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« Non professionnel, sale et sauvage » : les législateurs français votent pour interdire la discrimination capillaire

Ceux qui arborent des cheveux afro, blonds ou roux, des dreads, des tresses ou même des crânes chauves pourraient bénéficier de nouvelles protections en France, où un projet de loi interdisant la discrimination fondée sur la texture, la longueur, la couleur ou le style des cheveux a franchi un premier obstacle au Parlement français le Jeudi. Alors que certains estiment que la loi est inutile, d’autres affirment qu’elle comblera une lacune de la législation existante en matière de lutte contre la discrimination.

Après avoir entendu pendant des années toutes sortes de commentaires désobligeants de la part de ses camarades de classe à propos de ses cheveux crépus de style afro, Kenza Bel Kenadil a été accueillie avec le même mépris lorsqu’elle est entrée sur le marché du travail. À l’âge de 17 ans, on lui a dit au travail que ses cheveux n’étaient pas professionnels, sales et sauvages.

Lorsqu’elle a finalement accepté un emploi d’hôtesse dans un hôtel du sud de la France, la direction lui a crié dessus. Soit vous rentrez chez vous et changez de coiffure, rugit son patron, soit vous ne venez pas travailler.

Les discriminations fondées sur la texture, la longueur, la couleur ou le style des cheveux sont au cœur d’une proposition de loi d’Olivier Serva, député du groupe LIOT (Libertés, Indépendants, Outre-mer et Territoires) de la Guadeloupe. Son objectif est de faire en sorte que la discrimination capillaire soit punie par la loi. Déposé pour la première fois en septembre 2023, le projet de loi a été adopté par l’Assemblée nationale jeudi 28 mars.

Mais le projet de loi doit encore être débattu au Sénat, dirigé par les conservateurs, où son adoption est incertaine.

Un projet de loi historique

Alors que Serva mène la bataille politique pour mettre fin à la discrimination capillaire, Bel Kenadil mène son propre combat en ligne depuis des années. Aujourd’hui âgée de 26 ans, elle publie sur les réseaux sociaux des vidéos dont certaines ont recueilli des millions de vues pour faire la lumière sur le sujet.

Lorsque son patron de l’hôtel l’a menacée il y a des années, elle a fini par rentrer chez elle en larmes et a attaché ses cheveux en chignon. Je ne comprenais pas pourquoi mes cheveux auraient un impact sur mon professionnalisme ou mon employabilité, dit-elle.

Pour éviter que de telles situations ne se reproduisent à l’avenir, Serva propose d’ajouter la mention spécifique des cheveux à la liste des discriminations fondées sur l’apparence physique.

C’est historique », a déclaré Serva le 18 mars, après que le projet de loi a été approuvé pour débat par la Commission des lois française, dont le rôle est de préparer tous les débats législatifs à l’Assemblée nationale. (La France) est le premier pays au monde à reconnaître discrimination capillaire au niveau national.

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C’est presque vrai. Les États-Unis sont le seul autre pays à avoir introduit une législation sur la discrimination capillaire. Un projet de loi connu sous le nom de Crown Act (« Créer un monde respectueux et ouvert pour les cheveux naturels ») a été adopté par la Chambre des représentants en mars 2022. Il stipule que toute discrimination capillaire fondée sur la race au travail, dans les lieux publics et à l’encontre des personnes participant à les programmes d’aide fédérale, tels que les programmes de logement, sont strictement interdits par la loi.

Le projet de loi, qui renforce particulièrement la protection des femmes noires dans les écoles et sur le lieu de travail, qui sont touchées de manière disproportionnée par la discrimination capillaire, a été adopté dans 24 États, dont New York, la Californie, l’Arizona et le Texas. Mais jusqu’à présent, la législation fédérale n’a pas abouti, les républicains du Sénat ayant bloqué l’adoption de la loi en décembre 2022.

Au Royaume-Uni, la Commission pour l’égalité et les droits de l’homme a publié une directive en octobre 2022 sur la prévention de la discrimination capillaire dans les écoles. Destinées à aider les chefs d’établissement à favoriser un environnement inclusif, ces orientations font référence à des articles de la loi sur l’égalité pour garantir que les institutions ne sont pas illégalement discriminatoires dans leurs politiques. Bien qu’elle s’applique à toutes les formes de discrimination capillaire, l’accent est mis sur la race car les recherches et les procès indiquent que la discrimination affecte de manière disproportionnée les élèves ayant des cheveux ou des coiffures afro-texturés.

Un cadre juridique existe mais est-il suffisant ?

En France, le texte introductif du projet de loi Servas sur la discrimination capillaire précise que les personnes qui subissent une discrimination en raison de la texture, de la couleur ou du style de leurs cheveux ne disposent pas d’un cadre juridique spécifique.

Mais tous les députés ne partagent pas son avis sur la question, affirmant qu’il existe déjà de nombreux recours législatifs pour lutter contre la discrimination fondée sur l’apparence physique en France.

Ceci est un exemple typique d’une mauvaise idée. Il n’y a pas de vide juridique, a déclaré à l’AFP le spécialiste du droit du travail Eric Rocheblave. En vertu du droit du travail français, la discrimination fondée sur l’apparence physique est déjà interdite même s’il n’existe pas de (clause) explicite sur la discrimination capillaire, a-t-il déclaré.

S’il y avait un cas de discrimination fondée sur la pilosité, l’absence de cheveux, la couleur, la longueur ou l’apparence, je pourrais le rattacher à la législation en vigueur, a insisté Rocheblave.

