« Une scène de guerre »: de leur entrée au Bataclan à la fin de la prise d’otages, le récit de l’assaut de la BRI la nuit du 13 novembre

L’odeur de la poudre couplée à celle du sang: voilà les souvenirs du Bataclan qui restent irrémédiablement accrochés à la mémoire des membres de la BRI, dix ans plus tard. Le 13 novembre 2015, Paris bascule dans l’horreur, avec une série d’attaques terroristes dans la ville.

À 21h40, des assaillants pénètrent dans la salle de concert parisienne du Bataclan, tirent à l’arme de guerre sur la foule de la fosse, puis prennent des spectateurs en otage.

Du calme à la tempête

Pour les membres de la BRI, ce 13 novembre commence pourtant comme une soirée d’automne classique que ces policiers d’élite comptent bien utiliser pour se reposer après des mois éreintants dédiés à une affaire d’enlèvement. « C’était un vendredi soir, je me disais: ‘Ce week-end, ça va être tranquille' », relate avec un brin d’ironie Jay*, chef de groupe à la BRI de la préfecture de police de Paris, le visage caché par une épaisse cagoule ne laissant que transparaître ses yeux bleu acier.

Kader*, opérateur à la BRI et premier bouclier, est sur son canapé avec sa femme. Et comme beaucoup de Français, sa quiétude va être perturbée lorsque les bandeaux d’information de BFMTV l’alertent sur des attaques à Paris. « On a d’abord pensé que c’était la télé qui dramatisait, mais très vite, j’ai compris qu’il s’agissait d’une attaque terroriste », déclare-t-il d’un ton assuré, lui aussi masqué. De lui-même, Kader décide de s’habiller pour rejoindre ses équipes. Alors qu’il se prépare, il reçoit un appel de son officier Anthony* qui lui demande de se rendre au 36, quai des Orfèvres, le QG de son unité.

« J’ai roulé avec la sirène et les pleins phares, on a pris des risques pour arriver au plus vite. Le trajet m’a paru très court », se souvient-il d’un rire nerveux.

Au quartier général, Ja* est déjà présent. Un briefing est alors organisé et les membres de la BRI s’équipent lourdement avec notamment des armes longues « pour être prêt à tout ».

Deux groupes sont alors formés pour intervenir au plus vite sur Paris. « L’un est envoyé rue de la Fontaine-au-Roi, parce qu’un des tireurs des terrasses aurait pu se retrancher dans un immeuble. Et mon groupe, lui, reçoit la mission de se rendre au Bataclan », soupire Jay. « Mais à ce moment-là, on n’a encore que très peu d’informations. On sait juste qu’il se passe quelque chose de grave ».

« Une scène de guerre »

Sur la route en direction du Bataclan, les hommes de Jay sont tendus. En une dizaine de minutes, le groupe d’intervention arrive à la salle de concert.

« On était concentrés, pressés, mais professionnels. On prenait des risques calculés pour rejoindre la zone et intervenir au plus vite. Tout le monde savait pourquoi il était là », dépeint Kader.

Plus la BRI se rapproche du Bataclan, plus les signes annonciateurs de la tragédie s’accumulent. En progressant vers l’entrée de la salle, la colonne croise des gens couchés sur le sol, la plupart sont morts.

Il est 22h15. La BRI pénètre dans le Bataclan et une odeur de poudre et de sang se fait immédiatement sentir. À l’intérieur, la colonne est face à l’horreur. « Il y avait peut-être 500 à 600 personnes couchées par terre. Pas de bruit, juste des plaintes de blessés », se souvient Jay, son regard fixé dans le vide. Ces images n’ont jamais quitté son esprit.

Les spots de la scène sont allumés et inondent d’une lumière blanche et crue la pièce. « L’image était surréaliste. C’était la première scène qu’on a découverte », ajoute-t-il, la gorge serrée.

Pour Kader, la découverte des lieux est aussi très violente. « C’est atroce. C’est un charnier. L’image que j’ai eue, c’est celle d’une scène de guerre. Comme celles qu’on voit à la télé ou dans les livres d’histoire. Moi, j’ai pensé à la Shoah… Tous ces corps les uns sur les autres… », décrit-il, peinant à trouver ses mots.

Malgré les plaintes et les morts enchevêtrés, la BRI avance, car à cet instant, les terroristes sont introuvables. « On doit dire aux gens ‘ne bougez pas’, parce que notre principale crainte, c’est que tout le monde se relève et que les terroristes soient au milieu », concède le chef de colonne, encore marqué par ce moment.

