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Fierté et préjugés dans la France du XIXe siècle

Les représentations de lions par les personnalités du mouvement romantique et des types plus académiques révèlent le côté obscur de l’humanité,

Lion de Tunis (c. 1798), Nicolas Marchal. Musum National dHistoire Naturelle, Paris

Tiré du numéro de février 2024 d’Apollo. Prévisualisez et abonnez-vous ici.

La nouvelle étude de Katie Hornstein sur les lions dans la France du XIXe siècle découle de deux paradoxes. Premièrement, la prolifération des lions dans l’art, leur visibilité stupéfiante en tant que sujets pour les peintres, sculpteurs et photographes, étaient indissociables de leur disparition dans la nature. Deuxièmement, l’aspiration à représenter ces créatures aussi fidèlement que possible, sans projection ni interférence humaine, reposait elle-même sur l’accès aux animaux sauvages offert par les zoos et les spectacles commerciaux. Hornstein documente à la fois l’expérience des lions réels, clairement individualisés dans son récit, et les fantasmes culturels produits par la rencontre avec de tels lions dans les conditions artificielles et souvent exiguës du spectateur moderne. Le résultat est une analyse pénétrante et souvent inconfortable du prix payé par les animaux pour le désir de proximité des humains avec eux. À travers cinq études de cas, Hornstein expose un lien direct entre la crise écologique à laquelle sont confrontés les lions sauvages et leur circulation en tant que représentations visuelles et figures du désir colonial français.

Le tournant animalier est aujourd’hui ascendant dans l’histoire de l’art, comme en témoigne l’attention renouvelée portée au maître animaliers comme Edwin Landseer et Rosa Bonheur (tous deux discutés ici). Hornstein soutient que loin d’être un genre mineur et pittoresque, la peinture animalière du XIXe siècle avait des implications politiques, philosophiques et sexuelles, mêlées à la science, à l’esclavage et à l’empire. Son livre défend également l’ambition de traiter les animaux eux-mêmes comme des agents plus actifs de l’histoire de l’art. C’est plus facile à dire qu’à faire et, comme elle le reconnaît, implique une certaine part de spéculation et d’écriture expérimentale, travaillant aux limites de l’anthropomorphisme. Il est impossible d’échapper aux niveaux de violence et de souffrance infligés à ces créatures, même si elle enregistre avec diligence leurs noms autant que possible, afin que nous ne les oubliions pas.

Mythe et ménagerie commence en 1794, lorsque l’incorporation de la ménagerie royale au Jardin des Plantes, le jardin zoologique du Musum National d’Histoire Naturelle, crée une nouvelle institution accessible au public pour l’étude des animaux sauvages. En tant que type de mégafaune charismatique la plus annoncée, les lions étaient considérés comme essentiels au statut et à l’attrait des institutions. Deux lions de Tunis appelés Marc et Constantin défilent en triomphe dans les rues de Paris en 1798, devant le cortège d’œuvres d’art pillées en Italie. Le couple jouit ensuite d’un statut de quasi-célébrité, renforcé par le fait que Constantin a donné naissance à une portée de trois oursons à l’occasion du premier anniversaire du coup d’État de Napoléon du 18 brumaire. Un portrait extrêmement détaillé des lions par Nicolas Marchal (dont les peintures sur vélin faisaient pour les animaux du Jardin des Plantes ce que Redout faisait pour la flore) a innové en capturant leurs identités particulières, plutôt que de les traiter comme un type universel. Plus fascinant encore est le portrait de groupe de la famille des lions par Jean-Baptiste Huet, exposé au Salon de 1802. La décision de Huet de doter les visages des lions d’expressions humaines de sentiments (inspirées des dessins de Charles Le Brun, alors exposés au Louvre ) confère au tableau une étrangeté hallucinante. Compte tenu du lien de longue date entre les lions et l’autorité royale, il n’est pas exagéré de détecter un écho de représentations antérieures de Louis XVI captif et de sa famille.

La possibilité de voir des lions au Jardin des Plantes a suscité des réactions divergentes parmi les artistes de la période romantique. Pour Thodore Gricault, venu voir les lions alors qu’il était soigné pour une maladie mentale, le lion possédait une intériorité obsédante ; son profil sensible et rapproché d’une lionne de c. 1819 capture un individu avec une profondeur psychologique. Antoine-Louis Barye et Eugne Delacroix furent plutôt invités à assister à une dissection de lion en 1829. Barye réalisa un moulage d’un lion mort après l’avoir écorché, tandis que Delacroix réalisa des exercices de réanimation artistique, une série de croquis au crayon dans lesquels il restitua l’état d’origine. cadavres les mouvements et les postures qu’ils auraient possédés de leur vivant, cherchant à comprendre les créatures de l’intérieur.

Le récit de Hornstein sur le sort des lions amenés à Paris après la colonisation de l’Algérie est profondément touchant. En 1838 et 1839, 5 448 lions, hyènes et panthères furent importés en France, leur nombre s’élevant à 7 970 en 1840 : un nombre impressionnant d’animaux retirés d’Afrique. Généralement présentés comme des trophées par les officiers coloniaux, ces lions capturés dans le Jardin des Plantes avaient tendance à ne survivre que quelques années, voire quelques mois, leurs souffrances étant amplifiées par une surveillance constante. Pendant ce temps, encouragé par une prime imposée par le général Bugeaud en 1844, le lion de Barbarie était chassé jusqu’à l’extinction. Ardent colonialiste, Horace Vernet en Chasse au lion (1836) ont rapporté comment les chasseurs utilisaient les petits comme leurre pour attirer et tuer leur mère. Hornstein est attentif au décalage entre l’héroïsme supposé du combat contre les lions, immortalisé par l’Antiquité et par Rubens, et ses manifestations modernes déprimantes. Dans cette veine, elle interprète le portrait d’Eugne Pertuiset, chasseur de lions atteint de goutte, par Douard Manets en 1881, comme un commentaire sur le caractère dégradé de la chasse à l’ère industrielle.

Mythe et ménagerie montre comment les multiples formes de culture visuelle du XIXe siècle étaient mêlées non seulement à des lions particuliers, mais aussi à des chasseurs et à des dompteurs de lions (dompteurs) et les pratiques de la taxidermie. Tandis que les artistes nourrissaient le mythe du lion à l’état de nature, Hornstein restitue la contrainte et les cages qui ont rendu le mythe possible, à l’aide de sources rares comme le fin-de-sicle archives photographiques de Gustave Soury. Il s’agit d’une analyse brillante mais aussi qui donne à réfléchir des images produites par et autour d’un désastre écologique d’origine humaine. C’est aussi un livre intensément personnel, marqué par la captivité forcée de Covid et la mort de la chatte de smoking bien-aimée de l’auteur, Myszka, ainsi que celle de sa propre mère. Le livre est dédié aux deux, dans cet ordre.

Mythe et ménagerie : voir les lions au XIXe siècle de Katie Hornstein est publié par Yale University Press.

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