Les Français sont-ils tombés amoureux de l’Europe ?
Bien que la France soit un membre fondateur de l’Union européenne, des enquêtes montrent que l’euroscepticisme est en hausse dans le pays. A l’approche des élections européennes, RFI s’interroge sur ce qui alimente ce désenchantement et sur ce qui peut être fait, le cas échéant, pour raviver la flamme.
Le projet européen a été alimenté par des Français. Jean Monnet et Robert Schumann ont contribué à jeter les bases de ce qui allait devenir l’UE, Jacques Delors a fondé la monnaie unique et Giscard d’Estaing, François Mitterrand et le président sortant Emmanuel Macron ont tous défendu l’Europe et ses valeurs de paix, d’unité et de démocratie.
Mais les enquêtes suggèrent que l’histoire d’amour de la France avec l’Europe traverse une période difficile.
L’Eurobaromètre 2023 de la Commission européenne a classé la France au dernier rang des 27 États membres, avec seulement un tiers déclarant faire confiance à l’UE. L’étude révèle également que les Français sont les plus pessimistes quant à l’avenir de l’UE.
Une enquête publiée le 8 mai a montré que 46 pour cent des sondés s’inquiétaient de l’Europe, tandis qu’un autre sondage montrait que la moitié n’était pas intéressée par les élections européennes.
La méfiance à l’égard de l’UE est plus élevée en France que chez nos voisins, affirme Laurence de Nervaux, responsable du groupe de réflexion Destin Commun, citant ses récentes recherches.
Seuls 41 pour cent des Français considèrent que l’appartenance à l’UE est une bonne chose, contre 54 pour cent des Allemands et 61 pour cent des Espagnols.
Parallèlement, le nombre de personnes affirmant que l’UE a eu un impact négatif sur leur vie est passé de 27 % à 37 % entre 2021 et 2024.
On voit que le mécontentement grandit, a déclaré de Nervaux à RFI.
Spectre du Frexit
Avec un mécontentement croissant, le soutien au parti populiste d’extrême droite du Rassemblement national (RN) augmente également.
Son candidat, l’eurodéputé télégénique Jordan Bardella, avec ses 1,2 million de followers sur TikTok, devance largement dans les sondages la candidate du parti Renaissance de Macron, Valrie Hayer, et le socialiste Raphael Glucksmann.
Selon de Nervaux, plus d’un tiers des électeurs français sont favorables à une sortie de l’UE, contre 24 pour cent en Allemagne voisine.
Alors que le RN ne soutient plus officiellement une sortie de l’UE ou un abandon de l’euro, le spectre du Frexit plane toujours.
Après le chaos qui a suivi le Brexit en 2020, les hauts dirigeants du Rassemblement national ont cessé de parler du Frexit presque du jour au lendemain », explique Laetitia Langlois, de l’université d’Angers, qui a mené des recherches sur l’euroscepticisme au Royaume-Uni.
Mais certains partisans inconditionnels sont toujours déterminés à quitter l’UE. Certains voudraient plaider en faveur d’un discours plus europhobe, et pas seulement eurosceptique, sur l’Europe.
De Nervaux affirme que l’électorat RN est le seul groupe où une majorité de 56 pour cent soutient le Frexit.
Le fantasme nationaliste du Frexit reste le marqueur de la culture d’extrême droite, même si ses dirigeants le nient aujourd’hui, ajoute-t-elle.

Écoutez une conversation avec Laetitia Langlois dans le podcast Pleins feux sur la France
Triangle des Bermudes
Comme d’autres partis populistes, le RN dénonce l’UE comme une institution d’élite éloignée qui œuvre pour les intérêts des grandes entreprises plutôt que pour ceux des travailleurs ordinaires et qui facilite l’immigration de masse.
Les institutions de l’UE sont perçues par beaucoup comme une « énorme machine qui ne fait qu’élaborer des normes et des règlements », explique Langlois.
« Le RN en profite et exagère la dimension bureaucratique. »
Et pourtant, « cela fait beaucoup pour la vie quotidienne des gens », note-t-elle, en soulignant le programme d’échange d’étudiants Erasmus de l’UE et les sommes importantes investies dans les régions les plus pauvres d’Espagne, d’Italie et d’Écosse avant le Brexit.
