Comment la France a appris à accepter la victoire

L’Angleterre se fait peu d’amis en France ce mois-ci. C’est l’équipe de rugby, et non ses supporters, dont l’abondance, la soif et la bonhomie en ont fait les favoris des tenanciers de bars de la côte méditerranéenne.

Mais qui n’aurait pas besoin d’un verre ou deux pour atténuer l’ennui de regarder l’Angleterre lors de cette Coupe du Monde ? Il est juste de dire qu’ils n’ont pas encore enflammé le tournoi, même s’ils ont endormi de nombreux fans neutres.

Les experts français sont particulièrement critiques. Dans un commentaire sur TF1 dimanche soir, l’ancien ailier des Bleus Thomas Lombard a qualifié l’Angleterre de stérile ; son ancien coéquipier, Olivier Magne, s’est montré plus tranchant, rageant sur les réseaux sociaux que le rugby de Steve Borthwick est moche – pas d’envie, pas de joie, pas de cohérence. C’est répugnant.

Quant au Midi Olympique, dans son édition de lundi, il a qualifié le style anglais d’ennuyeux, et l’ancien trois-quarts français Pierre Villepreux a déclaré que le jeu au pied de l’Angleterre était incompatible avec l’esprit du jeu.

L’équipe anglaise est consciente de ses détracteurs, parmi lesquels de nombreux joueurs de son pays, mais en défendant la façon dont elle a joué contre l’Argentine et le Japon, l’ouvreur George Ford a déclaré : Nous sommes là pour gagner des matchs, n’est-ce pas ? C’est notre travail. Nous voulons gagner des matchs tests.

Olivier Magne
Olivier Magne s’est montré particulièrement critique à l’égard du style de jeu de l’Angleterre mais porte toujours les cicatrices de l’élimination des Bleus de la Coupe du monde 2003 (Photo ODD ANDERSEN/Getty Images)

Certaines moqueries françaises ne sont que des plaisanteries sur le rugby, même si dans le cas de Magnes, le vitriol de son attaque suggère qu’il n’a toujours pas accepté la demi-finale de la Coupe du monde 2003. Par une nuit pluvieuse à Sydney, la botte de Jonny Wilkinson a expulsé la France de la Coupe du Monde, l’ouvreur anglais marquant tous les points de son équipe lors de la défaite 24-7 contre Magnes France.

Cela s’appelle gagner moche, Olivier, comme vous le savez bien car la France est devenue plutôt adepte de ce métier ces dernières saisons.

L’année dernière, lors des matches internationaux d’automne, la France a battu l’Australie 30-29 et l’Afrique du Sud 30-26 lors de week-ends consécutifs. Pourtant, combien de supporters français se souviennent que leurs garçons n’ont marqué que deux essais à chaque match ? Ce n’est pas vraiment le légendaire style français. De même, lors de ses deux premiers matches de Coupe du Monde, contre la Nouvelle-Zélande et l’Uruguay, la France a marqué cinq essais, soit un de plus que l’Angleterre. Hormis leur performance en deuxième mi-temps contre les All Blacks, les Bleus ont été peu inspirés et imprécis jusqu’à présent dans le tournoi. Mais ils sont en tête de la poule A. Comme l’a dit Fabien Galthi, lorsqu’on lui a demandé la semaine dernière s’il n’était pas un peu déçu de la manière dont la victoire contre l’Uruguay s’est déroulée : L’important est de gagner. Nous ne sommes pas là pour faire un spectacle.

Laporte a été critiqué pour avoir gagné de manière moche. Ainsi, contre le Pays de Galles, il a envoyé la France pour divertir, et elle a perdu à domicile 24-18. Comment le pays a-t-il réagi ? Laporte a été inondé de messages de gratitude de supporters ravis du panache affiché

Magne et Lombard sont issus d’une époque où ce qui comptait dans le rugby français était le style et non le résultat. Bernard Laporte a tenté de changer cet état d’esprit lorsqu’il est devenu entraîneur après la Coupe du monde de 1999, mais il s’est heurté à la résistance des joueurs, des experts et des supporters.

Lors des Six Nations 2005, par exemple, la France a battu l’Écosse et l’Angleterre lors de leurs deux premiers matches avec un plan de jeu austère, marquant un seul essai en 160 minutes de rugby ; Laporte a été critiqué pour avoir gagné de manière moche. Ainsi, contre le Pays de Galles, il a envoyé la France pour divertir, et ils ont perdu à domicile 24-18.

