Les rivaux de Macron affirment qu’ils vont redresser l’économie française, mais les économistes sont sceptiques
L’un des messages qui a contribué à propulser le Rassemblement national d’extrême droite au bord du pouvoir lors des élections parlementaires françaises de dimanche dernier, un changement autrefois impensable, est un refrain courant dans la politique américaine : « C’est l’économie, idiot. »
Le Rassemblement national et une coalition de partis de gauche appelée Nouveau Front populaire ont tous deux enregistré des gains importants, en partie en exploitant la colère suscitée par la crise du coût de la vie et le sentiment que le président Emmanuel Macron s’était éloigné de leurs préoccupations et ne comprenait pas leurs difficultés. Le vote se déroule en deux tours et les candidats ayant atteint certains seuils passeront au tour suivant dimanche.
Après deux années consécutives de forte inflation, les familles françaises à faibles et moyens revenus peinent à payer les produits de première nécessité comme l’énergie, le gaz et la nourriture, tandis que les salaires, dans certains cas, ne parviennent pas à suivre le rythme. Les sondages montrent que les inquiétudes concernant le pouvoir d’achat sont au premier rang des préoccupations des électeurs, aux côtés de l’immigration et de la sécurité. Les ouvriers se sont rendus en masse aux urnes pour voter pour le Rassemblement national, qui promet d’aider les ménages et de freiner l’immigration. Le Nouveau Front populaire arrive en deuxième position avec ses promesses d’augmentation des salaires et d’abaissement de l’âge de la retraite.
La manière dont chaque parti financera ces engagements n’est pas claire. Les économistes estiment que de nombreuses propositions de financement ne sont pas crédibles, ce qui accroît les risques pour une France lourdement endettée. Mais les résultats finaux sont difficiles à prévoir : si la France se retrouve avec un Parlement sans majorité absolue lors du vote de dimanche prochain, l’impasse législative pourrait également effrayer les investisseurs.
Quels sont les projets économiques du Rassemblement national ?
Dans le cadre d’une politique économique qui privilégie la France, le Rassemblement national réserverait la priorité à certains emplois et prestations sociales pour les citoyens français. En guise de révérence à la classe ouvrière, les personnes ayant commencé à travailler avant l’âge de 20 ans pourraient prendre leur retraite à 60 ans au lieu de l’âge officiel de 64 ans. Les retraites seraient indexées sur l’inflation. Mais de tels changements nécessiteraient de modifier la Constitution.
En mettant en avant les questions de porte-monnaie, Jordan Bardella, président du parti et protégé de Marine Le Pen, a cherché à normaliser le type de politique nationaliste et anti-immigrés longtemps tabou de son parti. Mais le cœur de son programme lie l’immigration à l’incertitude économique.
Il parle d’amélioration du pouvoir d’achat des Français, explique Lisa Thomas-Darbois, directrice adjointe de la recherche à l’Institut Montaigne, un think-tank économique à Paris. En réalité, les promesses de prospérité du parti reposent sur la lutte contre l’immigration, le lien entre l’immigration, l’emploi et la criminalité, et l’expulsion des clandestins.
L’un des principaux arguments de M. Bardellas est sa promesse de mettre plus d’argent dans les poches des électeurs en réduisant les taxes sur l’électricité, l’énergie et le gaz de 20 à 5 %. Se promettant d’être le premier ministre du pouvoir d’achat, il encouragerait les entreprises à augmenter les salaires de 10 % pour les personnes gagnant moins de 5 000 euros par mois (environ 5 350 dollars), sans imposer de taxes supplémentaires aux employeurs.
Dans son discours de victoire dimanche soir, il a accusé M. Macron d’être responsable de la forte inflation et de l’augmentation de la dette et du déficit nationaux, héritage des efforts de M. Macron pour stabiliser l’économie pendant les confinements liés à la pandémie et la crise énergétique. Affirmant qu’il serait responsable sur le plan budgétaire, M. Bardella a promis de rétablir l’ordre dans les finances françaises. (L’Union européenne a récemment réprimandé la France pour avoir enfreint les règles budgétaires des blocs).
Comment le parti financerait-il son programme ?
Le programme du Rassemblement national ne donne pas de chiffres précis sur le budget, mais M. Bardella a déclaré qu’il pourrait économiser des milliards d’euros par an en réduisant l’immigration et en diminuant les aides sociales pour les ressortissants étrangers. Une partie de ces économies consisterait à refuser l’accès aux soins médicaux gratuits aux sans-papiers, sauf en cas d’urgence.
M. Bardella a également proposé de réduire de 2 milliards d’euros les contributions annuelles de la France à l’Union européenne, une obligation pour les pays membres de l’Union. Il a déclaré qu’il pourrait économiser au moins 65 milliards supplémentaires en luttant contre l’évasion fiscale et la fraude aux prestations sociales et qu’il ordonnerait un audit des finances françaises pour trouver des milliards d’euros supplémentaires de dépenses inutiles qui pourraient être réorientées pour améliorer le sort des revenus moyens et faibles.
Est-ce réaliste ?
Pas nécessairement. Ces engagements coûteraient près de 38 milliards par an, selon une évaluation de l’Institut Montaigne. Exclure les immigrés de l’assurance maladie, par exemple, ne permettrait d’économiser que 700 millions par an, mais réduire les taxes sur l’énergie coûterait plus de 11 milliards, tandis qu’indexer les retraites sur l’inflation coûterait 27 milliards.
