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L’extrême droite de Le Pen est sur le point d’arriver au pouvoir en France, que se passera-t-il ensuite ?

La clarification invoquée par le président Emmanuel Macron en convoquant des élections anticipées en France a clarifié un point : les électeurs français ne veulent plus qu’il gouverne seul, ni même qu’il gouverne du tout. La question de savoir avec qui il devrait partager le pouvoir reste ouverte après un premier tour peu concluant qui a donné à l’extrême droite de Marine Le Pen une victoire écrasante, mais pas encore décisive.

Le Rassemblement national (RN), parti anti-immigrés, est arrivé en tête dimanche au premier tour d’un scrutin aux enjeux exceptionnellement élevés qui pourrait placer le gouvernement français entre les mains d’un parti d’extrême droite pour la première fois depuis la Seconde Guerre mondiale.

Le Pen a exhorté les électeurs à pousser son parti au-delà de la ligne rouge et à lui donner la majorité des sièges à l’Assemblée nationale, un résultat qui forcerait Macron à partager le pouvoir avec le nouveau porte-étendard du RN, Jordan Bardella, le choix de Le Pen pour le poste de Premier ministre.

Un autre scénario, que de nombreux sondeurs considèrent comme le plus probable, serait un parlement sans majorité absolue dans lequel aucune coalition ne pourrait réunir une majorité, ce qui entraînerait une impasse dans laquelle se trouverait la deuxième économie de l’Union européenne et sa première puissance militaire.

Une chose est sûre : la Constitution française stipule qu’il ne peut y avoir de nouvelles élections parlementaires avant un an, donc un nouveau scrutin immédiat n’est pas une option.

  • L’extrême droite peut-elle remporter la majorité absolue ?

Le parti de Le Pen aborde le second tour dans une position de force sans précédent, renforcé par son succès au premier tour et son triomphe aux élections européennes plus tôt ce mois-ci.

Les candidats du RN et leurs alliés sont arrivés en tête dans 296 des 577 circonscriptions françaises dimanche, remportant 39 d’entre elles avec plus de 50% des voix, un exploit qu’aucun candidat d’extrême droite n’avait réussi auparavant.

Ces résultats placent l’extrême droite en bonne voie pour remporter entre 240 et 300 sièges à l’Assemblée nationale, qui en compte 577, selon les instituts de sondage, ce qui lui donne de loin le plus grand nombre de sièges à la chambre basse du Parlement et la place à portée d’une majorité absolue.

Les élections françaises ont toujours été une question de dynamique (élan), et le dynamique Le Rassemblement national est clairement en tête. Sa capacité à franchir le dernier obstacle dépendra de la capacité de ses adversaires à unir leurs forces au deuxième tour.

L'ancienne présidente du groupe parlementaire d'extrême droite du Rassemblement national (RN) Marine Le Pen prononce un discours lors de la soirée de résultats du premier tour des élections législatives à Paris.
La dirigeante d’extrême droite Marine Le Pen s’adresse à ses partisans dans sa circonscription d’Hénin-Beaumont, dans le nord du pays, où elle a été réélue au premier tour avec plus de 50% des voix. François Lo Presti, AFP

Les élections à deux tours en France ont traditionnellement exclu l’extrême droite du pouvoir, les électeurs de gauche et de droite se regroupant généralement dans un Front républicain pour vaincre le camp de Le Pen, une pratique connue sous le nom de construction d’un barrage (barrage) contre l’extrême droite.

Mais le barrage s’est affaibli au fil des années, même si la vague d’extrême droite s’est renforcée à chaque nouvelle élection, emportant avec elle d’anciens électeurs traditionnels.

Il y a désormais une part non négligeable de la droite traditionnelle qui envisagerait de voter pour le Rassemblement national ou du moins qui ne le considère plus comme une menace, estime Stéphane Fournier, chercheur à l’institut de sondage Cluster 17. C’est particulièrement le cas lorsque l’autre candidat est de gauche, ce dont beaucoup de conservateurs ont plus peur.

Cline Bracq, directrice de l’institut de sondage Odoxa, a déclaré que les sondages montraient que les électeurs conservateurs étaient deux fois plus susceptibles de voter pour le RN que pour un candidat de gauche.

