Améliorer la vie au travail en France et dans l’UE

En France, le débat passe d’une vie professionnelle plus longue à une vie professionnelle meilleure, écrit Sofia Fernandes, mais c’est un défi à l’échelle européenne.

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La France a un code du travail volumineux mais sa qualité de l’emploi est relativement médiocre (Gerard Bottino / shutterstock.com)

En septembre, les Français verront leur vie active allongée avec l’entrée en vigueur de la réforme des retraites, qui prévoit de repousser progressivement l’âge légal de la retraite de 62 à 64 ans. Cette réforme a été adoptée malgré l’opposition de tous les syndicats et d’environ 70 % de la population, entraînant l’une des plus fortes contestations sociales en France depuis trois décennies.

Dans la foulée de son adoption, le président Emmanuel Macron a cherché à apaiser les syndicats, ouvrant un débat sur l’amélioration de la qualité de vie au travail en vue d’un Pacte sur la vie au travail. C’est un débat nécessaire et une initiative bienvenue mais son arrivée tardive ne peut qu’être déplorée. En effet, comme le demandent notamment le Confédération française démocratique du travail (CFDT), le débat aurait dû précéder celui sur l’allongement de la vie au travail : travailler mieux doit passer avant de travailler plus longtemps.

Défi urgent

Ce débat doit contribuer à apaiser les relations avec les syndicats en ouvrant la voie à l’amélioration de la qualité de l’emploi et du travail en France. Il s’agit d’un défi d’autant plus urgent que de nombreuses enquêtes et études mettent en évidence une malaise en France quand il s’agit de travailler.

En mars, l’Institut syndical européen a présenté une mise à jour de son indice évaluant la qualité de l’emploi en Europe. L’Indice de la qualité de l’emploi de l’ETUI est basé sur six dimensions : les salaires, les formes d’emploi et la sécurité de l’emploi, le temps de travail/l’équilibre entre vie professionnelle et vie privée, les conditions de travail, le développement des compétences/de la carrière et la représentation collective. La France occupe la 16e place, les meilleurs élèves étant le Danemark, la Suède, les Pays-Bas, le Luxembourg, l’Autriche, la Finlande et l’Allemagne. La France se situe en dessous de la moyenne européenne sur trois des six dimensions : la qualité des revenus, les conditions de travail et l’évolution des compétences/carrières.

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En effet, la performance relative de la France s’est détériorée : le pays occupait la neuvième place de l’indice en 2015. L’enquête européenne sur les conditions de travail dresse un tableau similaire et présente des indicateurs de la mauvaise performance de la France, notamment une exposition plus élevée des salariés aux contraintes physiques et psychologiques. pressions, un accès réduit à la formation et une représentation limitée des employés.

Cela se traduit notamment par la santé des travailleurs et, par voie de conséquence, les performances des entreprises avec un taux d’absentéisme atteignant un taux record en France en 2022. Les arrêts de travail ont augmenté de 30 % en dix ans, l’augmentation des troubles psychiques en étant en grande partie responsable. Trente-neuf pour cent des actifs français déclarent que leur santé est menacée en raison de leur activité professionnelle, soit six points de pourcentage de plus que la moyenne des actifs européens.

Pénuries de main-d’œuvre

L’amélioration de l’emploi et des conditions de travail doit être un objectif en soi mais apparaît aussi aujourd’hui comme un moyen de répondre à un enjeu majeur du marché du travail français. Comme beaucoup d’autres pays européens, la France fait face à des pénuries de main-d’œuvre qui s’accroissent dans de nombreux secteurs, notamment la construction, l’hôtellerie-restauration, la santé et les soins à la personne. Pourtant, la France est encore loin du plein emploi, que Macron espère atteindre d’ici la fin de son quinquennat en 2027. Même si le chômage est au plus bas depuis 15 ans (7 %), il reste supérieur à la moyenne européenne (5,9 pour cent). cent).

De nombreuses raisons expliquent cette combinaison de chômage toujours élevé et de pénurie de main-d’œuvre. L’inadéquation entre la demande et l’offre de compétences en est certainement une, et non des moindres. Le renforcement des compétences des travailleurs est impératif dans ce contexte. Mais, comme le souligne Eurofound, le développement des compétences des travailleurs ne suffira pas à résoudre le problème des pénuries de main-d’œuvre.

Parmi les solutions à apporter, l’amélioration de la qualité de l’emploi, pour rendre les emplois plus attractifs, est essentielle. D’autant plus que les doubles transitions en cours numérique et verte entraînent des transformations rapides et profondes du marché du travail. Celles-ci ont des impacts importants sur la quantité et la qualité de l’emploi qu’il faut anticiper et orienter.

