La France a besoin d’un nouvel agenda de justice économique pour tous

Les gouvernements successifs ont montré qu’ils ne s’intéressaient à rien de tout cela, tant qu’ils ne sont pas paralysés par des protestations ou des émeutes vigoureuses.

niels planel écrit sur les causes économiques sous-jacentes des récentes manifestations et émeutes en franceLes émeutes ont ramené l’attention sur l’indigence durable des banlieues françaises, désormais peuplées de petits-enfants d’immigrés. (photo Reuters)

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Déclenché par un des policiers ont tiré brutalement sur un adolescentle les émeutes qui ont secoué la France la semaine dernière ont leurs racines dans un crise politique et socio-économique plus profonde. En 2017, par son élection, le président Emmanuel Macron a démantelé un système politique qui avait longtemps alterné entre le Parti socialiste de centre gauche et les Républicains de centre droit, un système dont les Français ne voulaient plus, le jugeant improductif et incapable de changer les choses.

Les bouleversements politiques générés par cette désintégration continuent cependant de se faire sentir jusqu’à aujourd’hui au sein d’une Ve République en crise, et se traduisent par la émergence et consolidation de trois nouvelles forces dans le paysage politiquey compris une gauche fracturée et une extrême droite culturellement puissante, l’extrême concentration du pouvoir entre les mains de la présidence et des manifestations de rue régulières et puissantes qui ont commencé dès la deuxième année du premier mandat présidentiel avec les gilets jaunes, jusqu’au bout à cela jaillit des manifestations contre la réforme des retraites et cet été des émeutes urbaines.

Cela se produit à une époque où, comme de nombreux pays de l’OCDE, la France a vu sa classe moyenne piégée par la stagnation des salaires dans un contexte de mondialisation économique et de délocalisation, ainsi que par un pouvoir d’achat de plus en plus contraint. Alors que le taux de pauvreté en France a progressivement augmenté depuis le début des années 2000, la mobilité sociale reste faible. C’est dans les régions et les banlieues que cela se fait le plus sentir : Opportunités économiques limitées, déserts médicaux, manque de transport, système éducatif défaillant et inégal, activités culturelles limitées, mauvaise orientation, système judiciaire lent à livrer, faiblesse sociale le capital, et même les rares services financiers, entre autres, donnent l’impression que les incarnations de la République se dégradent.

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Face à cette adversité cumulative qui rend la réalisation de soi complexe, voire impossible, tout réajustement structurel, toute injustice, tout sentiment d’inégalité de traitement engendre de profonds sentiments de désespoir, d’amertume et de colère.

Retour à 2023. Les émeutes révolutionnaires ont pour essence d’être souvent fausses sur la forme mais justes sur le fond, a déclaré Victor Hugo. Si l’on ne peut que regretter les destructions matérielles massives causées par une jeunesse souvent obsédée par les réseaux sociaux et rivalisant entre pairs pour tourner les vidéos les plus virales lors d’épisodes de vols ou d’affrontements brutaux avec la police, les émeutes ont également ramené l’attention sur le long- terme d’indigence des banlieues françaises, désormais peuplées de petits-enfants d’immigrés.

En analysant trop longtemps la pauvreté uniquement sous l’angle monétaire et en déclarant que, globalement, les Français sont plus riches que 80 % du reste du monde (sous-entendu, de quoi se plaignent-ils ?), les autorités ont oublié qu’une autre façon de voir la pauvreté , comme le prône le prix Nobel d’économie Amartya Sen, repose sur les capacités que possèdent ou manquent les individus à accomplir leur destin à un moment donné. Aujourd’hui, vivre dans des territoires laissés pour compte dans le contexte de la mondialisation, c’est être privé de sa capacité à réaliser pleinement son potentiel individuel. Cette frustration profonde a été affichée par les gilets jaunes il y a quelques années, et par les émeutiers cet été.

Par ailleurs, les villes les plus pauvres sont souvent celles où les élus ont mis en place une politique de contrôle plutôt que d’aménagement du territoire. Ces responsables, qui occupent souvent plusieurs postes publics, finissent par étouffer toute tentative des jeunes politiciens ou citoyens d’initier des projets de transformation et d’animer leurs communautés. Le simple remplacement d’un homme politique par un autre par le biais des élections ne change plus rien : le même dénuement persiste et frustre davantage des citoyens de plus en plus tentés par l’abstention électorale ou les partis radicaux.

Confrontées à des défis similaires, les zones rurales et les banlieues gagneraient politiquement à s’unir par le biais d’un programme basé sur les classes sociales, d’autant plus dans un Ouest démographiquement vieillissant, où les économies seront bientôt en concurrence pour les immigrants. Au lieu de cela, ils sont dressés les uns contre les autres par l’extrême droite pour des motifs racistes. Ainsi, à une époque d’inégalités sclérosantes, les démunis perdent une fois de plus du terrain au profit des nantis, contribuant à la réémergence d’une société de privilèges où, à l’autre extrémité, les 1% d’héritiers les plus riches bénéficient d’un niveau supérieur. de vie que celle obtenue par les 1% des travailleurs les plus riches et où 8 milliardaires sur 10 héritent de leur richesse.

La particularité des banlieues est que la discrimination endémique, le chômage élevé, l’émigration des familles prospères, la pauvreté concentrée, la ségrégation et une profonde défiance entre la police et les citoyens se sont ajoutés à un contexte déjà instable. Le rétablissement de la police de proximité serait une première étape pour surmonter les défis qui affligent les banlieues, notamment les contrôles d’identité fréquents et humiliants. Mais ce serait loin d’être suffisant.

A long terme, ce dont la France a besoin pour surmonter la sclérose de ses territoires marginalisés, c’est d’un nouvel agenda de justice économique pour tous. Cela nécessiterait toutefois un réajustement des priorités politiques.

Les gouvernements successifs ont montré qu’ils ne s’intéressaient à rien de tout cela, tant qu’ils ne sont pas paralysés par des protestations ou des émeutes vigoureuses. Les décideurs politiques et les élus pourraient changer d’avis lorsque la dirigeante d’extrême droite Marine Le Pen sera au pouvoir. D’ici là, cependant, il sera trop tard.

L’écrivain est professeur invité à Sciences Po à Paris, France, et élu local

L’Indian Express (P) Ltd

Publié pour la première fois le : 09-07-2023 à 07:15 IST

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