Le Rassemblement national pourrait également se rapprocher de 289 sièges, ce qui lui permettrait de gagner quelques députés supplémentaires en leur promettant des postes au gouvernement. Mardi, Marine Le Pen a déclaré qu’elle ferait appel à des indépendants et à des députés partageant ses idées si son parti n’obtenait pas la majorité absolue.

L’idée de collaborer avec le parti cofondé par Jean-Marie Le Pen, père de Marine Le Pen, un raciste et antisémite condamné, était autrefois taboue. Mais le Rassemblement national a déjà fracturé la droite traditionnelle, attirant le leader conservateur Eric Ciotti, et d’autres pourraient encore suivre.

Si l’extrême droite obtient la majorité, Macron devrait nommer Bardella, 28 ans, au poste de Premier ministre, Le Pen, ayant jeté son dévolu sur l’élection présidentielle de 2027.

Un tel arrangement affaiblirait le président tant au niveau national qu’international, le forçant à adopter un système de partage du pouvoir délicat, connu sous le nom de cohabitation, avec un parti extrémiste qui a des liens historiques avec la Russie de Vladimir Poutine.

Alors que Macron conserverait le contrôle global de la diplomatie française, Bardella a déclaré qu’il utiliserait les pouvoirs de Premier ministre pour bloquer la fourniture d’armes à longue portée à l’Ukraine.

Avec le contrôle de la politique intérieure, un Premier ministre d’extrême droite serait libre de mettre en œuvre le programme du parti, qui comprend des plans visant à réduire l’immigration, à renforcer les pouvoirs de la police et à restreindre les droits des citoyens français ayant une double nationalité à travailler dans certains emplois de la défense, de la sécurité et de l’industrie nucléaire.



Les experts ont souligné que certaines parties du programme sont anticonstitutionnelles et qu’elles mettraient le gouvernement Bardella en conflit avec le Conseil constitutionnel du pays. Certains responsables politiques du RN ont préconisé d’ignorer les limites constitutionnelles et de contourner ce qu’ils appellent le gouvernement des juges, une démarche qui pourrait à son tour amener l’Union européenne à prendre des mesures disciplinaires contre la France comme elle l’a fait avec la Hongrie de Viktor Orban.

Si le RN n’obtient pas la majorité à l’Assemblée nationale, Macron pourrait toujours charger Bardella de former un gouvernement, même si Le Pen a souligné que son parti ne gouvernera que s’il a les moyens de mettre en œuvre son programme.

  • Le Rassemblement national peut-il être arrêté ?

La perspective d’un gouvernement d’extrême droite a déclenché des efforts frénétiques pour faire revivre l’ancien Front républicain, conduisant les partis à conclure des alliances dans certaines circonscriptions et à se retirer d’autres, dans l’espoir d’arrêter le rouleau compresseur de Le Pen dans son élan.

Seul un front républicain fort, réunissant la gauche, le centre et les conservateurs, peut contenir l’extrême droite et empêcher la France de basculer, écrit mardi le quotidien français Le Monde dans un éditorial.

Alors que le délai de dépôt des candidatures a expiré mardi, plus de 200 candidats, en majorité de gauche, ont abandonné les prochaines élections à trois pour ne pas diviser le vote anti-Le Pen. La gauche a notamment retiré son candidat dans la circonscription de Normandie, où l’ancienne Première ministre Elisabeth Borne a été devancée par son adversaire d’extrême droite.

Parmi les autres candidats de marque ayant abandonné, on trouve Sabrina Agresti-Roubache, la secrétaire d’État à la Citoyenneté, qui s’est retirée de la course à Marseille, préférant la défaite au déshonneur.

Il y aura néanmoins 109 seconds tours avec trois ou même quatre candidats, selon un décompte de l’AFP, les réfractaires ayant ignoré la pression croissante pour abandonner la course.

En savoir plusL’extrême droite française vise le pouvoir alors que ses rivaux se disputent l’ampleur du front anti-Le Pen

Les alliés de Macron ont été accusés de porter atteinte à la barrage contre Le Pen en refusant de se retirer de certaines courses où figuraient des candidats de Jean-Luc Mélenchon et de La France insoumise (LFI).

Le ministre des Finances Bruno Le Maire a décrit LFI comme une menace pour la nation, tout comme le RN est une menace pour la République, tandis que d’autres personnalités ont exhorté les électeurs à choisir au cas par cas les candidats de M. Mlenchon.