Mais le fonctionnement interne complexe de ses institutions ne contribue pas à favoriser une compréhension et un attachement au système européen.
Même les hommes politiques français, habitués à un système politique très différent de celui de l’UE, sont désorientés, estime le consultant en affaires européennes Yves Bertoncini.
« Le système politique de la France sous la Ve République est une monarchie présidentielle où le vainqueur remporte tout, alors que le système européen est plus fédéral, basé sur la dispersion du pouvoir », a-t-il déclaré à RFI.
« Nous devons redoubler de pédagogie car le triangle institutionnel Parlement européen, Commission et Conseil européen est comme un triangle des Bermudes pour les Français. Nous n’y sommes pas habitués.
Mauvaise communication
Pour De Nervaux, la méfiance de la France à l’égard de l’Europe et de ses institutions est en grande partie due à l’ignorance. 65 pour cent des Français déclarent ne pas avoir une vision claire du fonctionnement de l’UE et de ses politiques, contre 42 pour cent des Allemands.
Elle impute en grande partie cette grande ignorance aux médias français, qui sont parmi ceux du bloc qui couvrent le moins les questions européennes.
L’UE n’a pas non plus été douée pour dénoncer elle-même, souligne de Nerveux, citant son incapacité à bien communiquer sur sa capacité à prendre des décisions collectives telles que sa campagne de vaccination contre le Covid, le plan de relance post-Covid et le soutien à l’Ukraine.
Quand nous demandons aux gens ce que l’Europe leur a apporté, ils parlent de l’Europe d’il y a 20 ou 30 ans, de Schengen et de l’euro, mais ils ne font pas référence à ces épisodes récents. »
Même si les Français s’intéressent à l’Ukraine, de Nerveux insiste sur le fait qu’ils sont plus préoccupés par les questions intérieures que par les questions géopolitiques ou internationales.
« Leur principale préoccupation est le pouvoir d’achat », dit-elle, ajoutant qu’il faut leur rappeler ce que l’Europe leur apporte dans leur vie quotidienne.
Il existe une perception erronée selon laquelle l’UE a eu un impact négatif sur l’inflation, mais la vérité est que la zone euro a joué un rôle plus protecteur en termes d’inflation, alors qu’au Royaume-Uni (après le Brexit), elle a explosé.
» Et pour prendre un exemple très concret, un repas sur quatre distribué par l’association alimentaire les Restos du Coeur est financé par l’UE.
Pragmatique et lucide
Le tableau n’est pas entièrement sombre, même en ce qui concerne les enquêtes.
Un récent sondage Ifop révèle également que près de 60 pour cent des Français se disent fiers d’être européens.
Au-delà de la méfiance, les Français ont un attachement pragmatique et lucide à l’Europe, estime de Nevreux.
Et dans un « monde dangereux, complexe et instable », une majorité de Français qualifie de nécessaire leur relation avec l’Europe.
Face aux superpuissances que sont la Chine, les États-Unis et la Russie, la vision de Macron de construire une Europe forte est largement soutenue par les Français, dit-elle, notant qu’ils « souhaitent également que l’Europe prenne l’initiative sur les questions climatiques ».
Il y a même une volonté de se saisir des institutions européennes, estime Langlois, soulignant le succès inattendu de la série française Parlement.
Les trois premières séries ont attiré 7 millions de téléspectateurs, et une quatrième sortira prochainement.
Par ailleurs, Christophe Prault, du site pédagogique Toute l’Europe, constate un intérêt croissant pour les questions européennes comme l’économie, la défense et la sécurité. Les connexions à leur site ont « doublé depuis janvier ».
Il appelle à plus d’éducation sur l’UE.
On enseigne aux enfants comment fonctionne la Ve République, mais apprenons-nous comment fonctionne l’UE ? Non. Et pourtant, c’est là que nous vivons et travaillons.
Faites-les jeunes, dit de Nevreux : Les enfants devraient apprendre les 27 États membres comme ils apprennent l’alphabet.