Repenser Paris : la France se prépare à un réchauffement de 4 C dans sa stratégie de tournant
Choquée par les récentes vagues de chaleur, les inondations, les incendies de forêt et les sécheresses en cours, la France relance actuellement sa stratégie pour faire face aux impacts du changement climatique.
À un tournant dans les efforts d’adaptation du pays, les plans incluront également des propositions sur la façon de faire face aux 4C du réchauffement, ce qui soulignera que les ajustements marginaux sont devenus totalement inadéquats, selon les experts. La ville de Paris entend mettre à profit les préparatifs des JO 2024 pour faire de la capitale une vitrine de l’adaptation urbaine au climat.
De la réaction à l’anticipation
2023 sera une année cruciale dans les efforts de la France pour se préparer aux effets toujours plus palpables de la hausse des températures. Les incendies de forêt et les sécheresses dévastatrices des dernières années ont révélé que les plans d’adaptation actuels sont désespérément insuffisants. La pénurie d’eau en cours, qui fait suite à une période de sécheresse hivernale record et pourrait mettre en danger la production d’énergie, ajoute une pression supplémentaire sur le gouvernement pour qu’il élabore une stratégie ambitieuse.
Le Plan national d’adaptation au changement climatique de la France date de 2018 et expire cette année. Les experts attendent avec impatience un suivi complet, que le gouvernement doit présenter d’ici le milieu de l’année, dans le cadre d’une nouvelle loi sur l’énergie et le climat.
On attend cette loi, indique Vivian Dpoues, chef de projet adaptation à l’Institut d’économie du climat (I4CE) à Paris. Il a déclaré à Clean Energy Wire que les propositions sur la table conduiraient à des mesures plus concrètes et plus formelles que par le passé, et aideraient entre autres à mieux adapter les zones côtières aux conséquences du changement climatique et à améliorer les capacités de réponse de la sécurité civile aux incendies de forêt.
L’actuel plan national d’adaptation est très bureaucratique, peu contraignant et contient relativement peu d’actions concrètes, précise Dpoues. De ce fait, l’adaptation au climat en France est réactive, non fondée sur des connaissances scientifiques historiques, et souffre de nombreux angles morts, ajoute-t-il. Nous n’anticipons pas et nous manquons de vision stratégique.
Des attentes élevées
Les attentes sont particulièrement élevées pour que la France aborde de front la question de l’adaptation dans sa prochaine stratégie après que le ministre de l’Environnement Christophe Bchu a appelé à modéliser un scénario de réchauffement de +4C en France, ajoutant que cette étape était essentielle pour éviter une mauvaise adaptation.
Par conséquent, la nouvelle stratégie d’adaptation du pays comprendra deux scénarios : le premier, qualifié par le ministre d’optimiste, sera basé sur la trajectoire de l’Accord de Paris (+1,5C, ou +2C globalement). La seconde, qualifiée de pessimiste, est sans doute plus réaliste au regard de la dynamique actuelle. Ce scénario suppose une augmentation de la température globale d’au moins 2,5 °C, ce qui correspondrait à une augmentation de 4 °C pour la France. Ce scénario est essentiel pour la sensibilisation, a expliqué le ministre.
Les experts pensent que les paroles de Bechus sont de bon augure pour une approche sérieuse. Cette annonce marque un tournant important, a déclaré Magali Reghezza, géographe et membre du Haut Conseil sur le climat du pays, qui conseille le gouvernement. Il faut prendre le temps d’apprécier ce que ce +4C signifie pour nos territoires, notre quotidien et nos métiers. Plus que jamais, les ajustements à la marge ne suffisent plus.
Budget dédié nécessaire
L’été dernier, l’I4CE a publié le premier bilan des financements publics nécessaires à l’adaptation au climat en France. Sans cette connaissance, il est difficile de mettre en place une politique coordonnée et efficace, explique Dpoues, l’un des auteurs du rapport.
