Les médecins français s’engagent à désobéir au projet de loi privant les migrants sans papiers de leurs droits aux soins de santé

La volonté du Sénat français, dirigé par les conservateurs, de priver les migrants sans papiers de leur accès aux soins de santé gratuits a suscité un tollé général parmi les travailleurs de la profession médicale, dont beaucoup se sont engagés à ignorer une mesure qu’ils qualifient d’aberration éthique, sanitaire et financière.

Les médecins ont exprimé leur consternation dans une série de déclarations dans les médias après que les sénateurs du parti de droite Les Républicains ont amendé la semaine dernière un projet de loi sur l’immigration parrainé par le gouvernement pour supprimer un programme connu sous le nom d’Aide médicale d’État (AME) qui fournit des soins de santé gratuits aux migrants sans papiers qui ont installé en France.

Le projet de loi amendé, qui sera examiné par l’Assemblée nationale le mois prochain, a été rapidement rejeté par les responsables de la santé, qui ont averti qu’il présenterait une menace pour la santé publique et que les coûts à long terme dépasseraient de loin les économies initiales.

Le chef du consortium des hôpitaux parisiens, l’AP-HP, a déclaré que la suppression de l’AME permettrait aux maladies de se propager sans être détectées et, à terme, alourdir le système de santé français. La Fédération des hôpitaux de France (FHF) l’a qualifié d’hérésie humanitaire, sanitaire et financière.

Samedi, quelque 3 500 agents de santé ont signé une lettre s’engageant à continuer de soigner les patients sans papiers gratuitement et en fonction de leurs besoins, conformément au serment d’Hippocrate qu’ils ont prêté. Patients d’ici et d’ailleurs, nos portes vous sont ouvertes. Et cela le restera, ont-ils ajouté.

Cela signifierait effectivement travailler gratuitement, a déclaré Antoine Pelissolo, psychiatre dans un hôpital de l’est de Paris et co-auteur de la lettre. S’ils voient un patient qui n’est pas couvert (par l’assurance maladie), ils ne seront pas payés, a expliqué Pelissolo à l’AFP. C’est une position très ferme.

Guidé par l’idéologie plutôt que par des préoccupations médicales

Créée en 2000, l’AME permet aux sans-papiers d’accéder aux soins de santé gratuits fournis par le régime français d’assurance maladie. Les bénéficiaires doivent prouver qu’ils résident en France depuis au moins trois mois et qu’ils disposent d’un revenu mensuel inférieur à 810 (860$).

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Ce projet a longtemps été le punching-ball préféré des critiques de droite et d’extrême droite, qui l’accusent d’inciter à l’immigration clandestine à un coût croissant pour les contribuables français.

L’année dernière, l’AME a dénombré 411.364 bénéficiaires pour un coût total de 1,2 milliard, contre 900 millions en 2018, selon leInspection Gnrale des Affaires Sociales(IGAS), auditeur du gouvernement.

Lors des débats au Sénat la semaine dernière, Bruno Retailleau, chef de la délégation Les Républicains, a souligné l’augmentation constante ces dernières années, tant du nombre de bénéficiaires de l’AME que de son coût total. Il a ajouté : Il est tout à fait naturel que nous recherchions des moyens de réduire certains coûts.

Dans son projet de loi amendé, le parti Retailleaus a remplacé le dispositif par une aide médicale d’urgence (AMU) plus restrictive, qui ne couvrirait que les cas de maladie grave et de douleur aiguë.

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Au-delà des implications éthiques liées à la restriction de l’accès de certaines personnes aux soins, la proposition du parti d’opposition conservateur trahit une compréhension sommaire de la santé, a déclaré le professeur Pierre Tattevin, directeur adjoint de la Société française d’infectiologie (SPILF), soulignant que l’objectif d’une Le rôle du personnel médical est précisément de traiter la maladie avant qu’elle ne devienne grave et extrêmement douloureuse.

C’est ce qu’on appelle la prévention : si vous traitez quelque chose tôt, cela vous coûtera moins cher à long terme, a-t-il expliqué, arguant que le débat sur l’AME était guidé par une idéologie plutôt que par des préoccupations médicales.

