Violence en Nouvelle-Calédonie : les troubles sur l’île au trésor française révèlent la ligne de fracture coloniale
Des gens manifestent alors que le cortège du président français Emmanuel Macron passe devant Nouméa, le territoire français du Pacifique en Nouvelle-Calédonie, le 23 mai 2024. LUDOVIC MARIN/Pool via REUTERS
Une « insurrection » à l’extrême sud-est du monde laisse la France nerveuse en plein Festival de Cannes. Six personnes, dont deux policiers, ont été tuées et des centaines de personnes blessées dans les émeutes, pillages et incendies criminels qui ont récemment touché la Nouvelle-Calédonie. La Grande Terre, la principale île en forme de cigarette, est en feu.
L’archipel, situé entre l’Australie et les Fidji, est actuellement soumis à l’état d’urgence avec un couvre-feu du crépuscule à l’aube. Un millier de policiers sont arrivés de France par avion pour renforcer la sécurité intérieure. Le président français Emmanuel Macron, arrivé à Nouméa après 24 heures de vol, a déclaré qu’il n’avait pas prévu cette épidémie. Il a assuré maintenir le personnel déployé dans l’archipel aussi longtemps que nécessaire, même lors des Jeux olympiques et paralympiques d’été de Paris plus tard cette année.
Le président Macron n’aurait pas dû être aussi naïf. La Nouvelle-Calédonie a une histoire sanglante majeure dans les années 1980, sans oublier le massacre de la grotte d’Ouvéa (mai 1988) et l’assassinat de Jean-Marie Tjibaou (mai 1989), le leader kanak défenseur de l’indépendance de la Nouvelle-Calédonie. Le cycle de violence actuel est précipité par des réformes électorales controversées récemment approuvées par les deux chambres du Parlement à Paris. Il affranchit environ 25 000 nouveaux migrants qui ont quitté la France métropolitaine vers la Nouvelle-Calédonie, un territoire français d’outre-mer au cours de ce siècle. Cela risque de marginaliser davantage les électeurs autochtones kanak. La Nouvelle-Calédonie, selon un chiffre de la BBC, compte 300 000 habitants, dont 112 000 Kanaks. Cependant, selon un reportage de France 24, Macron a déclaré qu’il s’abstiendrait désormais de poursuivre les réformes controversées.
Les personnes extérieures au monde francophone pourraient être surprises de l’intérêt politique français pour le Pacifique Sud, qui contraint un président français à prendre en urgence un vol long-courrier de 16 000 kilomètres. Cependant, la France se considère comme la première (et la seule) puissance européenne résidant dans le Pacifique. Il exerce son pouvoir dans la région à travers ses territoires souverains comme la Nouvelle-Calédonie, la Polynésie française, Wallis et Futuna et l’île de Clipperton. Ce sont des vestiges du colonialisme français qui liait autrefois le globe à ses tentacules. À son apogée dans les années 1920 et 1930, raconte Robert Aldrich (1996), la France et ses domaines d’outre-mer, ce que certains appelaient la grande France (la plus grande France), englobaient 11 millions de kilomètres carrés de territoire et plus de 100 millions d’habitants ; Paris contrôlait le deuxième plus grand empire au monde, juste derrière celui de la Grande-Bretagne (Grande France : Une histoire de l’expansion française à l’étranger, P.1).
Les possessions françaises comprenaient autrefois des jungles d’Afrique et d’Amérique du Sud ; les îles des Caraïbes, de l’océan Indien et du Pacifique ; les vastes étendues du désert du Sahara et de l’Antarctique ; d’immenses territoires en Indochine et à Madagascar ; et des points d’appui en Inde et sur la mer Rouge. Ce chroniqueur est né dans l’un de ces anciens bastions français sur la rivière Hooghly, à savoir. Chandernagor, qui avait fusionné avec le Bengale occidental en 1949 à la suite d’un référendum. Le citoyen le plus célèbre de Chandernagor était le révolutionnaire Rash Behari Bose (1885-1945), bien qu’il n’ait jamais été connu pour combattre l’impérialisme français avec autant de détermination et de tactique que l’impérialisme britannique !
