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Les Algériens français s’installant en Algérie en quête de liberté et d’opportunités

TenereFafa se sent enfin libre dans sa tenue vestimentaire, ses longues écharpes et ses abayas lui couvrant la tête aux pieds.

La jeune femme de 28 ans peut aujourd’hui les porter en Algérie sans les problèmes qu’elle aurait rencontrés en France, son pays d’origine qu’elle a décidé de quitter en 2016, en quête d’une plus grande liberté religieuse.

Fafa, française de troisième génération, issue d’une famille musulmane, dit qu’elle ne s’est jamais sentie mal à l’aise en France jusqu’à ce qu’elle décide de devenir musulmane pratiquante à l’âge adulte.

Selon le portail en ligne allemand Statista, il y a plus de 5,4 millions de Français musulmans, soit environ 8 % de la population.

Lorsque j’ai découvert l’islam, j’ai naturellement adopté un mode de vie religieux conforme à mes principes, et depuis, je ne me sens plus chez moi en France, raconte-t-elle à Al Jazeera.

Nous pourrions facilement finir par être snobés, insultés, voire attaqués. On nous a demandé de changer notre mode de vie. On nous empêche de faire certaines choses ou d’aller dans certains endroits parce que nous sommes voilées.

Fafa est sûre que la marginalisation qu’elle a ressentie n’était pas due à ses origines étrangères, mais plutôt uniquement à son appartenance religieuse.

Mon mari, d’origine française et converti à l’islam, a ressenti la même chose. Ce sentiment de non-appartenance à la France vient clairement du fait d’être musulmans, souligne-t-elle.

une femme portant une abaya marchant dans les rues de Paris
Les femmes musulmanes en France ont été victimes de harcèlement pour leur choix vestimentaire (Dossier : Miguel Medina/AFP)

Ce qui était autrefois une rue à sens unique menant au nord de la France semble désormais être une rue à double sens avec un nombre notable de personnes se dirigeant vers le sud, vers l’Algérie.

Cette mère de trois enfants affirme que le déménagement qu’elle a pris il y a huit ans est la meilleure décision de sa vie.

On se sent épanoui. Le climat est bien plus agréable et serein qu’en France, où règne une atmosphère oppressante. Je me sens chez moi et mon mari aussi, avoue-t-elle.

Arabes de France

De nombreux Algériens croient encore en un avenir meilleur de l’autre côté de la Méditerranée et tentent de sortir d’Algérie par tous les moyens possibles.

Les seuls qui tentent de me dissuader de venir en Algérie, ce sont les Algériens. La plupart d’entre eux estiment qu’il n’y a pas d’opportunités ici, explique Ahmad*, étudiant franco-algérien en sciences politiques de 24 ans.

Pour certains Algériens français en France, le mécontentement face à la manière dont leur pays traite les gens qui leur ressemblent les pousse à fuir.

En décembre, le Parlement français a voté une loi restrictive sur l’immigration, déclenchant des manifestations dans tout le pays et augmentant le désir de quitter la France parmi les enfants d’immigrés.

Alors que la loi a été renvoyée devant le Conseil constitutionnel, qui a décidé le 25 janvier qu’un tiers de ses clauses étaient inconstitutionnelles, la droite, qui avait défendu la loi, s’est engagée à riposter et a appelé à un référendum sur cette loi.

Scène de marché en Algérie
Les personnes qui ont parlé à Al Jazeera ont trouvé le rythme de vie en Algérie plus réconfortant (Dossier : Ryad Kramdi/AFP)

Les articles contestés récupéraient des prestations telles que le regroupement familial, les garanties sociales pour les étudiants étrangers, les permis de séjour basés sur la santé et les prestations sociales telles que les allocations familiales et l’aide au logement.

Il s’agit d’une loi qui va du droit d’asile à l’obtention d’un permis de séjour, en passant par la création de nouveaux permis de séjour et même la définition du séjour irrégulier comme un délit pénal, ce qui, à mon avis, est l’une des mesures les plus dangereuses.

Actuellement, être en situation irrégulière en France n’est pas un délit, a déclaré à Al Jazeera Magda El Haitem, avocate au Barreau de Paris.

Ahmad voit une fracture entre avant et après les attentats de Charlie Hebdo : le racisme et l’islamophobie sont devenus acceptés après 2015. J’étais au lycée, je me souviens que mon professeur me comparait au Hamas.

Une série de drames ont alimenté les craintes de la communauté arabo-musulmane, comme l’assassinat du jeune Nahel par la police française fin juin. Malheureusement, ce n’est pas un événement extraordinaire. C’était juste filmé cette fois, regrette Ahmed.

La tendance croissante à droite du gouvernement français ne rassure pas non plus la communauté.

Gabriel Attal est connu pour sa décision d’interdire l’abaya dans les écoles lorsqu’il était ministre de l’Éducation. Aujourd’hui, il est nommé Premier ministre. Il semblerait que l’islamophobie en France mène à des promotions, ajoute amèrement Ahmad.

nanterre protests
Le meurtre de Nahel a déclenché des manifestations qui ont dégénéré en violences lorsque des policiers en tenue anti-émeute ont affronté des manifestants, le 27 juin 2023 (Zakaria Abdelkafi/AFP)

Alors que ces événements faisaient monter les tensions, des conversations entre Algériens français sur la possibilité de s’installer en Algérie ont émergé sur les réseaux sociaux.