Comment le pays a-t-il réagi ? Laporte a été inondé de messages de gratitude de supporters ravis du panache affiché lors de la défaite. «C’est fou», remarque Laporte. « J’ai l’impression que nous avons gagné plutôt que perdu. »

France contre Angleterre
En 2015, la France a perdu 55-35 contre l’Angleterre aux Six Nations et les supporters étaient heureux car ils ont joué avec un abandon négligent (Photo ADRIAN DENNIS/Getty Images)

Il y avait des exceptions à cette approche chimérique, Galthi étant la plus notable. Contrairement à beaucoup de sa génération, Galthi a joué avec sa tête plus qu’avec son cœur, un demi de mêlée cérébral dont les rêves ont été brisés par l’Australie en finale de 1999, puis par l’Angleterre en demi-finale quatre ans plus tard.

L’obsession de la France pour le style a duré jusqu’à la fin de ce siècle ; Lorsqu’ils ont perdu contre l’Angleterre 55-35 lors de la dernière journée des Six Nations 2015, la réponse prédominante en France n’a pas été l’embarras de divulguer un nombre record de points au vieil ennemi, mais plutôt une fierté tranquille d’avoir marqué un nombre record de points. Merci les Bleus, Bravo les Anglais ! » était un titre.

En d’autres termes, la France était devenue la plus pitoyable des entités sportives : le courageux perdant.

La France a remporté son premier titre en 12 ans en 2022, un triomphe construit sur une défense de fer, dirigée par Shaun Edwards, et une stratégie de ce que Galthie a appelé la dépossession : donner un coup de pied à l’opposition et la laisser commettre l’erreur.

Il a fallu les efforts nécessaires de Laporte et de Galthi pour débarrasser la France de cette philosophie paralysante, aidés par l’émergence d’une génération d’acteurs plus intransigeants que leurs insouciants prédécesseurs. Après que la France ait terminé deuxième derrière le Pays de Galles lors des Six Nations 2021, Antoine Dupont a fait peu de cas de la suggestion d’un journaliste selon laquelle l’équipe devrait être satisfaite de sa saison. Nous allons dans la bonne direction, a-t-il concédé. Mais en même temps, cela ne me donne aucune satisfaction de dire : Bien, nous avons été finalistes des Six Nations. Dans dix ans, personne n’en parlera. Ce qui compte, ce sont les titres.

La France a remporté son premier titre en 12 ans en 2022, un Grand Chelem des Six Nations, un triomphe construit sur une défense de fer, dirigée par Shaun Edwards, et une stratégie de ce que Galthie a appelé la dépossession : donner un coup de pied à l’opposition et la laisser prendre le dessus. erreur.

Il a été déployé pour la première fois avec beaucoup d’effet lors de la victoire de la France lors de la Coupe d’automne des nations contre l’Italie en novembre 2020. Nous avons donné 47 coups de pied, avec un bon taux de réussite de 86 %, Galthi. C’est suffisant pour qu’une équipe aille dans la bonne direction.

Antoine Dupont
La France a décidé d’agir davantage dans le cadre d’une stratégie concertée et Antoine Dupont est plus qu’heureux de lancer le ballon (Photo de Levan Verdzeuli/Getty Images)

L’entraîneur de l’attaque des Galthiés, Laurent Labit, a justifié la stratégie de dépossession dans une interview en février 2021. Les défenses sont de plus en plus serrées, et il y a beaucoup de joueurs en première ligne, expliquait-il. Cela nous laisse de l’espace sur les flancs et à l’arrière. Il faut savoir les utiliser pour mettre la pression sur ses adversaires, c’est pour cela que le jeu au pied est si important dans le rugby aujourd’hui.

La France a été plus expansive lors des Six Nations 2023 qu’elle ne l’était en remportant le titre l’année précédente, marquant 21 essais contre 17 en 2022.

Le centime semble avoir baissé chez les Français. Il vaut mieux gagner moche que perdre joliment.

C’est le pragmatisme de Galthie et de son équipe ; il s’est forgé un effectif capable de s’adapter à l’opposition et aux éléments, ainsi que, espère-t-il, à la pression de la Coupe du monde de rugby.

Les Français semblent, dans leur grande majorité, avoir adhéré à cette approche. Dans un podcast du Midi Olympique, après la défaite 27-13 contre l’Uruguay la semaine dernière, les journalistes du journal comparaient cette équipe de France de rugby à l’équipe de football vainqueur de la Coupe du monde 2018. Ce n’est pas la plus flamboyante des équipes mais celle qui a la discipline et le pragmatisme pour gagner des matches.

Finalement, le centime semble donc avoir baissé chez les Français. Il vaut mieux gagner moche que perdre joliment.

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