Pas de tâche facile

Dans le cadre de ce nouveau Pacte pour la Vie Professionnelle, les partenaires sociaux doivent négocier et traduire en propositions concrètes les bonnes intentions des présidents : améliorer les revenus des salariés, mieux partager les richesses, améliorer les conditions de travail, faire évoluer les carrières, trouver des solutions à l’usure professionnelle ou aider à la reconversion et accroître l’emploi des seniors. Sur ce dernier aspect, le pacte devrait reprendre les dispositions de la réforme des retraites censurées par le Conseil constitutionnel, comme un indice d’emploi des seniors au niveau de l’entreprise et un CDI senior, exonéré de certaines cotisations, facilitant le recrutement de salariés de longue – les demandeurs d’emploi à durée déterminée de plus de 60 ans.

Les négociations doivent également se fonder sur les recommandations du Assises du travail, instance lancée en décembre dernier pour réfléchir à l’avenir du travail et à son sens. Ces recommandations sont structurées autour de quatre axes :

  • favoriser une gestion accessible qui implique davantage les travailleurs ;
  • adapter l’organisation du travail, favoriser l’équilibre entre vie professionnelle et vie privée et accompagner les transitions des travailleurs ;
  • garantir des droits effectifs et transférables aux travailleurs tout au long de leur carrière professionnelle, et
  • préserver la santé physique et mentale des travailleurs.

Renouer le dialogue avec les syndicats suite à la réforme des retraites ne sera pas une mince affaire pour le gouvernement, malgré l’arrivée de nouveaux dirigeants à la tête des deux principales confédérations françaises : Marylise Lon à la CFDT et Sophie Binet à la Confédération générale du travail. Les partenaires sociaux ont cependant la responsabilité de saisir cette opportunité, car l’amélioration de la qualité de la vie au travail, si elle ne doit pas précéder son extension, doit au moins l’accompagner. Ce pacte sera certes moins médiatisé et moins mobilisateur mais il est tout aussi important.

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Question clé pour l’Europe

La qualité de l’emploi et du travail est une question clé pour la France mais aussi pour ses partenaires européens. Deux rapports récents de la Commission européenne sur l’évolution de l’emploi et de la situation sociale en Europe 2023 et le rapport de prospective stratégique 2023 soulignent son importance et l’ampleur du défi. Face aux pénuries de main-d’œuvre et aux carrières plus longues, la direction à prendre est le développement des compétences des travailleurs et l’amélioration de la qualité de l’emploi.

Cette question n’est pas nouvelle : il y a plus de 20 ans, l’Union européenne définissait les indicateurs de Laeken relatifs à la qualité du travail, et de nombreuses initiatives européennes législatives et non législatives ont contribué, dans les limites des compétences de l’UE, à améliorer sa qualité. L’action européenne porte notamment sur les conditions de travail, la lutte contre les discriminations, l’équilibre entre vie professionnelle et vie privée, la formation ou encore la santé et la sécurité au travail. En cette Année européenne des compétences, de nombreuses initiatives promeuvent l’apprentissage tout au long de la vie.

Sur un autre dossier, la commission a adopté le mois dernier une communication sur une approche globale de la santé mentale, qui comprend un volet essentiel sur la santé mentale au travail. Conformément à un appel du Parlement européen en mars 2022, cela devrait se traduire par une proposition législative sur la gestion des risques psychosociaux et le bien-être au travail, même si la commission reste hésitante sur ce point. Selon la commission, le coût total des problèmes de santé mentale avant la pandémie, y compris l’impact sur les systèmes de santé et les programmes de sécurité sociale, ainsi que la baisse de l’emploi et de la productivité, était estimé à plus de 4 % du produit intérieur brut en Europe, soit plus de 600 milliards par an.

Défi de taille

Ces initiatives sont les bienvenues mais il faut passer à la vitesse supérieure. Le défi est de taille et concerne tous les pays de l’UE. La commission doit jouer pleinement son rôle de coordination et d’appui à l’action nationale. Le commissaire à l’emploi et aux droits sociaux, Nicolas Schmit, a défendu la semaine de quatre jours comme l’une des solutions à la pénurie de main-d’œuvre en Europe. De nombreuses expériences sont en cours dans toute l’UE; sur un canevas plus large, la commission doit saisir ce débat pour alimenter la réflexion sur la flexibilité de l’organisation du travail.

Le rapport stratégique de prospective souligne la nécessité de se concentrer sur le bien-être des générations actuelles et futures, et la qualité du travail doit être au cœur de l’agenda européen, notamment dans la perspective de la campagne pour les élections européennes de 2024 et du programme prospectif de la prochaine commission. Cela peut être un levier pour la performance sociale et économique de l’UE mais aussi une réponse aux attentes des citoyens européens.

Il s’agit d’une publication conjointe de Europe sociale et IPS-Journal


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Sofia Fernandes est chargée de recherche à l’Institut Jacques Delors (Paris) et directrice du Académie Notre Europe. Ses recherches portent sur les politiques européennes de l’emploi et sociales et la gouvernance économique européenne.

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