Rapidement, les policiers se concentrent sur leur mission: sauver les otages. Ils cherchent d’abord à localiser les assaillants et organisent un périmètre de sécurité pour préparer l’évacuation des blessés.

« Reculez sinon je tue tout le monde »

La colonne reprend péniblement son chemin dans une salle où s’enchevêtrent les corps. Là où il y a encore quelques minutes résonnaient les guitares d’Eagles of Death Metal, ce sont désormais les sonneries de portable des victimes qui carillonnent dans le vide. Les policiers, eux, vérifient les parties communes, les toilettes, les escaliers… Partout où ils pourraient trouver des personnes cachées.

« Ça doit durer environ 20-25 minutes. On a fait tout le côté gauche et on arrive au bout d’un couloir qui dessert le balcon gauche, en haut à gauche, où il y a une porte en bois classique », se souvient très précisément Jay.

Même pour les policiers, l’angoisse monte, car les terroristes sont toujours introuvables. Sont-ils déjà partis? Alors que le groupe se rapproche de la porte, un agent remarque un chargeur d’AK-47 par terre.

« C’est la première fois qu’on voit ça depuis notre entrée, on se dit que c’est peut-être un signe qu’ils ne sont pas loin. On arrête la manœuvre. Presque dans la foulée, une voix nous parle depuis l’autre côté: ‘Reculez sinon je tue tout le monde’. »

Le terroriste derrière la porte demande aux opérateurs de la BRI d’être mis en relation avec un négociateur. « Ils nous donnent un numéro de portable qu’on transmet au négociateur: c’est le premier contact de négociation, via nous », rapporte Jay.

Au même moment, Nicolas*, l’un des négociateurs de la BRI, arrive au Bataclan. Il est désormais 23 heures. « On est toujours deux négociateurs. Mon collègue parle, je l’assiste, je note, j’analyse les mots, les émotions, les détails techniques », explique-t-il à BFMTV, le regard concentré, plongé dans des souvenirs toujours vifs.

Communiquer pour sauver les otages

Au moment de son arrivée, son collègue a déjà eu un échange téléphonique avec l’un des assaillants.

« Le terroriste affirme qu’ils sont des soldats du califat, qu’ils sont venus sur le territoire français pour se venger parce que ‘la France tue leurs femmes et leurs enfants en Syrie’, et qu’ils sont venus ‘pour tuer les nôtres’. Immédiatement après, il lance un ultimatum en disant que tous les gens derrière la porte (la colonne de la BRI NDLR) doivent partir », raconte Nicolas. Le négociateur reste marqué par cette discussion avec les assaillants qui menacent de tuer des otages et d’aller plus loin encore, en jetant leurs corps par la fenêtre.

Les négociateurs font croire qu’ils vont accéder à leur demande tout en transmettant des renseignements à la colonne à l’intérieur de la salle.

« On récupère des informations via la négociation. Ils confirment qu’ils sont plusieurs, au moins deux, armés, déterminés, avec des otages sous contrainte. Pour nous, c’est fondamental », souligne Jay.

À l’extérieur, les négociateurs tentent de garder le contact avec les assaillants. « La communication était compliquée. Il y avait de longs silences, des coupures, et parfois on devait parler fort ou faire répéter parce que les terroristes avaient peut-être des problèmes d’audition. Ils avaient tiré pendant plusieurs minutes à la Kalachnikov à l’intérieur, donc l’échange se faisait comme on pouvait », se souvient Nicolas.

Au total, les négociateurs ont cinq appels avec les terroristes, qui essayent de gagner du temps. La stratégie est de garder le contact autant que possible, jusqu’au moment où le chef de crise décidera que l’assaut devait être lancé.

« Notre objectif était de tenter de les stabiliser, d’attirer leur attention sur nous et non sur les otages, car le risque d’exécution était important », ajoute le négociateur.

Dans l’enceinte du Bataclan, ce temps de négociation permet aux membres de la BRI de commencer l’évacuation des blessés de la fosse, tout en préparant l’assaut, qui est inéluctable.

« Dès le premier appel, on est certain de toute façon qu’on n’obtiendra pas de reddition, ça paraît impossible », se résigne Nicolas.

Un bouclier géant dans un couloir exigu

Derrière la porte séparant les otages des policiers, Jay est au courant que les terroristes exigent que lui et son équipe quittent la zone. « On travaille dans le silence, on communique peu à voix haute, on se replie légèrement pour préparer le matériel. On constitue une colonne plus expérimentée pour la phase d’assaut », explique le chef de groupe, comme s’il était de nouveau sur place, proche de réaliser l’assaut d’une vie.

