons également le fidèle Bob Wollek (30 départs au Mans), le rapide comme l’éclair Jean-Pierre Jarier et le natif du Mans François Migault qui est monté trois fois sur le podium des 24 Heures (troisième en 1974, deuxième en 1976 , et troisième en 1981).
Plusieurs vainqueurs des 24 Heures ont mis Matra à l’honneur au Mans. En 1969, le Français Jean Guichet demande au patron de Matra, Jean-Luc Lagardère, d’engager le Sicilien Nino Vaccarella avec qui il avait remporté les 24 Heures cinq ans plus tôt pour Ferrari. Lagardère a accepté et le duo réformé a rendu la pareille avec le premier top cinq de Matra.

En 1972, Graham Hill a choisi Matra pour accomplir un exploit qu’il est toujours le seul pilote à avoir réalisé : ajouter une victoire au Mans à son triomphe d’Indianapolis en 1966 et deux titres mondiaux de Formule 1. Malheureusement, un tel succès au Mans a échappé au triple champion du monde de F1 Jack Brabham malgré son partenariat avec François Cevert lors de sa troisième et dernière tentative en 1970 (DNF). Quelques semaines plus tard, l’Australien mettait un terme à sa carrière de pilote après sa victoire finale, en compagnie de Cevert, aux 1000 km de Paris.
La passionnante histoire de Matra ne serait pas complète sans évoquer le splendide gémissement aigu du moteur V12 qui ravit encore aujourd’hui les fans des 24 Heures du Mans et de la course automobile.
PHOTOS : LE MANS (SARTHE, FRANCE), CIRCUIT DES 24 HEURES, 24 HEURES DU MANS – DE HAUT EN BAS (© ARCHIVES ACO) : en 1972, Henri Pescarolo remporte sa première victoire au Mans et la première pour Matra ; quatre ans plus tôt, Pescarolo est monté à la deuxième place sous la pluie avec des essuie-glaces défectueux avant d’abandonner ; le président français Georges Pompidou s’apprête à brandir le drapeau national pour donner le départ des 24 Heures 1972, après avoir soutenu le financement de la Matra V12 lorsqu’il était membre du gouvernement de Charles de Gaulle ; Gérard Larrousse (au centre) et les mécaniciens à bord de la voiture gagnante en 1973, après que Pescarolo ait passé le drapeau à damier ; en 1974, la nouvelle Matra MS680 ne termine pas mais la MS670 remporte trois victoires consécutives ; François Cevert (photographié ici en 1972) a conduit une Matra lors de chacune de ses trois apparitions au Mans ; le plateau du Mans 1972 avec trois Matras aux trois premières places avec François Cevert/Howden Ganley (pole position, n°14), Henri Pescarolo/Graham Hill (n°15) et Jean-Pierre Beltoise/Chris Amon (n°12).