Ouverture stratégique du Cambodge à la France | Forum Asie de l’Est
En seulement 13 mois, les relations bilatérales Cambodge-France ont connu une transformation rapide. Le gouvernement du nouveau Premier ministre cambodgien Hun Manet a poursuivi avec rigueur l’ouverture stratégique de son prédécesseur envers la France. Pendant ce temps, sous la présidence d’Emmanuel Macron, la France a adopté le Cambodge, dans le but de renforcer son influence économique, culturelle et diplomatique dans le pays et plus largement dans le bloc de l’ASEAN, dans le cadre de l’orientation de Macron vers l’Indo-Pacifique.
Entre décembre 2022 et janvier 2024, trois visites officielles de dirigeants cambodgiens ont eu lieu en France, dont l’ancien Premier ministre Hun Sen, le roi Norodom Sihamoni et plus récemment le Premier ministre Manet. La France est notamment le premier pays européen que Manet visite officiellement depuis son entrée en fonction en août 2023.
La visite de Manet en France s’est terminée par des engagements des deux côtés à renforcer la coopération en matière de commerce, d’investissement et de défense. La France a exprimé son soutien au plan de neutralité carbone du Cambodge à l’horizon 2050 et les deux pays ont réitéré leur volonté mutuelle d’approfondir les échanges culturels renforcés par leurs liens francophiles.
Mais le résultat le plus significatif de la visite a été un accord visant à renforcer les relations bilatérales visant à les élever à un niveau stratégique. Bien que les détails sur la portée et le calendrier de la mise à niveau stratégique prévue restent à connaître, cette élévation fera de la France le quatrième partenaire stratégique de la France au Cambodge après la Thaïlande, la Chine et le Japon.
Depuis 2021, le Cambodge a fait pression pour une mise en œuvre pangouvernementale de sa stratégie de diplomatie économique (EDS) 2021-2023. La stratégie vise à attirer et à diversifier le commerce mondial, le tourisme et les investissements directs étrangers, avec une nouvelle itération de l’EDS en cours d’élaboration. pour la période 20242028.
Le Cambodge considère la France comme un partenaire européen majeur dans ces efforts. Même si le commerce bilatéral s’élevait à seulement 542 millions de dollars à la fin de 2023, le Cambodge a bénéficié d’un excédent commercial important et renforce ses liens économiques avec la France pour attirer davantage d’investissements du secteur privé dans l’aviation, le tourisme, les chemins de fer, les énergies renouvelables et la technologie numérique. Cela s’est reflété dans les rencontres de Manet avec des entreprises comme le groupe VINCI, TotalEnergies, le groupe Accor et Alstom lors de son voyage à Paris. La France peut servir de pont pour accroître les exportations de produits agricoles et d’habillement cambodgiens vers le marché de l’UE.
Un autre facteur qui pousse Phnom Penh vers Paris est la politique étrangère. Le Cambodge vise à trouver un équilibre plus délicat entre les principaux acteurs et à établir une base européenne plus solide dans sa stratégie. La France est un partenaire mondial viable pour le Cambodge en soutenant le droit international et le multilatéralisme, qui commencent à subir des pressions croissantes. La position de principe du Cambodge contre la guerre en Ukraine, son co-parrainage des résolutions de l’Assemblée générale des Nations Unies condamnant la Russie, son soutien à l’adhésion accélérée de l’Ukraine au Traité d’amitié et de coopération de l’ASEAN et son soutien au déminage de l’Ukraine s’alignent sur la position de la France.
Des relations plus approfondies avec la France pourraient renforcer les liens politiques et économiques du Cambodge avec l’Union européenne, qui sont devenus difficiles après le retrait partiel du bloc de son accord commercial préférentiel dans le cadre de son programme Tout sauf les armes en 2020.
Au niveau régional, les deux pays conviennent que l’approfondissement des relations ASEAN-France est essentiel pour aligner la stratégie indo-pacifique française sur les perspectives de l’ASEAN sur l’Indo-Pacifique afin de promouvoir les intérêts communs en matière de connectivité régionale, de sécurité maritime et de développement durable. Pour la France, le Cambodge est un partenaire important dans la promotion d’une présence plus affirmée en Asie du Sud-Est continentale et dans l’engagement avec l’ASEAN dans un contexte d’influence croissante de la Chine dans la région.
L’ouverture à la France sert également à des fins de messagerie nationale. Depuis son entrée en fonction en août 2023, Manet a eu du pain sur la planche, aux prises avec les problèmes liés à la relance de l’économie après l’émergence du COVID-19 et aux incertitudes géopolitiques croissantes concernant les réformes intérieures. Être adopté par la France, puissance nucléaire et leader de facto de l’UE, envoie un message puissant aux parties prenantes nationales qui attendent de voir ce que le nouveau dirigeant formé en Occident prévoit pour le pays. Cela contribue également à couper le souffle aux groupes d’opposition cambodgiens, en particulier ceux basés en Europe, qui remettent en question la légitimité de l’accession au pouvoir de Manet.
L’ouverture stratégique du Cambodge envers la France sous son nouveau gouvernement découle d’impératifs économiques, géopolitiques et politiques nationaux. Bien que les liens entre les deux pays existent depuis 180 ans, l’augmentation significative du rythme et de la profondeur depuis 2022 souligne la volonté du Cambodge d’établir un ancrage européen plus fort dans sa politique étrangère. L’adhésion réciproque de la France au Cambodge révèle son objectif de renforcer son influence dans la région de l’ASEAN et plus largement dans l’Indo-Pacifique.
L’élévation prévue des relations Cambodge-France à un niveau stratégique présente une dynamique émergente dans la politique étrangère du Cambodge sous Hun Manet.
Chansambath Bong est titulaire d’un doctorat au Centre d’études stratégiques et de défense de l’Université nationale australienne et chercheur à l’Asian Vision Institute, un groupe de réflexion politique basé au Cambodge.