Ces derniers jours, M. Bardella a fait marche arrière sur certaines des idées les plus coûteuses, comme l’élimination de l’impôt sur le revenu pour les travailleurs de moins de 30 ans, après que certaines estimations aient estimé le coût de l’ensemble du programme du Rassemblement national à près de 100 milliards de dollars.
Il s’est également rapproché du programme économique de M. Macron pour tenter de séduire les électeurs centristes, promettant de faire de la France, déjà premier fournisseur européen d’énergie nucléaire, un paradis pour l’énergie nucléaire. Il a promis de réduire les taxes de production pour l’industrie et a déclaré qu’il réexaminerait le mandat de la Banque centrale européenne pour le concentrer sur l’emploi plutôt que sur l’inflation.
En quoi le plan économique des Nouveaux Fronts Populaires est-il différent ?
La coalition de gauche prône un programme de taxation des riches et de répartition des richesses inspiré du parti d’extrême gauche La France insoumise. En déclenchant un programme de dépenses keynésien et en augmentant les salaires, le gouvernement pourrait inciter les consommateurs à dépenser davantage et relancer l’économie dans son ensemble.
Le principal projet de loi consiste à relever le salaire minimum mensuel après impôts de 1 398 à 1 600 $. Le Nouveau Front populaire prévoit également de geler les prix des denrées alimentaires, de l’énergie et du carburant. L’État paierait aux ménages tous les frais liés à l’éducation de leurs enfants, y compris les repas dans les cafétérias, les transports et les activités parascolaires.
L’âge officiel de la retraite en France, que M. Macron a relevé par décret l’année dernière à 64 ans, déclenchant des manifestations dans tout le pays, serait abaissé à 60 ans. En matière d’immigration, les travailleurs sans papiers se verraient accorder un statut légal sous certaines conditions dans les secteurs en pénurie de main-d’œuvre.
Comment le parti financerait-il tout cela ?
Le programme coûterait entre 125 et 187 milliards de dollars par an, et le Nouveau Front populaire a déclaré qu’il pourrait réunir 150 milliards de dollars en taxant les personnes riches.
Il s’agirait notamment de rétablir l’impôt sur la fortune que M. Macron avait supprimé, d’augmenter les droits de succession et d’instaurer une taxe de sortie pour les personnes fortunées qui transfèrent leur résidence fiscale à l’étranger. Le parti créerait 14 nouvelles tranches d’imposition, les revenus dépassant un certain niveau étant taxés à des taux plus élevés, le plus élevé étant de 90 %.
Les entreprises françaises verraient également une nouvelle taxe imposée sur les bénéfices supérieurs à la moyenne, tandis qu’une série d’allégements fiscaux et de crédits pour les entreprises seraient supprimés.
Est-ce réaliste ?
Certains affirment que le programme est excessivement coûteux et risque de conduire les finances françaises au bord du gouffre, effrayant les investisseurs internationaux qui ont récemment fait grimper les coûts d’emprunt de la France, sans parler des multinationales qui ont été attirées par les politiques pro-business de M. Macron.
La situation financière de la France est déjà un désastre, estime Nicole Bacharan, politologue à Sciences Po Paris. Cela ne fera qu’empirer les choses.
D’autres, comme l’économiste français Thomas Piketty, estiment que les investissements dans la santé, la formation, la recherche et les infrastructures exigeront des ressources importantes. Et cela implique de taxer les plus riches, a-t-il déclaré dans une interview au journal La Tribune.
Lorsque les prix de l’énergie ont grimpé en flèche après l’invasion de l’Ukraine par la Russie, le gouvernement de M. Macron s’est efforcé de plafonner les factures d’électricité et la hausse des prix des denrées alimentaires en négociant avec les producteurs.
Mais les gens ont le sentiment que les prix sont restés élevés de toute façon, donc il n’a pas reçu beaucoup de crédit, a déclaré Eric Heyer, économiste en chef de l’Observatoire français des conjonctures économiques.
En campagne électorale, le Premier ministre de M. Macron, Gabriel Attal, s’engage à nouveau à aider à la réduction du coût de la vie, mais reste pour l’essentiel fidèle au conservatisme fiscal et promet de ne pas augmenter les impôts.
Le parti réduirait les factures d’électricité de 15 % à partir de février, élargirait le bonus Macron qui encourage les entreprises à payer leurs salariés jusqu’à 10 000 euros par an sans cotisations patronales supplémentaires et augmenterait les prestations sociales pour les ménages les plus pauvres d’environ 5 milliards par an.
Comment son parti de la Renaissance financerait-il son programme ?
De tous les partis, c’est celui qui coûte le moins cher, environ 17,6 milliards par an, selon les estimations de l’Institut Montaigne. Avant les élections anticipées, le gouvernement envisageait de réduire les dépenses jusqu’à 20 milliards pour réduire la dette et le déficit. La limitation des nouvelles dépenses reste donc une priorité.
Que se passe-t-il ensuite ?
Si le parti de M. Bardellas obtient suffisamment de sièges au Parlement, il pourrait devenir Premier ministre, nommer les membres du cabinet et faire dérailler une grande partie du programme intérieur de M. Macron. Mais si la France se retrouve avec un Parlement sans majorité dans lequel ni l’extrême droite ni la gauche unie n’ont de majorité, créant une impasse législative, les économistes préviennent qu’il pourrait y avoir une crise de la dette si un gouvernement paralysé ne parvient pas à maîtriser les finances françaises.