Renforcer la protection des lanceurs d’alerte en France

Écrit par Anne-Laure Périès, Capstan Avocats

Quelles sont les conséquences pour les employeurs du renforcement de la protection des lanceurs d’alerte par la loi et le décret transposant la directive européenne sur les lanceurs d’alerte en France ?

Une définition élargie d’un lanceur d’alerte

Une loi de mars 2022, complétée par un décret d’octobre 2022, a renforcé la protection statutaire des lanceurs d’alerte en France. En transposant la directive de l’Union européenne sur les lanceurs d’alerte, le législateur a voulu intégrer les lanceurs d’alerte dans la responsabilité sociale des employeurs.

Le lanceur d’alerte est désormais défini comme : « une personne physique qui signale ou divulgue, sans contrepartie financière directe et de bonne foi, une information relative à un crime, un délit, une menace ou une atteinte à l’intérêt général, une violation ou une tentative de dissimuler une violation d’un engagement international ratifié ou approuvé par la France, d’un acte unilatéral d’une organisation internationale pris sur le fondement d’un tel engagement, du droit de l’Union européenne ou d’une autre loi ou réglementation.

Cette définition élargit les types de faits pouvant donner lieu à une dénonciation ; le lanceur d’alerte peut signaler des faits qu’il n’a pas constatés personnellement, s’ils ont été portés à sa connaissance dans un cadre professionnel.

Seuls sont automatiquement exclus du champ d’un rapport d’alerte :

  • secret de la défense nationale ;
  • secrets médicaux;
  • Privilège avocat-client;
  • délibérations de procédures judiciaires; et
  • le secret des enquêtes ou des poursuites pénales.

Par ailleurs, la notion de bonne foi qui doit caractériser le lanceur d’alerte n’est pas aisée à apprécier d’un point de vue objectif.

Les lanceurs d’alerte peuvent également être d’anciens collaborateurs, demandeurs d’emploi, managers, actionnaires ou partenaires de l’entreprise, voire extérieurs à l’organisation (ex : co-traitants et sous-traitants).

Protection juridique étendue

Le lanceur d’alerte bénéficie de l’immunité pénale et civile et d’une interdiction de représailles, sous réserve que la définition légale soit respectée (le statut de lanceur d’alerte et la nature des faits dénoncés) et que la procédure de signalement prévue par la loi soit suivie.

Les lanceurs d’alerte potentiels peuvent également s’adresser au Défenseur des droits de l’Homme, qui peut attester de leur qualité de lanceur d’alerte en rendant un avis (dont la portée reste à déterminer) en cas de litige. Ils peuvent également bénéficier de provisions pour frais de justice et de subventions dans le cadre d’un recours contre une mesure de rétorsion ou pour se défendre contre une action en justice visant à entraver leur déclaration ou leur divulgation publique.

Cette protection s’applique également aux facilitateurs, c’est-à-dire à toute personne qui a aidé le lanceur d’alerte à signaler l’affaire, et aux personnes physiques « liées » au lanceur d’alerte (par exemple, des collègues), ce qui peut créer un large cercle de personnes susceptibles de chercher à bénéficier de la protection du dénonciateur.

Plus généralement, comme tous les salariés, les lanceurs d’alerte bénéficient de la liberté d’expression sauf en cas d’injures (c’est-à-dire de propos diffamatoires ou injurieux) et de restrictions justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but poursuivi. La Cour de cassation a récemment jugé qu’un licenciement lié à l’exercice non abusif de la liberté d’expression d’un salarié était nul et non avenu.

Une procédure d’alerte facilitée

Depuis le 1er septembre 2022, l’employeur ne peut plus exiger du lanceur d’alerte qu’il signale en interne avant de pouvoir le signaler en externe auprès de l’une des autorités compétentes listées par décret.

La loi impose aux entreprises de plus de 50 salariés de mettre en place une procédure d’alerte interne pour collecter et traiter les alertes. Le décret ne précise pas les modalités exactes de cette procédure, qui reste à définir par chaque organisme. En revanche, le décret précise que la procédure doit être soumise à consultation des instances du dialogue social, et qu’elle doit être diffusée selon un mode assurant une publicité suffisante. L’objectif est de permettre une meilleure détection des malversations au sein d’une organisation.

A cet effet, le règlement intérieur doit mentionner l’existence d’un mécanisme de protection des lanceurs d’alerte. La procédure doit mentionner les personnes en charge de la collecte et du traitement des signalements (qui peuvent être une personne ou une entreprise extérieure). De nombreuses plateformes proposent ce service.

Le décret précise que la procédure peut recueillir les signalements oralement, à condition que l’information soit enregistrée sur un support durable. La procédure doit également prévoir les suites données aux signalements non conformes aux conditions légales et aux signalements anonymes.

En tout état de cause, l’entreprise doit veiller à ce que les signalements soient traités et qu’une véritable enquête soit menée dans les trois mois suivant l’accusé de réception du signalement, dans le respect de la confidentialité, de l’impartialité et des règles de protection des données personnelles, en notamment les durées de conservation RGPD proportionnées à la situation.

L’obligation de mettre en place cette procédure interne n’emporte pas de sanction, mais son absence pourrait être considérée comme un préjudice générant l’octroi de dommages et intérêts en cas de litige mené par un lanceur d’alerte.

La mise en œuvre pratique de cette protection pose question, notamment lorsque le lanceur d’alerte est menacé de sanctions disciplinaires ou de révocation avant d’avoir fait son signalement. Il existe un risque d’abus de la protection des lanceurs d’alerte, d’autant plus que la Cour de cassation a actuellement une position très stricte : seule la preuve de la mauvaise foi peut exclure un salarié de l’application de la protection des lanceurs d’alerte et le risque que la mesure disciplinaire soit annulée.

Néanmoins, l’enquête pourrait permettre, le cas échéant, de démontrer le caractère injustifié du signalement voire son caractère abusif avant toute mesure disciplinaire ou de licenciement.

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