La Nouvelle-Calédonie a été découverte en 1794 par le capitaine James Cook. L’Anglais découvre, le Français annexe, c’est ainsi que Wilfred G. Burchett le décrit dans son ouvrage éminemment lisible Pacific Treasure Island: New Caledonia (1941), qui a étrangement trouvé un éditeur indien, Thacker & Co Ltd, Bombay. Burchett informe que l’amiral Febvrier Despointes a hissé pour la première fois le drapeau français sur l’île le 24 septembre 1853, au milieu d’une salve de 21 coups de canon, en présence des évangélistes français qui y étaient déjà actifs.
Aldrich informe que les Français, qui ont ensuite étendu leur contrôle aux îles Loyauté (Ouvéa, Mare, Lifou et Tiga), ont justifié cet acte par des raisons militaires et commerciales. Les Français percevaient la Nouvelle-Calédonie comme une alternative à la Guyane pour construire un établissement pénal, le climat guyanais s’étant révélé meurtrier pour les condamnés, les soldats et les administrateurs. Ainsi, entre les années 1860 et 1890, la France expédie des milliers de bagnards vers la Nouvelle-Calédonie, outre le fait d’encourager l’installation de citoyens libres. Les colonialistes ont salué la Nouvelle-Calédonie comme la seule véritable société française de colonisation autre que l’Algérie (Grande France, P.1).
La conférence historique de Brazzaville, tenue dans la capitale de l’ancienne Afrique équatoriale française entre le 30 janvier et le 18 février 1944, visait à remodeler l’empire français au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Le général Charles de Gaulle, alors chef des Forces françaises libres, promet de transformer les relations entre la France et ses colonies en présidant la conférence. L’indépendance politique était cependant exclue. La France métropolitaine est alors sous occupation Vichy, qui collabore avec le régime nazi en Allemagne.
La Quatrième République (1946-1958), instaurée en France après la fin de la Seconde Guerre mondiale, a mis fin au colonialisme en tant que politique officielle. Cependant, cela n’impliquait pas du tout une décolonisation, car Charles de Gaulle, selon Dane Kennedy (2016), était déterminé à restaurer la fierté française, qui avait été brisée par la défaite et l’occupation de l’Allemagne, et sa stratégie pour y parvenir reposait sur un empire français renaissant (Décolonisation : une brève histoire, P.38).
L’empire colonial a été remplacé par l’Union française dans la Constitution (1946), où les territoires d’outre-mer auraient des représentants au Parlement français. Aujourd’hui, la France compte environ 13 territoires d’outre-mer avec une population totale estimée à 2,8 millions d’habitants. Il n’était pas non plus facile pour la France d’abandonner ses territoires d’outre-mer, car elle y comptait une importante population française. Par exemple, pour des millions de personnes d’origine française, l’Algérie était la France, qui considérait le référendum de 1962, où huit millions d’Algériens ont voté pour l’indépendance, comme une véritable tragédie. Le référendum a eu lieu à la fin d’une guerre d’indépendance sanglante (1954-1962) qui a duré huit ans. Au Vietnam (alors Indochine) et en Algérie, la France a dû mener des guerres sanglantes et coûteuses.
En 1956, la France a promulgué la loi-cadre, qui définissait un cadre juridique pour le gouvernement français et ses territoires d’outre-mer. En Nouvelle-Calédonie, elle a conduit à l’élargissement de l’assemblée territoriale à 30 membres et à l’introduction d’un système électoral basé sur le suffrage universel des adultes. Les Kanaks reçurent pour la première fois le droit de participer pleinement au processus politique. L’assemblée territoriale était habilitée à délibérer et à approuver le budget territorial.
Ses résultats furent évidents lors du référendum de septembre 1958. La Nouvelle-Calédonie vota massivement pour le maintien au sein de la République française. A cette époque, il y avait plus de Kanaks que de Français blancs en Nouvelle-Calédonie. Lors du référendum basé sur le suffrage universel des adultes, 98 pour cent ont voté en faveur du maintien avec la France. Cependant, le gouvernement du général de Gaulle a rendu peu de faveurs à ce oui massif. Comme l’observe Jean-Yves Faberon (2013), le gouvernement français n’a fait que réduire à néant l’autonomie de la Nouvelle-Calédonie. Les lois Jacquinot (1963) et Billot (1969) ont rendu le contrôle français plus étendu. La période du boom du Nickel (1969-1972), qui entraîne une croissance sans précédent dans tous les secteurs de l’île, attire également un grand nombre de Français et de Françaises en Nouvelle-Calédonie, réduisant ainsi les Kanaks à une minorité sur leur propre territoire (Politique, Développement, et sécurité en Océanie, P.78)
Les années 1970 ont vu une demande croissante d’indépendance vis-à-vis des Kanaks. La France a adopté le statut Strin, qui a entraîné de nouvelles réformes politiques. Le Haut-Commissaire, qui a remplacé le gouverneur, a conservé le pouvoir exécutif global. Le ministre de l’Outre-mer pourrait dissoudre à la fois le Conseil et l’Assemblée territoriale. Toutefois, cela n’a pas réussi à endiguer la tendance vers l’autonomie. En 1979, le Conseil s’est dissous parce qu’il avait refusé de soutenir le statut Dijoud, qui prévoyait des réformes économiques en échange d’un report de 10 ans des revendications d’autonomie et d’indépendance. Le statut Dijoud a modifié le mode d’élection de l’Assemblée territoriale et du Conseil, ce qui a rendu difficile l’obtention d’un siège pour les petits partis kanak. Ils se sont donc donné la main pour former le Front Indépendantiste.
