Pourquoi le marché de l’art français est florissant
Tiré du numéro de mars 2024 d’Apollo. Prévisualisez et abonnez-vous ici.
En 2023, le marché de l’art a connu une nette correction : les ventes aux enchères de maîtres anciens, d’art impressionniste, moderne et contemporain chez Sothebys, Christies et Phillips ont chuté de 27 %, selon la société d’analyse de données ArtTactic. La France n’a pas été épargnée et le second semestre de l’année dernière a vu un ralentissement chez les grands acteurs, même si certaines petites maisons, comme Bonhams Cornette de St Cyr, Ader, Tajan et Piasa, ont affiché des résultats positifs.
La France a longtemps été un vairon dans le pool mondial, avec environ 7 % du marché mondial, ce qui la place au quatrième rang derrière les gros poissons : les États-Unis, la Chine et le Royaume-Uni. Mais les Français affirment que leur faible place est en partie due au fait que les secteurs dans lesquels ils sont forts ne sont pas ceux qui coûtent cher, à savoir l’art moderne, impressionniste et contemporain.
Parmi les domaines dans lesquels les Français sont encore des collectionneurs actifs figurent les dessins de maîtres anciens, le design, les meubles, les lettres et les manuscrits du XVIIIe siècle. Selon les spécialistes, on y trouverait également des collectionneurs d’arts décoratifs et de meubles de la Haute Epoque. Christies a transféré ses ventes de dessins anciens, d’art asiatique et de design à Paris l’année dernière. Les marchés de ces secteurs sont désormais concentrés à Paris plutôt qu’à Londres, explique Cécile Verdier, présidente de Christies France, et la France dispose d’un riche vivier d’experts, de restaurateurs et de revendeurs spécialisés.
En 2023, Christies a décroché le jackpot avec une pièce de design, François-Xavier Lalannes. Rhinocrétaire I de 1964. Achetée cette année-là par Jeanine de Goldschmidt, associée du célèbre critique d’art Pierre Restany, elle est restée depuis dans la famille. Il a été mis aux enchères en octobre 2023 avec une estimation de 4 m6 m et a réalisé un superbe 18,3 m.

Saint tenant une croix (sd), Domenico Beccafumi. Bonhams Cornette de St Cyr, 241 700
Bien que cet objet ait une provenance claire, de nombreuses pièces n’en ont pas. Verdier souligne que le système français d’héritage du Code Napoléon, qui impose le partage des biens entre les héritiers après un décès, signifie que chaque génération doit tout partager, les choses se dispersent. Certains arrivent immédiatement sur le marché, d’autres s’entassent dans les greniers et les caves des manoirs et des châteaux, et tombent dans l’oubli. Il reste encore un réservoir de découvertes à faire.
Trouver de tels trésors cachés est le point fort du spécialiste français Eric Turquin, historien de l’art qui travaille à la commande pour plusieurs commissaires-priseurs. La France a une longue tradition de collection de dessins de maîtres anciens et possède bien sûr la foire leader dans le domaine, le Salon du Dessin, dit-il, et il y a ici un groupe de collectionneurs très actifs.
Turquin explique : « Au XVIIIe siècle, apogée de la puissance et de la richesse françaises, il y avait de nombreux collectionneurs de dessins hollandais, français, italiens, et des collections extraordinaires furent constituées. Mais après la Révolution française, tout change, y compris les goûts, et le collectionneur du XIXe siècle préfère l’art de la révolution, un art viril, violent. Des artistes comme Watteau, Boucher, Fragonard sont complètement passés de mode. La provenance et les attributions ont été perdues.
A titre d’illustration, il cite deux Fragonard qui avaient initialement appartenu au même collectionneur mais qui se sont séparés au début du XXe siècle et ont perdu leurs attributions. Un, Jeune fille au chapeau (177075), vendu aux commissaires-priseurs Boisgirard-Antonini cinq fois son estimation à 3,3 m en décembre dernier. L’autre, Une lecture philosophique (c. 176870), réalisé 7,7 m chez Enchères Champagne en 2022. Aucun des deux vendeurs ne savait que les œuvres provenaient initialement de la même source ; Turquin a pu rétablir leur provenance et leur auteur.

Les Heures de René de Bourbon-Vendme (c. 148085), attribué aux artistes de Bourges. Artcurial, 121 059