Le coût de la réforme devrait dépasser les économies

Même si les dépenses de l’AME ont augmenté ces dernières années, en lien avec les chiffres de l’immigration, elles ne représentent encore que 0,5 % des dépenses publiques de santé françaises. Selon un rapport de l’IGAS de 2019, les bénéficiaires des régimes ont des coûts de santé inférieurs à ceux du grand public, soit en moyenne autour de 2 600 par an contre une moyenne nationale d’environ 3 000.

L’idée selon laquelle l’AME nous coûte de l’argent est complètement erronée, a déclaré Tattevin. Sa suppression nous coûterait bien plus cher que les économies qu’elle pourrait générer.

Plus tôt ce mois-ci, quelque 3 000 agents de santé ont signé une tribune dans Le Monde avertissant que la suppression des AME entraînerait une détérioration de la santé des travailleurs sans papiers, et plus généralement de celle de la population dans son ensemble.

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Parmi les signataires figuraient Françoise Barr-Sinoussi, lauréate du prix Nobel 2008 qui a contribué à la découverte du VIH/SIDA, et Jean-François Delfraissy, chef du conseil scientifique qui a conseillé le gouvernement français pendant la pandémie de Covid-19.

Ils ont souligné un précédent récent en Espagne, où une loi de 2012 restreignant l’accès aux soins de santé pour les immigrés illégaux a entraîné une augmentation de l’incidence des maladies infectieuses et des taux de mortalité. La réforme a finalement été abrogée en 2018.

Si l’on interdit à une partie de la population l’accès aux soins, cela aura forcément des répercussions, estime Tattevin, également signataire de la tribune du Monde. Cela pourrait prendre des mois ou des années à se manifester, mais nous nous retrouverions avec des épidémies cachées qui finiraient par toucher également le grand public, a-t-il ajouté.

Un stratagème de négociation ?

Les experts ont largement réfuté une autre critique adressée à l’aide médicale d’État : sa prétendue générosité inciterait les migrants à choisir la France plutôt que d’autres destinations.

En 2019, l’ancien médiateur français des Droits de l’Homme, Jacques Toubon, déplorait l’idée fausse selon laquelle la générosité d’un dispositif tel que l’AME conduirait à une augmentation des flux migratoires illégaux en créant un effet d’attraction. Au lieu de cela, affirme-t-il, des études montrent que le besoin de soins est une cause totalement marginale de l’immigration.

Une étude réalisée en 2022 par le Centre national de la recherche scientifique (CNRS) a révélé que moins de 10 % des migrants sans papiers français citent les soins de santé comme un facteur dans leur décision de s’installer dans le pays. Une autre enquête de l’Institut de recherche en santé de l’Irdes révèle que seule la moitié des personnes éligibles à l’AME en bénéficient réellement, en raison de contraintes administratives et d’un manque d’information.

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La Première ministre Lisabeth Borne a fait écho aux propos de Toubons lors d’un discours à l’Assemblée nationale en décembre 2022, visant à dissiper les idées fausses sur l’AME.

Non, l’aide médicale d’État n’alimente pas l’immigration clandestine. C’est une question de protection et de santé publique, avait-elle déclaré à l’époque aux législateurs. Aucun projet d’immigration vers la France n’est motivé par la seule existence de ce dispositif.

Alors que Borne a réitéré sa position la semaine dernière, le ministre français de l’Intérieur, Grald Darmanin, le principal parrain du projet de loi sur l’immigration, a déjà exprimé son soutien à une réforme de l’AME dans le but de gagner le soutien de la droite, pour ensuite faire marche arrière ces derniers jours.

Dimanche, le ministre de la Santé Aurélien Rousseau s’est engagé à défendre ce projet, affirmant comprendre les plaintes des médecins. Le gouvernement se battra pour qu’il ne soit pas obligé de recourir à la désobéissance civile, a-t-il déclaré à la radio France Info.

On a l’impression que tout cela fait partie d’une négociation, que l’abolition des AME a été lancée pour être retirée à la dernière minute, a déclaré Tattevin. De cette façon, ils peuvent dire qu’ils sont ouverts au compromis et affirmer que leur loi n’est pas aussi sévère que le prétendent leurs critiques.

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