Même si les violences se poursuivaient au début des années 1980, le gouvernement français a dû concéder plusieurs réformes visant à élargir la participation des Kanaks à la vie politique et économique de l’île. En juillet 1983, le gouvernement français a convoqué une table ronde à Nainville-les-Roches, dans le nord de la France, pour trouver une solution viable et durable au problème des îles. Pour la première fois, dit une publication de l’ONU (1988), légitimait les revendications du peuple kanak, décrit comme les premiers occupants du territoire, y compris son droit inné et actif à l’indépendance (Décolonisation : Nouvelle-Calédonie, P. 4).
À la suite de la table ronde, l’Assemblée nationale française a adopté un nouveau statut d’autonomie, le statut Lemoine, qui prévoit une autonomie interne de cinq ans. Cependant, ni le statut Lemoine ni le plan Pisani n’ont reçu un accueil cordial. La Nouvelle-Calédonie a été plongée dans la violence en 1985, obligeant le gouvernement français à adopter un ensemble de mesures administratives pour améliorer la situation des Kanaks, notamment un programme de réforme agraire, des mesures de réforme fiscale, une indemnisation des victimes de désobéissance civile et des réformes éducatives.
L’Accord de Nouméa signé le 5 mai 1998, impliquant à la fois des partis pro-français et indépendantistes et des représentants de la France dirigés par le Premier ministre Lionel Jospin, est devenu une étape importante dans les annales politiques de la Nouvelle-Calédonie. Elle a été promulguée sous forme de loi organique par l’Assemblée nationale française le 19 mars 1999. Mais le diable était dans ses détails. Définir différents électorats pour différentes élections, c’est-à-dire les élections locales et françaises, sur la base des années de résidence, dit Denise Fisher (2013), est une réponse innovante et flexible aux préoccupations kanak de la part des autorités françaises dans un système constitutionnel qui prétendait ci-dessus le tout étant unitaire et indivisible (La France dans le Pacifique Sud : Pouvoir et politique, P.99).
La Nouvelle-Calédonie est trop petite pour être un pays viable et indépendant. Les référendums organisés en 2018 et 2020 dans le cadre de l’accord de Nouméa ont donné des résultats favorables au maintien de la Nouvelle-Calédonie au sein de la république française. Cependant, les nouvelles lois électorales menacent de bouleverser l’équilibre délicat entre les migrants français, Kanaks et Caldoches, qui descendent des premiers colons venus d’autres régions de l’Asie-Pacifique. Il existe une incohérence entre les principes du suffrage universel des adultes et les sentiments locaux, surtout alors qu’un grand nombre de migrants français se sont installés sur l’île depuis la signature de l’accord de Nouméa. On ne peut pas leur refuser indéfiniment le droit de vote aux élections locales. Paradoxalement, la France a connu des émeutes nocturnes occasionnelles en raison de l’augmentation de la population arabe sur le continent. Les Français continuent d’affluer vers les îles lointaines du Pacifique. Il faudra enquêter pour déterminer si cette migration est uniquement due à des opportunités économiques ou si davantage de Français se sentent en insécurité en France en raison de l’augmentation de la population arabe.
L’écrivain est l’auteur du livre The Microphone Men: How Orators Created a Modern India (2019) et un chercheur indépendant basé à New Delhi. Les opinions exprimées dans l’article ci-dessus sont personnelles et uniquement celles de l’auteur. Ils ne reflètent pas nécessairement les opinions de Firstpost.
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