Durant cette organisation, le bouclier Ramsès arrive sur place. « Vu la configuration des lieux, dès que le matériel est arrivé, les effectifs ont monté le bouclier. Ils l’ont installé pour préparer l’assaut et se protéger. C’est un bouclier qui nous protège des balles, même de Kalachnikov. Il est assez large, et si on est bien positionné derrière, on est à l’abri », décrit Kader.

C’est d’ailleurs lui qui est choisi pour être derrière l’imposante masse noire, pour avancer sous le feu des terroristes et protéger ses collègues.

« Je vois sa détermination dans le regard. Je sais qu’il ne reculera pas. Sa position s’est imposée naturellement, pas besoin de lui demander, je le voyais prêt », évoque Jay avec fierté.

Derrière la porte, les hommes sont parés. Conditionnés par les images d’horreur qu’ils viennent de voir et concentrés sur un objectif: sauver les otages. « Ça devient froid, méthodique: on fait abstraction pour avancer », résume Jay, la mâchoire serrée.

Malgré cette concentration, la tension est palpable. Les hommes qui composent cette colonne savent que l’opération sera compliquée. « Pour nous, le couloir, c’est l’une des pires situations possibles. Il n’y a aucun endroit où se cacher. Sauver des otages dans ces conditions, c’est extrêmement complexe. Et si un terroriste se met derrière un otage, c’est encore pire », dépeint nerveusement Kader.

En plus de ces contraintes topographiques, les policiers devront aussi faire preuve d’une grande précision. « On avait comme consigne de viser la tête. Parce que si on tire sur le corps ça peut faire exploser la ceinture », ajoute le premier bouclier.

« Un déluge de feu »

Le temps passe, minuit est désormais dépassé et les agents attendent le top assaut. Il est 00h18: Nicolas et son collègue passent un nouvel appel au terroriste. Un contact qui est en fait une diversion.

« Sur le dernier appel, mon collègue est au contact avec le terroriste, qui lui dit: ‘Mais j’entends du bruit derrière la porte. Qu’est-ce que vous faites?’ Mon collègue le rassure, et puis là, la porte s’ouvre, et on entend immédiatement les coups de feu, les rafales de Kalachnikov, et les cris des otages… », relate Nicolas avec émotion.

En réalité, le top assaut a été donné en parallèle. Kader, derrière son bouclier, donne trois coups dans la porte, qui finit par s’ouvrir, malgré les otages placés derrière par les terroristes. Les hommes de la BRI sont enfin dans cet étroit couloir.

« Dès qu’elle s’est ouverte… Cela a été le déluge de feu », indique Kader, qui marque une pause avant de reprendre son récit.

« À travers la vitre du bouclier, j’aperçois un terroriste. Ça tire de partout, je continue d’avancer. À un moment, une balle touche la vitre du Ramsès, je baisse la tête, pensant qu’elle a traversé. Puis je la relève et j’annonce que les terroristes sont au fond du couloir », précise-t-il, totalement immergé dans ses souvenirs.

« Une scène de guerre »: de leur entrée au Bataclan à la fin de la prise d’otages, le récit de l’assaut de la BRI la nuit du 13 novembre

Au total, le Ramsès bloque 27 balles de Kalachnikov. Le combat est violent, mais Kader avance, la colonne, prise « dans un élan collectif », suit.

« Je me dis qu’il faut continuer d’avancer, surtout pas rester immobile. Le bruit des projectiles est assourdissant, le bouclier vibre, bouge », déclare l’opérateur, les paupières presque closes, les deux mains en l’air, comme s’il tenait encore le bouclier.

Derrière le bouclier, les policiers ripostent à l’arme longue et récupèrent les otages qui viennent vers eux en rampant. La communication entre les agents est compliquée à cause du bruit, et la visibilité dans le couloir est quasiment nulle.

« On avait pu utiliser des outils de diversion, il y a beaucoup de fumée, c’est noir », décrit Jay, qui est placé au milieu de sa colonne. Placé à cinq mètres des policiers, un terroriste vide entièrement son chargeur de Kalachnikov et un agent de la BRI est blessé à la main.

« On sent vraiment littéralement les cartouches passer à côté, ça, c’est impressionnant aussi, surtout que c’est du gros calibre », se souvient le chef de groupe, toujours marqué par la violence l’assaut.