L’article 225-1 du code pénal national énumère 25 cas qui constitueraient une discrimination interdite par la loi, comme l’orientation sexuelle ou les convictions politiques. Mais pour les partisans d’une loi française sur la discrimination capillaire, la liste ne va pas assez loin.

Si c’était le cas, nous ne serions pas renvoyés de notre travail à cause de nos cheveux. Nous ne serions pas soumis à des commentaires (désobligeants) de la part de collègues. Et le steward d’Air France n’aurait pas eu à porter son cas devant la plus haute cour d’appel de France, rétorque Bel Kenadil, faisant référence à Aboubakar Traor, qui a poursuivi Air France en justice en 2012 pour discrimination après avoir été interdit de vols pour avoir porté des tresses attachées en chignon.

La compagnie a déclaré que sa coiffure n’était pas conforme aux règles du manuel de vol destiné au personnel, qui permettait aux femmes, mais pas aux hommes, d’avoir les cheveux tressés dans la cabine.

Dix ans plus tard, la plus haute cour d’appel de France s’est prononcée en faveur de Traor. Mais la décision rendue par le tribunal a déclaré que la politique de l’entreprise équivalait à une discrimination fondée sur le sexe et non sur les cheveux.

Style de cheveux, couleur, longueur ou texture

Même si l’article 225-1 précise que les distinctions faites en fonction de l’origine, du sexe, de la situation familiale, de la grossesse, de l’apparence physique constituent une discrimination, Serva s’attache à apporter les précisions juridiques nécessaires en incluant la coupe de cheveux, la couleur, la longueur ou la texture. Il faudrait alors inclure cette précision dans les articles du Code du travail et de la fonction publique qui traitent des discriminations.

Parce que la France ne collecte pas de données basées sur la race, l’origine ethnique ou la religion, il n’existe aucune étude nationale sur l’étendue de la discrimination capillaire contre les Noirs en France.

Mais selon une étude américaine réalisée en 2023 par Dove et LinkedIn, les cheveux des femmes noires sont 2,5 fois plus susceptibles d’être perçus comme non professionnels. Et une étude britannique de 2009 citée dans le texte introductif du projet de loi Servas a révélé qu’une femme blonde sur trois se teignait les cheveux en brun pour augmenter ses chances d’être recrutée et d’être perçue comme plus intelligente dans un cadre professionnel.

Serva a également déclaré que la discrimination capillaire affectait les hommes chauves dans une interview accordée à la radio française France info en avril de l’année dernière, affirmant que des chercheurs avaient prouvé que les hommes chauves avaient « 30 pour cent moins de chances de pouvoir gravir les échelons dans leur entreprise ».

Un enjeu de santé publique

Les députés des partis conservateurs Les Républicains et d’extrême droite du Rassemblement national ont critiqué le projet de loi, le qualifiant d’importation de la « logique victime » dans la loi française.

Bel Kenadil dit comprendre comment on peut remettre en question l’existence de quelque chose quand on n’en a pas été victime. En revanche, ajoute-t-elle, pour moi, lorsqu’une seule personne est victime de discrimination, quelle qu’en soit la manière, elle doit être protégée.

Dans une vidéo publiée sur son compte Instagram, l’influenceuse arbore diverses coiffures et assure à tout le monde qu’elle est professionnelle, tandis que la légende dit : Mon apparence n’a rien à voir avec mes compétences.

D’innombrables témoignages de personnes victimes de discrimination en raison de leurs cheveux inondent les commentaires. Quand j’étais jeune étudiante infirmière, on me faisait mettre des tresses, puis on me demandait si elles étaient propres, écrit un adepte. On m’a dit de lisser mes cheveux pour les entretiens d’embauche, déplore un autre. D’autres histoires au-delà de la section commentaires de son profil Instagram ont choqué Bel Kenadil. Une personne aux cheveux blonds s’est vu refuser un emploi parce que sa couleur de cheveux n’était pas assez sérieuse, dit-elle. Une réceptionniste a enregistré un échange au cours duquel son employeur l’a réprimandée en disant : Lors de votre entretien, on vous a dit que vous aviez les cheveux dénoués ou attachés, mais bien coiffés. Qu’est-ce que c’est? Cela ressemble à une crinière de lion.

Le texte explicatif accompagnant le projet de loi Servas sur la discrimination capillaire mentionne l’importance de l’estime de soi et de la confiance personnelle, mais aborde également un facteur de santé important lorsqu’il s’agit de cheveux afro-texturés crépus ou crépus.

Une personne qui ne peut pas porter ses cheveux naturellement dans un cadre professionnel ou éducatif sera contrainte soit de cacher ses cheveux, soit de les changer à l’aide de produits chimiques, peut-on lire dans le texte. C’est loin d’être inoffensif. Les coiffures serrées peuvent éventuellement conduire à une alopécie de traction (perte de cheveux due aux coiffures qui tirent sur les racines), et les produits utilisés pour lisser chimiquement les cheveux peuvent provoquer des brûlures du cuir chevelu.

Une étude réalisée en 2022 par l’Institut national américain de la santé (NIH) a révélé que les femmes qui utilisaient des produits chimiques de lissage des cheveux couraient un risque plus élevé de développer un cancer de l’utérus que les femmes qui n’en utilisaient pas.

C’est la preuve que ce sujet doit être pris au sérieux, insiste Bel Kenadil. Cela ne me dérange pas d’entendre qu’il y a des problèmes plus graves. Mais si tel est notre point de départ, nous ne progresserons jamais sur quoi que ce soit.

Cet article est une traduction de la version originale en français.

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