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La France empêche l’extrême droite de prendre le pouvoir, mais son célèbre « cordon sanitaire » est fissuré

PARIS Déjouant toutes les attentes, la coalition de gauche française a remporté une victoire surprise sur le Rassemblement national populiste, apaisant, pour l’instant, les craintes d’une prise de pouvoir de l’extrême droite dans un pays qui a une longue histoire de maintien de l’extrême droite hors du gouvernement et en marge de la société.

Pendant plus d’un demi-siècle, les partis centristes et de gauche français ont maintenu un pare-feu efficace, connu sous le nom de « cordon sanitaire », ou « front républicain », contre l’extrême droite. Après le premier tour des élections, les partis de gauche et de centre soutenaient les candidats des autres ou persuadaient le candidat le moins plébiscité de se retirer, mettant ainsi en commun leurs voix et ouvrant la voie à la défaite du candidat d’extrême droite.

Ce pare-feu a tenu bon au second tour de scrutin de dimanche, à la surprise des sondeurs qui prédisaient un fort résultat du Rassemblement national et au soulagement des gauchistes et des centristes de toute l’Europe qui scrutent les votes en France à la recherche de signes de courants politiques croisés.

Au premier tour, le Rassemblement national, une version populiste du Front national, a remporté le plus de voix et semblait en passe de prendre le contrôle du Parlement. Puis la gauche s’est alliée à la coalition centriste du président Emmanuel Macron et des centaines de candidats arrivés en troisième position ont abandonné. Cette consolidation a relégué le Rassemblement national à la troisième place du scrutin final, comme le montrent les sondages de sortie des urnes.

« Les Français ont parlé », a concédé Jordan Bardella, 28 ans, le leader du Rassemblement national, qui était sur le point de devenir le prochain Premier ministre français si son parti remportait la victoire dimanche.

Des foules se sont rassemblées dans le centre de Paris dimanche soir après la publication des projections du second tour des élections françaises.Lionel Urman / Panoramique via Reuters

Mais le pare-feu a également montré des signes de fractures, mettant en lumière certaines des mêmes dynamiques qui ont soutenu les partis de droite ailleurs en Europe : des inquiétudes généralisées concernant l’immigration, une frustration face aux impacts économiques de la mondialisation et le sentiment qu’une classe politique bien enracinée a laissé de côté les électeurs pauvres et ruraux.

« Il y a de grosses fissures dans le mur, car il y a une grande partie des électeurs qui se sentent aliénés, abandonnés, ignorés », explique Nicole Bacharan, historienne et politologue à Sciences Po Paris. « Et je ne pense pas que cette colère va disparaître de sitôt ».

Le verdict des urnes plonge la France dans une période d’incertitude politique sans précédent, à la veille des Jeux olympiques d’été. Macron restera président tout en partageant le pouvoir avec un nouveau Premier ministre issu de la coalition de gauche, tandis qu’aucun parti n’aura la majorité au Parlement, ce qui complique les perspectives de gouvernance.

Dans un pavillon niché dans le plus grand parc de Paris, une soirée électorale pour le Rassemblement national a débuté avec un sentiment de victoire à portée de main : les membres du parti en robes de bal et costumes impeccables sont arrivés en cortèges automobiles encombrés de paparazzi.

Une femme vote au premier tour des élections législatives à Saint-Vaast-sur-Seulles, en France, le 30 juin.Artur Widak / Getty Images

Mais lorsque les résultats sont tombés peu après 20 heures, l’ambiance triomphale s’est dissipée, certains candidats évitant les journalistes avant même que Bardella n’ait pris la parole. Les partisans se promenaient sur un parking, des drapeaux français enroulés dans leurs mains.

Lors de son discours, Bardella a souligné les gains considérables de son mouvement malgré sa troisième place. Avec seulement 88 sièges au parlement actuellement, le Rassemblement national est sur le point de dépasser largement les 100 sièges, selon les sondages de sortie des urnes, et il pourrait presque doubler ses effectifs actuels, ce qui aurait été plus difficile à imaginer il y a quelques mois à peine.

« Depuis plusieurs mois, un espoir est né et ne cessera jamais de souffler », a déclaré Bardella. « Ce soir, tout commence ».

Pour les partisans du Rassemblement national et les partis partageant les mêmes idées à travers le continent, il existe d’autres raisons d’espérer qu’une réorganisation de la politique traditionnelle est en cours, qui les rapprochera finalement du pouvoir en Europe.

Macron a appelé à des élections anticipées le mois dernier après la victoire massive du Rassemblement national aux élections du Parlement européen. Ces élections ont également permis à l’AfD, parti d’extrême droite allemand, de gagner des voix, qui partage le scepticisme du Rassemblement national à l’égard du contrôle de l’Union européenne, sa préférence pour une souveraineté nationale renforcée et l’histoire du sentiment anti-immigré de certains de ses membres éminents.

L’AfD et le Rassemblement national ont tous deux obtenu de meilleurs résultats lors de ce vote que les partis au pouvoir, le parti Renaissance d’Emmanuel Macron et les sociaux-démocrates du chancelier allemand Olaf Scholz, soulignant ainsi l’affaiblissement des partis centristes observé en Italie, en France, en Allemagne et dans d’autres pays européens.

Jordan Bardella, leader du parti du Rassemblement national, qui semblait en passe de terminer à la troisième place lors du dernier tour de scrutin dimanche. Daniel Dorko / AFP-Getty Images

« Je ne pense pas qu’un démocrate, quel que soit le pays d’Europe, puisse être rassuré par les résultats en France », a déclaré le politologue Bacharan, qui estime que le déplacement des électeurs du centre rendrait la gouvernance plus difficile. « L’extrême gauche est très, très radicale, incapable de construire un quelconque compromis. C’est donc une impasse. »

Et au Royaume-Uni, bien que le Parti travailliste de centre-gauche ait largement écrasé les conservateurs lors des élections de la semaine dernière, donnant un nouvel espoir à la gauche, les résultats sont également différents : le Parti réformiste naissant du politicien d’extrême droite Nigel Farage a recueilli environ 14 % des voix et a remporté des sièges au Parlement pour la première fois, consolidant ainsi sa place au sein de la classe dirigeante.

Partout en Europe, les partis d’extrême droite qui partagent une idéologie commune mais existent dans des cultures politiques différentes se penchent sur des questions complexes concernant la manière dont ils doivent s’associer les uns aux autres et la meilleure façon de se démarquer sans aliéner une grande partie des électeurs sur lesquels ils comptent pour leur soutien.

Le Rassemblement national, rebaptisé en 2018 dans le cadre d’un effort pour se débarrasser de la stigmatisation associée au passé raciste de l’ancien leader Jean-Marie Le Pen, a publiquement gardé ses distances avec l’AfD allemande. En Italie, la Première ministre Giorgia Meloni, qui a été élue sur un programme d’extrême droite mais a cherché à se donner une réputation plus modérée au pouvoir, s’est irritée des comparaisons avec Marine Le Pen, la fille de Jean-Marie Le Pen et la cheffe du Rassemblement national au Parlement.

Au sein du Parlement européen, les partis d’extrême droite tentent de rejoindre une coalition qui pourrait accroître leur influence si elle était officiellement reconnue par le Parlement. Formé par le Premier ministre hongrois de droite, Viktor Orbn, le nouveau bloc des Patriotes pour l’Europe comprend déjà le Parti de la liberté d’Autriche et le parti tchèque ANO, tandis que des partis d’extrême droite néerlandais et espagnol ont récemment annoncé leur intention de se joindre à eux.

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