L’immigration, élection de la forme identitaire au Québec francophone
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Montréal (AFP) L’immigration menace-t-elle la culture unique du Québec francophone? Bien que controversée, la revendication est poussée durement par le parti au pouvoir de la province canadienne, dont la marque de politique identitaire semble prête à leur offrir une victoire aux urnes la semaine prochaine.
Bastion francophone d’une Amérique du Nord majoritairement anglophone, le Québec a longtemps défendu bec et ongles la langue de Molière. C’est un combat mené par le parti au pouvoir depuis son arrivée au pouvoir il y a quatre ans, la Coalition Avenir Québec (CAQ) conservatrice, mais avec un accent particulier sur l’immigration.
Le premier ministre sortant du Québec, François Legault, a clairement exprimé son point de vue au début de la campagne : une immigration incontrôlée par des non-francophones risque de miner la cohésion sociale dans la province.
Il serait « un peu suicidaire » d’accueillir plus de nouveaux arrivants étant donné le déclin du français, a encore soutenu Legault – dont le parti est en tête dans les sondages avant les élections provinciales de lundi – cette semaine.
Lors d’un débat, son ministre de l’Immigration, Jean Boulet, est allé plus loin — et a provoqué un tollé — en affirmant sans fondement que « 80 % des immigrants ne travaillent pas, ne parlent pas français ou n’adhèrent pas aux valeurs de la société québécoise. «
Ses commentaires sont également en contradiction flagrante avec la réalité économique de la province où près de 8,5 millions d’habitants font face à une grave pénurie de main-d’œuvre, une pénurie qui pourrait être résolue par une immigration accrue.
Avec une population vieillissante qui prend massivement sa retraite et un taux de chômage à un creux historique, le Québec cherche à combler plus de 250 000 emplois. Et le gouvernement prévoit que ce nombre continuera d’augmenter, atteignant quelque 1,4 million d’ici 2030.
S’il est réélu, Legault, un homme d’affaires multimillionnaire de 65 ans, prévoit de maintenir l’immigration annuelle à 50 000 personnes.
Mais certains observateurs, comme le sociologue Jean-Pierre Corbeil, tirent la sonnette d’alarme sur la conversation politique grandissante au Québec liant langue et immigration.
« On a tendance à rejeter toute la responsabilité (du déclin du français) sur le dos des immigrés », dit-il à l’AFP. « Et c’est là que c’est dangereux, il y a un discours d’exclusion qui se dessine. »
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« Je trouve que c’est extrêmement, je dirais presque, malsain », a fait écho le linguiste Richard Marcoux. « Il faudra vraiment reprendre la discussion après les élections pour pouvoir aborder les questions d’immigration d’une manière différente. »
Le français québécois est-il en déclin?
Bien que les opinions divergent sur la question de l’immigration, tous les grands partis en lice pour des sièges à l’Assemblée nationale du Québec s’entendent sur la nécessité de préserver la langue française.
«Nous sommes dans une situation critique. Il y a une véritable urgence linguistique au Québec», a déclaré Paul St-Pierre Plamondon, chef du Parti séparatiste québécois.
Ces craintes sont fondées sur les dernières données du recensement qui ont révélé que la proportion de la population qui parle le français le plus souvent à la maison est en baisse au Québec depuis 2001, passant de 81,1 % à 77,5 % l’an dernier.
Mais le sociologue Corbeil, qui est également l’ancien responsable de la collecte de données du gouvernement sur les tendances linguistiques, conteste l’idée que la situation est « catastrophique ».
Il dit que les institutions s’appuient sur une définition trop « simpliste » d’un francophone – incluant uniquement ceux qui l’utilisent comme langue principale à la maison.
« L’objectif ne devrait-il pas être de discuter de l’état du français ? demande-t-il en désignant les nombreux citoyens aux origines diverses qui parlent couramment le français, même si ce n’est peut-être pas leur langue maternelle.
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Marcoux convient qu’un tel « multilinguisme » n’est pas suffisamment pris en considération au Québec.
« Quand on parle d’indicateurs basés sur la langue maternelle, pour moi, cela ne tient pas compte de la vitalité et de l’utilisation du français par la population », explique Marcoux, qui dirige l’Observatoire démographique et statistique de la francophonie (ODSEF).
« L’anglais progresse ici comme partout ailleurs sur la planète, que ce soit en Italie, en Pologne, en Roumanie ou en France », a-t-il noté.
« Mais en même temps, les langues maternelles ne disparaissent pas. »
AFP 2022