L’I4CE liste 18 mesures incontournables, représentant un budget supplémentaire d’au moins 2,3 milliards d’euros par an, commençant immédiatement à améliorer les efforts d’adaptation existants et lancer de nouveaux projets pour rattraper le temps perdu. Cette somme n’est pas énorme et tout à fait réalisable, précise Dpoues. [Today] il est très difficile de donner un aperçu du budget alloué à la politique d’adaptation car il n’y a pas de ligne budgétaire spécifiquement dédiée à l’adaptation.
Parmi les 18 propositions avancées par I4CE figure un budget annuel pour aider à éviter que les villes ne se transforment en îlots de chaleur et construire des bâtiments adaptés aux canicules plus longues.
Le groupe de réflexion propose également des mesures pour réduire l’exposition des réseaux et des infrastructures de transport, d’eau et d’énergie aux événements météorologiques extrêmes ; rendre les forêts plus résilientes; et soutenir la diversification des sources de revenus des communautés montagnardes dépendantes du ski en réponse à la réduction de l’enneigement.
Pour y parvenir, le gouvernement devra s’engager dans des transformations structurelles et s’attaquer à des questions difficiles, notamment comment gérer les pénuries d’eau dans le secteur agricole ; comment gérer les communautés vivant sur la côte ; et qui devrait payer les mesures d’adaptation, dit Dpoues.
Repenser Paris
La capitale française Paris commence déjà à repenser son urbanisme grâce au volet adaptation du plan climat de la ville. Lors des canicules, la ville devient une fournaise, rendant la vie de plus en plus insupportable pour de nombreux habitants.
A l’été 2021, une mission d’enquête sur les mégacanicules a été lancée sous la houlette de l’édile Alexandre Florentin, également directeur de l’Académie Carbone 4 et co-auteur d’un récit fictif sur Twitter (@Paris50degres) qui emmène les lecteurs dans un voyage vers un Paris 50C en 2026.
Paris a déjà franchi le cap symbolique des 2°C de réchauffement par rapport aux niveaux préindustriels, selon le rapport de la mairie Paris face au changement climatique, publié l’an dernier. Le rapport prévoit qu’il y aura près de 20 jours chauds (au-dessus de 30°C) par an d’ici 2030, et plus de 34 d’ici 2085 contre 14 en 2010. Le nombre de nuits tropicales avec des températures restant au-dessus de 20°C pourrait tripler d’ici 2030.
Les JO comme opportunité de préparation
Les défis d’adaptation de Paris sont d’autant plus pressants que la ville se prépare à accueillir les Jeux Olympiques en 2024, avec des événements sportifs dans plus de 40C désormais une possibilité réelle. Mais la ville anticipe ces risques, et compte les tourner à son avantage, elle veut utiliser les Jeux comme un levier pour devenir une ville plus durable.
Le programme de transformations olympiques de la ville, datant de 2019, a déjà identifié 20 mesures pour s’assurer que les Jeux laissent un héritage positif. Ses recommandations ont été élaborées à l’issue d’une large consultation impliquant plus de 10 000 Parisiens.
Les mesures proposées incluent la transformation du quartier de la Tour Eiffel qui accueillera les célébrations et les épreuves de beach-volley, judo, lutte, triathlon et natation en eau libre en un poumon vert du centre-ville. Les préparatifs battent déjà leur plein dans la ville pour que tout soit terminé d’ici le 31 décembre 2023.
Tout est politique, résumait Anne Hidalgo, maire socialiste de Paris, dans son discours du Nouvel An. Il s’agit de donner la bonne impulsion politique pour planifier et repenser chaque nouveau projet urbain en les adaptant au changement climatique, a-t-elle expliqué. L’objectif est de faire en sorte que Paris puisse accueillir des événements mondiaux tout en restant la plus belle ville du monde.
Cet article a été initialement publié par Clean Energy Wire. Reproduit ici sous licence internationale Creative Commons Attribution 4.0 (CC BY 4.0). Lire la version originale ici.