Changement de régime – La France inaugure une nouvelle ère pour les recours collectifs
La législation vise à simplifier et à harmoniser le cadre fragmenté des recours collectifs du pays
Le 8 mars 2023, l’Assemblée nationale française a adopté à l’unanimité une proposition de loi visant à harmoniser et simplifier le cadre juridique des actions de groupe en France. Le texte doit maintenant être approuvé par le Sénat.
Le projet de loi a été déposé par les députés Laurence Vichnievsky et Philippe Gosselin, auteurs d’un rapport parlementaire en 2020 qui évaluait le cadre juridique des actions de groupe en France, ayant tiré un bilan décevant du régime actuel. Comme indiqué dans leur rapport, seules 32 actions de groupe ont été introduites depuis leur création en 2014, et parmi celles-ci, seules six ont eu une issue positive pour les demandeurs (trois jugements en responsabilité pour les défendeurs et trois accords à l’amiable)
À la lumière de ces conclusions, l’avant-projet de loi tente de relancer le recours aux recours collectifs en simplifiant l’accès aux procédures pertinentes, en assurant une meilleure indemnisation des victimes et en réduisant les délais. Il envisage également de tenir compte des orientations de la directive européenne 2020/1828 du 25 novembre 2020 sur les actions représentatives pour la protection des intérêts collectifs des consommateurs. À cette fin, le projet de loi reprend plusieurs des recommandations émises par le rapport parlementaire de 2020.
Les dispositions légales de ce nouveau régime s’inscriront dans un cadre juridique distinct, et non dans le Code civil français, comme initialement prévu, suite à la recommandation de la Cour administrative de cassation (« Conseil d’Etat« ).[1]
Principales modifications du régime existant
Le principal changement est la création d’un cadre procédural unique et commun pour les recours collectifs. Initialement introduites en 2014 pour les litiges de consommation, les actions de groupe ont ensuite été étendues en 2016 au secteur de la santé, à l’environnement, à la discrimination, à la protection des données personnelles, et enfin, en 2018, aux litiges relatifs à la location de logements. Sources de complexité et de confusion, le projet de loi entend supprimer les régimes particuliers prévus par des dispositions juridiques fragmentées et, par conséquent, créer un cadre juridique unique pour toutes les matières civiles. A cet effet, les recours collectifs ont désormais une définition uniforme et les objectifs ont été généralisés. Ainsi, une action collective peut être intentée pour faire cesser une infraction ou pour compenser un préjudice, quel que soit le secteur concerné par l’action.
Le texte élargit également les conditions de recevabilité des recours collectifs en étendant les entités qualifiées habilitées à ester en justice aux :
- les associations sans but lucratif enregistrées depuis au moins deux ans (contre cinq ans actuellement) ;
- ad hoc les associations sans but lucratif composées d’au moins 50 personnes physiques, placées dans une situation de dommage analogue, ou d’au moins cinq personnes morales ou cinq collectivités territoriales ; et
- le ministère public, ainsi que d’autres entités autorisées dans d’autres États membres de l’UE à intenter des actions transfrontalières conformément à la directive 2020/1828.
Afin d’éviter tout abus de procédure par les demandeurs de mauvaise foi, la nouvelle loi leur imposera l’obligation de produire une attestation sur l’honneur qu’ils ne poursuivent pas un stratagème à but lucratif.
Elle étend également le champ des dommages permettant une indemnisation intégrale, quelle que soit leur nature (matérielle, physique ou morale) dans tous les domaines.
Le texte prévoit en outre la compétence exclusive des juridictions judiciaires françaises spécialisées pour statuer sur les recours collectifs, malgré l’opposition du Conseil national du barreau français.[2]
Ces juridictions spécialisées disposeront de nouveaux outils pour favoriser le recours aux recours collectifs et assurer leur efficacité. Selon les nouvelles dispositions, ils peuvent ordonner à l’État de prendre en charge, en tout ou en partie, les frais liés aux mesures d’instruction lorsque l’action est jugée recevable ou encore de supporter tout ou partie des frais exposés par les demandeurs, même lorsque l’action est rejeté.
Concernant la question du tiers financement, l’avant-projet de loi semble exclure cette possibilité puisque les entités qualifiées doivent produire une attestation sur l’honneur selon laquelle le financeur n’a aucun intérêt économique à introduire l’action. En pratique, on voit mal comment un tiers bailleur de fonds soutiendra un recours collectif sans avoir un intérêt économique dans la procédure.
Les tribunaux auront également la possibilité d’imposer une sanction civile, à la demande du ministère public ou du gouvernement, lorsque le professionnel a délibérément commis une faute qui a ensuite causé des dommages en série afin d’en tirer un profit indu. Le montant de la sanction dépendra de la gravité de l’infraction et du profit réalisé mais ne pourra excéder le double du profit réel pour une personne physique, ainsi que 3% du chiffre d’affaires annuel (hors taxes) en France pour une personne morale.
De plus, l’avant-projet de loi prévoit que toute clause contractuelle ou commerciale empêchant un client de faire partie d’un recours collectif sera déclarée nulle et non avenue.
Enfin, la proposition prévoit également l’établissement d’un registre national et public des recours collectifs pendants devant toutes les juridictions, dont la tenue sera confiée au ministre de la justice.
Mise en vigueur
Le nouveau projet de loi, une fois adopté, ne serait opposable qu’aux recours collectifs introduits après sa publication, à l’exception des dispositions relatives aux sanctions civiles, qui pourraient s’appliquer aux actions intentées avant la publication de la loi. Toutefois, il ne s’agirait que d’événements engageant la responsabilité du défendeur, qui seraient survenus après son entrée en vigueur.
Une fois le projet de loi adopté, une révision complète de cette loi sera menée tous les quatre ans pour déterminer si les objectifs ambitieux de la réforme ont été atteints.