France | Cultiver la justice alimentaire – It Takes A Village | Convention agricole et rurale


Au Maquis est une association de justice alimentaire basée dans le petit village provençal de Lauris. Nous avons été initiés à leur travail par notre hôte Marie-Paule lors d’une visite d’initiatives rurales dans le Luberon en juin 2022.
A l’ombre d’une cabane, nous nous sommes assis avec Fanny et Maud qui dirigent la ferme. L’association a un total de huit employés et 1 800 membres, dont plus de 100 bénévoles, qui se réunissent pour grandir et manger, pour bâtir une communauté et pour garder de l’espace. Il faut un village pour cultiver la justice alimentaire.
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Tout a commencé avec un petit groupe d’amis. Nous travaillions dans le travail communautaire et le secteur humanitaire. Nous avions tous travaillé à l’étranger sur des projets de développement ou humanitaires. Nous sommes rentrés fâchés et frustrés par nos expériences : nous n’étions que des pions, nous nous sommes retrouvés à distribuer du riz des surplus américains aux agriculteurs haïtiens. Le riz faisait concurrence à ce qu’ils pouvaient produire localement. Cela n’avait aucun sens !
On s’est rendu compte qu’on pouvait être utiles, ici, en essayant de réduire les inégalités : on voulait faire de l’éducation politique, de la sensibilisation autour de nous et de nous-mêmes pour faire les choses autrement. Nous avons découvert l’énergie, l’éco-construction et l’agriculture grâce à une formation en éco-agriculture dispensée par l’APTE.
La première chose que nous avons faite a été de créer des jardins partagés : ce sont d’excellents endroits pour créer une communauté et poser des questions sur notre alimentation, notre santé et comment cela nous affecte tous. Il est important de créer des espaces accueillants où les gens peuvent se rencontrer. Nous essayons de ne pas être en résistance mais de suivre le flux des motivations de chacun, de pousser là où il y a du mouvement. Il s’agit toujours de la participation des gens. Nous n’avons pas l’impression de prêcher des modèles : nous essayons des choses, expérimentons et voyons ce qui fonctionne.
Pendant deux ans, nous avons appris à cultiver des légumes dans une petite ferme à Mrindol. Nous voulions développer un projet d’accueil pour faire venir du monde, mais ce n’était techniquement pas possible, nous avons donc dû abandonner. Ici, il y avait l’ancien moulin, une belle bâtisse tombée en désuétude. Nous nous sommes adressés à la mairie et lui avons proposé de transformer le moulin en lieu de rencontre, un café de village en plein air. En hiver, c’est surtout la population locale. Cela nous a réunis. Nous nous sommes battus pour obtenir une petite salle qui est devenue l’épicentre de l’association. Le café est ouvert à tous. Même si la majorité des gens sont socialement et écologiquement sensibles, il existe un vrai brassage générationnel.
Créer un hub alimentaire vivant
Nous prévoyons de restaurer le moulin pour créer un pôle alimentaire vivant. L’idée est d’avoir un lieu symbolique en partenariat avec le Parc Naturel du Luberon pour traiter de la question de l’alimentation et réunir producteurs, transformateurs, communes, habitants et entreprises locales… Et pourquoi pas un espace de transformation alimentaire et de maillage de proximité nous nourrir le plus possible dans le respect de nos valeurs.
Cela ne veut pas dire que nous sommes fermés aux autres. Seulement nous avons beaucoup de terres agricoles ici (50 ou 60% sont incultes du fait de la spécialisation agricole et de la politique agricole). Cette terre est irriguée grâce aux travaux du canal de la Durance. Nous avons de l’eau et un soleil incroyable. Ces terres doivent toutes être travaillées et rendues productives, ou bien transformées en bois. Lorsque la question de la souveraineté alimentaire se posera, il faudra commencer à récupérer cette terre et à la travailler. C’est une de nos actions !
Liens ruraux-urbains
Nous travaillons dans un quartier prioritaire [disadvantaged area that receives cohesion investment] à Cavaillon. Nous avons aménagé un petit jardin dans la région. Nous jardinons tous les mercredis. C’est une façon amusante d’apprendre sur l’environnement à travers le jardinage.
Le quartier est isolé et délabré. Cela ne donne pas envie aux jeunes de garder leur espace beau. Ils ont été oubliés. Il n’y a pas de politique publique; nous sommes dans une ville connue pour ses politiques autoritaires.
La chose la plus importante pour nous est de construire une communauté, de faire sortir les gens de leurs appartements et cuisines exigus pour planter, grignoter et s’amuser.
Nous nous rendons également au centre d’accueil des demandeurs d’asile où se trouvent une centaine de résidents (travailleurs migrants retraités, jeunes réfugiés ; une vingtaine d’Ukrainiens sont arrivés ces derniers mois).