Erwan Lecoeur, analyste politique au centre de recherche GRESEC et à l’Université Grenoble Alpes, a déclaré que les messages contradictoires provenant du camp de Macron pourraient empêcher de nombreux électeurs centristes de soutenir la gauche lors d’un second tour avec le RN.

Macron a choisi de présenter l’élection comme un choix entre son camp modéré et les extrémistes de gauche et de droite, a-t-il ajouté. Si les dirigeants du parti appellent désormais à la création d’un Front républicain pour soutenir les candidats de gauche, beaucoup de leurs électeurs seront déconcertés et confus.

Alors que les partis traditionnels exhortent leurs partisans à éviter les candidats d’extrême droite, les experts notent que les électeurs sont moins susceptibles de tenir compte de ces appels que par le passé. Certains pourraient également être rebutés par les marchandages entre ennemis jurés que Bardella a dénoncés comme une alliance contre nature.

  • La gauche peut-elle créer la surprise ?

Le pari audacieux de Macron avec des élections anticipées a contribué à réunir la gauche française, profondément divisée, facilitant un accord que des semaines de négociations difficiles auraient pu autrement entraver.

Le Nouveau Front populaire (NFP) est arrivé deuxième au premier tour, loin devant le camp du président, affaibli et démoralisé. Il a vu 32 de ses candidats l’emporter d’emblée dès le premier tour, soulignant la force des bastions de gauche à Paris et dans la banlieue nord-est de la capitale.

Même après le retrait tactique de plus de 120 candidats de gauche, le NFP brigue toujours environ 285 sièges, ce qui conduit certains membres de l’alliance à exprimer l’espoir d’une victoire surprise.

Marine Tondelier, secrétaire nationale des Verts (EELV), présente la nouvelle formation
La gauche française, profondément divisée, s’est unie sous le nom de Nouveau Front populaire à la suite de la décision de Macron de convoquer des élections anticipées. Julien de Rosa, AFP

De tels espoirs sont un vœu pieux, préviennent les experts, notant que de nombreux candidats du NFP sont confrontés à des batailles difficiles au second tour.

Il n’y a pratiquement aucune chance que la gauche remporte ces élections, estime Lecoeur. Le Nouveau Front populaire aura intérêt à empêcher l’extrême droite d’arriver au pouvoir. C’est le seul objectif qu’il peut raisonnablement atteindre.

  • Que se passe-t-il si aucune coalition ne gagne ?

Alors qu’une majorité de gauche n’est plus d’actualité et que le camp de Macron est certain de perdre des partisans, l’alternative la plus probable à une majorité d’extrême droite est un parlement sans majorité absolue dans lequel aucune coalition ne serait en mesure de gouverner seule.

Lundi, le Premier ministre Attal a appelé à une pluralité de forces politiques pour former une Assemblée nationale. Il a promis de suspendre une réforme controversée de l’assurance chômage, un geste en direction de la gauche. D’autres responsables politiques de haut rang ont plaidé pour un gouvernement d’union nationale regroupant la plupart des partis politiques, mais excluant le Rassemblement national.

Une des possibilités serait une alliance très large qui s’étendrait du centre droit à des pans de LFI prêts à collaborer avec d’autres partis, a déclaré Fournier. C’est probablement la seule majorité qui pourrait émerger du scrutin du 7 juillet, hormis une majorité d’extrême droite.

Un gouvernement d’union nationale pourrait offrir un peu de répit à un pays de plus en plus polarisé après une campagne virulente marquée par une recrudescence des discours de haine, a ajouté M. Lecoeur. Cela pourrait donner à tous les partis le temps de se regrouper et de se préparer aux prochaines élections dans un an.

Une autre option pour Macron serait de nommer un gouvernement apolitique d’experts, comme l’a fait l’Italie voisine à deux reprises au cours de ce siècle, bien qu’un tel résultat soit en contradiction flagrante avec la tradition politique française et exigerait que les législateurs s’abstiennent de renverser le gouvernement à la première occasion.

Pour sortir de la crise française à l’italienne, il faudrait adopter une culture du compromis et de la négociation, estime l’analyste politique Jean-Pierre Darnis, professeur à l’Université Côte d’Azur, qui écrit pour The Conversation. Ce serait certainement très difficile, mais cela pourrait aussi s’avérer nécessaire.


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