Pourquoi les minorités sont marginalisées en France
Luv Puri
Journaliste et auteur
Les récentes émeutes en France ont ravivé le débat acrimonieux dans le pays sur la marginalisation des minorités, en particulier celles des anciennes colonies françaises, dont beaucoup sont musulmanes. Les violences ont été déclenchées par le contrôle routier d’un garçon de 17 ans d’origine algérienne, Nahel Merzouk, à la suite d’une poursuite policière dans la banlieue parisienne de Nanterre. Le jeune aurait ignoré l’avertissement de la police de s’arrêter et a été tué par eux.
Un policier a été placé en garde à vue après la fusillade. Le procureur l’a accusé d’homicide volontaire, affirmant qu’un examen avait révélé que la norme légale imposant à l’officier d’utiliser son arme n’avait pas été respectée lorsqu’il avait tiré sur Nahel à bout portant.
La droite a lancé une campagne de financement participatif pour l’officier qui a tué l’adolescent. Environ 1,7 million de dollars ont été reçus en dons.
Les événements ont déclenché une discussion sur la discrimination systémique contre les minorités et le manque d’assimilation de ces groupes dans le milieu social français. Au cours du processus, un certain nombre de problèmes ont été mélangés, rendant la discussion trouble et difficile à comprendre pour les étrangers.
Dans le contexte européen, la France compte l’une des plus grandes populations musulmanes d’origines ethniques diverses, bien que la majorité provienne de la région du Maghreb et des anciennes colonies françaises d’Algérie, du Maroc et de Tunisie. La population musulmane française, selon le Pew Research Center, est estimée à environ 8,8 %.
La France, comme plusieurs autres pays européens, a besoin de jeunes immigrés car l’âge médian y est de 41,5 ans et 19,84 % de la population a plus de 65 ans. Le taux de fécondité est de 1,9 %, inférieur au taux de remplacement de 2,1 %. La France assiste également à la montée de la politique majoritaire, comme certaines autres démocraties occidentales.
Menacés par la popularité des partis politiques de droite comme le Rassemblement national, le parti centriste au pouvoir, La République En Marche, et le Parti socialiste de centre gauche se font concurrence en termes de populisme.
Outre les émeutes de 2005 qui ont été déclenchées par la mort de deux jeunes d’origine africaine après une poursuite policière à la suite de l’alarme présumée d’un cambriolage, la France a souvent fait l’actualité à propos d’émeutes et de manifestations religieuses impliquant principalement des musulmans. Il a connu des vagues de violence depuis les attentats terroristes de 2015 contre le magazine satirique Charlie Hebdo et la fusillade dans une école juive de Toulouse en 2012, qui a fait sept morts, dont trois enfants. Puis il y a eu le meurtre d’un professeur de français le 16 octobre 2020. Le professeur avait provoqué la colère de l’agresseur car il avait montré à ses élèves des caricatures du Prophète dans un cours d’éducation civique sur la liberté d’expression. Il y avait aussi une dispute sur l’interdiction de porter le hijab. Il a été ratissé récemment dans le contexte de la prochaine Coupe du Monde Féminine de la FIFA alors qu’un tribunal français a confirmé l’interdiction faite aux footballeuses musulmanes de porter le hijab.
Dans un contexte plus large, l’universitaire Clément Godbarge souligne que pour comprendre la France, il faut fuir le prisme anglo-américain. Il souligne que l’une des distinctions essentielles du projet politique français est qu’il s’agit de facto d’une société multiculturelle et multiconfessionnelle, mais de jure, ses institutions sont façonnées par le lacite et non par le multiculturalisme. Godbarge souligne que les étrangers devraient être plus sensibles à une compréhension nuancée du contexte national dans lequel la majorité française exprime ses préoccupations. Selon lui, les approches de la laïcité ont tendance à être le résultat de processus historiques complexes, de longues négociations propres à l’histoire et aux institutions d’un pays.
Selon la loi lacite de 1905, la République française établit que la religion est une affaire privée et que l’État doit en être neutre. Les défis lancés à l’État à cet égard sont multiples et imbriqués. La majorité pense que la forme distinctive de laïcité de la France est en danger et que des raisons spécifiques doivent être prises en compte.
Dans le même temps, le débat autour de la loi lacite et du meurtre de Nahel doit être replacé dans une juste perspective. L’idée de lacite a peut-être un contexte historique, mais les défis auxquels la société est confrontée ne peuvent ignorer les biais structurels et institutionnels contemporains qui affectent les minorités, y compris les musulmans nés et élevés en France.
Il existe des obstacles institutionnels à la mobilité sociale qui poussent les musulmans dans des ghettos. La France a un code d’entrée institutionnel rigide pour de nombreuses professions, y compris les professions peu rémunérées. Invariablement, l’élite politique et professionnelle française est issue de quelques établissements d’enseignement.
Il y a, sans aucun doute, le facteur de complication des influences transnationales qui affectent les minorités. L’impact des schismes au sein du monde musulman au sens large peut jouer un rôle dans la religiosité des immigrants récents, qui comprend un plus grand nombre de personnes d’origine turque. Cela explique certaines déclarations du président turc Recep Tayyip Erdogan concernant les récents développements. Le 4 juillet, Erdogan a imputé les émeutes nationales de la France au racisme institutionnel et au passé colonial du pays. Cependant, c’est là que tout le débat devient flou, car les musulmans issus d’un large éventail d’origines ethniques et géographiques sont traités comme un groupe homogène et sensibles aux influences étrangères délétères.
Les politiques prescriptives et les récits populaires renforcent cette identité religieuse homogène tout en sous-estimant l’influence des langues, des cultures et des coutumes distinctes. Ces récits ont le potentiel d’être intériorisés en France et, associés au parti pris des forces de l’ordre contre les minorités, créent un mélange toxique. Cela se manifeste dans des tragédies telles que le meurtre de l’adolescent par un arrêt de la circulation.
L’impératif séculaire de la France d’assimiler les minorités socialement, politiquement et économiquement reste valable aujourd’hui et cela ne peut être mis de côté car il se confronte aux influences transnationales qui ont le potentiel de créer de nouveaux clivages sociétaux et politiques.