Opinion | Ce qui vient de se passer en France est stupéfiant
Ils ont répondu à l’appel, en particulier les électeurs de gauche. Selon un sondage, dans les duels où les alliés de M. Macron ou les conservateurs ont affronté le Rassemblement national, sept électeurs de gauche sur dix ont voté pour le candidat anti-Le Pen, la plupart des autres s’étant abstenus. Le front a moins bien résisté dans les duels entre la gauche et le parti de Mme Le Pen : environ la moitié des partisans de M. Macron ont soutenu la gauche, et un sur six ont voté pour l’extrême droite. Le résultat, cependant, a été frappant. Siège après siège, la position forte de l’extrême droite n’a pas été suffisante pour vaincre ses adversaires combinés.
La force de cette mobilisation est particulièrement remarquable, compte tenu des messages contradictoires des responsables gouvernementaux. Dans les jours qui ont suivi le premier tour, le camp du président s’est divisé entre ceux qui appelaient à voter pour tout candidat anti-Le Pen et d’autres qui refusaient de se retirer en faveur de la France insoumise de Jean-Luc Mlenchon, la force la plus importante et la plus radicale de la gauche. De nombreux électeurs du centre-droit ont appelé les électeurs à bloquer à la fois M. Mlenchon et Mme Le Pen, ce qui contredit l’idée selon laquelle le principal problème était de stopper l’extrême droite.
Le Nouveau Front populaire est loin d’être uni. M. Mlenchon, qui n’a pas de siège au Parlement, entretient des relations tumultueuses avec les socialistes et les verts de centre-gauche, ainsi qu’avec les communistes, qui voudront tous éviter qu’il ne prenne la tête du parti. Dimanche soir, des personnalités de centre-gauche de ce camp ont fait allusion à la nécessité d’un dialogue plus large et d’un changement de culture politique, laissant déjà entrevoir un rapprochement avec M. Macron et une scission avec la gauche plus radicale. Le Nouveau Front populaire, qui n’a guère eu le temps de profiter de son succès, pourrait bientôt commencer à se fragmenter.
Mais le problème ne se limite pas aux querelles entre partis. Si l’extrême droite a été stoppée en France, elle a néanmoins progressé de manière significative. Historiquement, le parti a obtenu de mauvais résultats aux élections législatives en raison de son faible ancrage local : au cours des dernières décennies, il n’avait qu’une poignée de députés. Aujourd’hui, il en compte 143, un record historique. Il se présentera à l’élection présidentielle de 2027 avec une position de départ beaucoup plus forte, notamment en élargissant son soutien à l’électorat de droite majoritaire.
Ce soutien est considérable. Depuis 2022, le Rassemblement national, qui a longtemps eu une base solide parmi les ouvriers, a presque doublé son soutien parmi les employés de bureau, les professions dites de niveau intermédiaire et les cadres supérieurs. Son vote penche toujours vers les personnes à faibles revenus et peu instruites, mais il augmente plus rapidement parmi ceux qui gagnent plus de 3 000 euros par mois. Son message plus récent, résumé par l’offre de M. Bardellas de rétablir l’ordre dans les comptes publics, ainsi que dans la rue, trouve un écho auprès des propriétaires et des personnes ayant des emplois à revenus moyens. La montée du parti ne provient pas d’une révolte de la classe ouvrière, comme certains le prétendent, mais du soutien d’un échantillon de plus en plus large de la société française.