En plus d’échanger des conseils, beaucoup les utilisent pour partager leurs expériences d’islamophobie. Certaines personnes ont parlé des défis auxquels leurs enfants sont confrontés, comme le fait de ne pas avoir de choix de viande halal à l’école ou de se faire dire qu’ils ne peuvent pas prononcer la prière musulmane Bismillah en un seul mot avant de manger.

Pour sa dernière semaine en Algérie après un stage de cinq mois, Ahmed est un homme très occupé mais veut en profiter au maximum. Il ne sait pas quand il reviendra.

Je suis triste de repartir en France. Honnêtement, je ne suis pas prêt à affronter à nouveau cette atmosphère asphyxiante, avoue-t-il.

Il se dit Arabe de France parce qu’il ne se sent pas complètement français ou algérien.

Je suis les deux, mais avec la direction que prend la France, je me sens de moins en moins française. Je ne sais pas si c’est parce que j’ai grandi et que je vois plus clair ou si la situation empire.

Avant ce voyage, Ahmed n’avait visité l’Algérie que quelques fois. Français de deuxième génération, il voit l’Algérie comme une future patrie potentielle.

S’il y a une opportunité pour moi ici, je la saisirai immédiatement.

Force créatrice

Pour certains ayant la double nationalité, le désir de retour est motivé par des intérêts économiques, encouragés par le manque de concurrence et le marché algérien inexploré.

Les Algériens français s'installent en Algérie
Rym Bouguetaa présente pour la première fois son entreprise à Alger (Autorisation de Rym Bouguetaa)

Comme Rym Bouguetaa, l’entrepreneur de 29 ans derrière Eryam Cosmetics qui a décidé de retourner dans le pays que ses parents ont fui dans les années 1990.

Cela a toujours été un rêve. Même si j’étais très bien intégré en France, mon pays de naissance, je me suis toujours senti redevable envers l’Algérie. Je crois que c’est à nous, les enfants d’Algérie, d’aider le pays à évoluer, dit-elle.

Peut-être consciente de cet intérêt, l’Algérie a promulgué en juillet 2022 une nouvelle loi encourageant les investisseurs étrangers et le président Abdelmadjid Tebboune a adressé plusieurs messages à la diaspora comme un appel aux investissements.

Vous avez été ignoré pendant longtemps ; maintenant, vous devez sentir que vous faites partie intégrante de la patrie. Vous êtes une force créatrice. Le pays a besoin de vous, a-t-il déclaré dans un article.

Malgré les efforts du gouvernement, la navigation n’est pas claire.

J’ai dû passer par un an de paperasse avant que mon projet voie le jour. Je suis également confronté à une connexion Internet lente, notamment lors des examens du baccalauréat lorsque le gouvernement coupe Internet pendant une semaine, explique Bouguetaa.

La diaspora devrait s’intéresser davantage à l’Algérie tandis que le gouvernement devrait fournir davantage d’aide et d’encouragement à son retour.

Les efforts de l’extrême droite française pour accroître le flux de personnes d’origine ou d’origine algérienne se rendant en Algérie se poursuivent.

Il s’agit notamment de travailler à l’annulation d’un accord de 1968 entre l’Algérie et la France qui réglemente la circulation, l’emploi et le séjour des ressortissants algériens en France.

Des femmes jettent des roses dans la Seine
La colonisation française et la lutte de libération de l’Algérie lient les deux pays. L’image montre une commémoration de la répression brutale d’une manifestation du 17 octobre 1961 au cours de laquelle au moins 120 Algériens ont été tués alors qu’ils manifestaient en faveur de l’indépendance de l’Algérie, à Paris, le 17 octobre 2021 (Alain Jocard/AFP)

Baptiste Mollard, doctorant au Centre de recherches sociologiques sur le droit et les institutions pénales, estime que cette ambition est de faire pression sur le gouvernement algérien pour qu’il reprenne ses citoyens en séjour irrégulier en France.

Le gouvernement français a un long historique de mesures visant à limiter ce qu’il considère comme un afflux d’Algériens.

En 2021, la France a décidé de réduire de moitié le quota de visas, déclenchant une longue crise diplomatique avec Alger. Cette année-là, seuls 63 000 visas ont été accordés, contre 200 000 à 400 000 les années précédentes.

Plus en arrière, l’accord social Nekkache-Grandval de 1964 a conduit à la création de l’Office national du travail algérien (ONAMO), chargé de la sélection des travailleurs.

La crainte des décideurs d’une immigration massive et anarchique a justifié de nombreuses discriminations, ainsi que des opérations de rapatriement ou d’expulsion à grande échelle, explique Mollard.

Des contrôles sanitaires arbitraires ont été mis en place aux frontières françaises. Elle aboutit souvent à des détentions de plusieurs jours non justifiées par aucune loi dans les locaux de ce qui deviendra plus tard le premier centre de rétention administrative français à Arenc, à Marseille.

Le ministère français de l’Intérieur a également mené une chasse aux faux touristes algériens. Outre une file d’attente spéciale qui leur est réservée dans les ports et aéroports, les touristes algériens soupçonnés de venir travailler ont fait l’objet d’insultes et de harcèlement.

*Nom changé à la demande des personnes interrogées.

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