Nous commençons toujours par le jardinage et l’alimentation : des outils universels. Nous ne sommes pas tous égaux devant le jardin, car tout le monde ne l’aime pas ou n’a pas la même sensibilité. Mais chacun a une histoire à raconter sur la cuisine et le plaisir de partager des repas.
Depuis trois ans, nous invitons les gens à venir jardiner avec nous (dans la résidence) et nous partageons les repas. Il y a une richesse culinaire incroyable. C’est un espace où, au-delà du jardin, il y a beaucoup à dire, car c’est cosy, différent des relations avec l’institution ou l’assistante sociale. Ces discussions informelles autour du jardin ont fait naître des idées comme une troupe de théâtre multilingue pour explorer les émotions.
Enfin, nous travaillons dans un centre de jour pour personnes vivant dans la rue et en situation de pauvreté. Toujours sur le thème de la gastronomie, avec un petit jardin d’herbes aromatiques. Il a fallu prendre le temps de faire connaissance avec ce groupe, avec dans certains cas des problèmes de santé mentale ou de désespoir. Le COVID y a mis un terme. Depuis six mois, nous avons redémarré des ateliers de cuisine, en petits groupes, sur la préparation des ingrédients et le soin de soi par la cuisine.
De ces expériences et de notre envie de cultiver, Commune Ferme est née. Nous cultivons des aliments avec et pour les personnes vivant dans la pauvreté alimentaire. Nous récupérons les gens de Cavaillon, et pendant que nous travaillons à la ferme, il y a une équipe qui prépare un repas au café du village. Ensuite, nous mangeons ensemble. Le repas est ouvert à tous : ce sont des gens des villages environnants qui viennent, le partage alimentaire communautaire à Cadenet, le Secours Populaire à Lauris [local branch of an anti-poverty charity], des habitants qui aiment le projet et veulent aider dans les champs. Les légumes sont produits et distribués ensemble dans des lieux partenaires.
Sécurité sociale pour l’alimentation
Nous avons mis en place un conseil alimentaire local. Notre assiette est très politique. Cela a un impact énorme sur la façon dont nous grandissons, la façon dont nous abordons notre santé et regardons notre planète. Nous avons tous droit à une alimentation de bonne qualité.
Comment pouvons-nous, en tant que citoyens, agir sur ces questions ? Faut-il attendre une législation pour mettre en place la sécurité sociale pour l’alimentation ?
Nous menons cette expérimentation depuis un an et demi, avec un groupe de 20 à 25 personnes : agriculteurs, retraités, actifs, ruraux et urbains, avec et sans argent. C’est ce que nous voulions : la diversité pour enrichir le débat. La première étape consistait à découvrir ce qu’est la sécurité sociale, comment elle fonctionne, son histoire, ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas. Le groupe de citoyens a abordé toutes ces questions avec l’aide d’experts.
Nous voulons des aliments bio de bonne qualité. Sur le papier c’est bien, mais est-ce qu’on abandonne nos agriculteurs conventionnels ? Abandonnons-nous les supermarchés ? À quoi donnez-vous accès aux produits ? Magasins? Comment allouez-vous le budget ? Ce qui a été défini au niveau national est une enveloppe de 150 par personne et par mois. Peut-on manger sainement avec 150 euros par mois ? Ils testent ça. Nous avons la chance d’avoir une région très riche en fruits et légumes. Ce n’est pas très difficile pour nous d’acheter local, mais est-ce que les gens d’autres régions ont les mêmes possibilités ? Cela nous ramène à la question de la souveraineté alimentaire : ne faut-il manger que local ? Doit-on s’entraider ? Faut-il arrêter de boire du café et de manger du chocolat et du sucre ? Comment gère-t-on un fonds ? Comment redistribue-t-on ? Comment s’impliquer pour fournir une alimentation de qualité au niveau territorial ? Qu’est-ce qu’un territoire ? Qu’est-ce que la démocratie alimentaire ?
Même si la sécurité sociale ne réussit pas, elle alimente beaucoup de questionnements. C’est toujours difficile quand on est dans une discussion théorique d’affirmer que l’expérience peut servir à autre chose. Soit vous tournez en rond et ça ne marche pas, soit les lois commencent à changer. Nous avons beaucoup d’espoir parce qu’il y a quelques politiciens qui sont intéressés.
Parmi les nombreux projets passionnants qui se préparent avec Au Maquis, il y a une cantine communautaire dans la ville voisine de Cavaillon, dans le but de faire réfléchir plus de gens à la nourriture et de tisser de nouveaux liens urbains-ruraux.
En 2023-2024, « Nos Campagnes en Résilience » entame une nouvelle phase d’intégration des points politiques tout en continuant à nourrir ce que nous avons construit ensemble. Désormais rebaptisé projet Résilience Rurale, le périmètre s’est élargi de la France à l’Europe élargie. Pour en savoir plus, visitez la page du projet, suivez-nous sur Instagram, LinkedIn et Facebookou contactez notre coordonnatrice de projet Marie-Lise Breure-Montagne.
Visitez la page du projet Résilience rurale
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