Grande confusion et sang-froid

Malgré la violence de l’attaque, la stratégie d’avancée constante derrière Kader et son bouclier semble fonctionner. Mais en un instant, l’opération manque de chavirer.

« J’ai senti le bouclier basculer. Je trébuche, il tombe. Mais je ne réagis pas tout de suite car le terroriste tire encore », explique l’opérateur. Une situation qui lui semble encore irréelle. « Quand les tirs cessent, je pousse de toutes mes forces pour le redresser. Il finit par retomber… »

En réalité, l’imposante carapace est tombée à cause de deux marches qui n’avaient pas été identifiées en amont de l’assaut. Maintenant à découvert, les policiers doivent réagir rapidement. Pour se protéger, la colonne envoie plusieurs grenades de diversion.

« L’explosion est très forte, certains pensaient que l’immeuble allait s’effondrer, mais moi je ne ressens rien. J’étais focalisé sur la mission », assure Kader, qui avance maintenant pistolet mitrailleur à la main. « On n’y voit rien, c’est plein de fumée, comme un brouillard. On distingue juste les silhouettes prostrées des otages, certains pleurent, d’autres se cachent la tête », précise-t-il en se frottant les mains sur ses jambes.

Malgré la perte de son Ramsès, l’opérateur continue d’avancer et se retrouve proche d’un terroriste qui tire encore. « Je vise à une main, l’autre me sert à garder l’équilibre, je tire plusieurs fois dans sa direction, à environ quatre mètres. Puis il se cache à nouveau », raconte Kader, en rejouant son geste avec précision, comme si son corps n’avait pas oublié.

Blessé, l’assaillant se sait condamné et décide d’actionner son gilet explosif. « Là, on sent un vrai blast, on le ressent vraiment, on est bien protégés donc on n’est pas blessés », décrit Jay, mimant le souffle de l’explosion vers lui.

La colonne continue d’avancer, couverte de sang, et finit par tomber sur la cage d’escalier. Un peu plus bas se trouve le deuxième terroriste, blessé par l’explosion du premier.

« Là, on a le numéro deux dans la colonne, un opérateur qui voit ce fameux terroriste blessé, qui essaie d’actionner son gilet et qui le neutralise dans l’escalier… », soupire Jay, conscient que son équipe aurait pu être gravement blessée si l’assaillant avait réussi à se faire exploser.

Il est 00h23: l’assaut du Bataclan est terminé et les otages sont libérés.

Une atmosphère de « fin du monde »

Après l’assaut, la colonne procède à des fouilles minutieuses. Chaque pièce, chaque recoin est vérifié pour s’assurer qu’aucun terroriste ne reste et que tous les otages soient dégagés.

« Avec un collègue, on est sortis dehors. L’atmosphère ressemblait à la fin du monde », se souvient Kader, le regard dans le vide, cherchant ses mots pour décrire au mieux l’ambiance, même 10 ans plus tard.

Une fois l’opération du Bataclan terminée, la colonne retourne « au 36 » dans le silence. « On est rentrés au quatrième étage, on s’est lavés… », raconte Kader, désabusé. Une fois délestés de leurs équipements, les policiers doivent retrouver leurs foyers après des combats violents.

« La descente a lieu quand on rentre à la maison. C’est ça, le problème. Parce que là, c’est le silence, le calme. Ce n’est pas simple », relate Jay, avec regret.

Pour les membres de la colonne, la nuit sera courte, car ils seront appelés pour une surveillance à Montreuil afin de retrouver les autres terroristes.

« Un lien indéfectible »

Dix ans après les attentats, les souvenirs de cette intervention continuent de résonner entre les murs du quartier général de la BRI. Mais au-delà des images de cette nuit-là, un lien s’est créé entre ceux qui ont pénétré dans la salle de spectacle.

« C’est des gens, de toute façon, avec lesquels on a un lien indéfectible » assure Jay, qui pour la première fois laisse entrevoir un sourire derrière sa cagoule d’intervention.

De son côté, Kader, qui a protégé ses coéquipiers derrière le bouclier et qui a neutralisé un terroriste, est satisfait d’avoir sauvé les otages sans pour autant se réjouir du déroulé de l’opération. « Personnellement, je ne peux pas parler de réussite, juste de mission accomplie », conclut-il humblement.

A deux pas de lui, dans ce quartier général de la BRI, trône le Ramsès. Criblé d’impacts de balles, il est désormais exposé aux yeux de toute l’équipe, comme un témoin de cette nuit d’effroi. « Il nous a sauvé. Sans ce Ramsès on ne serait pas tous là ».

Article original publié sur BFMTV.com

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