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Les députés français votent en faveur d’un projet de loi interdisant la discrimination capillaire

L’Assemblée nationale française a approuvé jeudi une loi contre une forme de discrimination souvent négligée : les traitements préjudiciables fondés sur les cheveux. Le projet de loi, qui doit encore être voté au Sénat, s’inspire des lois américaines, où les militants antiracistes soutiennent depuis longtemps que les Noirs subissent des pressions injustes pour modifier leurs cheveux naturels.

« Ils m’ont appelé au bureau et m’ont dit : « Nous savons que vous vous souciez de vos cheveux… » Et j’ai répondu : « Oh, et ce n’est pas le cas ? »

Fanta, un ancien policier, est noire. Elle dit avoir vécu ce qu’on appelle en Francediscrimination capillaire discrimination capillaire.

« Ils m’ont demandé de les lisser parce que ce n’était pas professionnel. Mes cheveux, même si je les lis, dès que je prends une douche, ils redeviennent bouclés. Alors ils me disaient : ‘on ne t’accepte pas comme tu es’. »

Il n’est pas nécessaire de dire le message à haute voix pour passer, explique Louis, un étudiant d’une vingtaine d’années.

« Il y a eu des moments où j’ai eu des entretiens pour des stages et j’ai réalisé que mes cheveux étaient un problème pour eux, et que les gens préféraient un style, comment dire, plus droit, sans tresses, avec un dos et des côtés courts. « 

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Pleins feux sur la France, épisode 109
Pleins feux sur la France, épisode 109 RFI

Première mondiale

De telles pressions sont sans doute déjà illégales en France, où la loi interdit la discrimination fondée sur l’apparence physique ainsi que sur l’appartenance ethnique.

Mais un nouveau projet de loi veut le rendre explicite : toute distinction faite entre individus en fonction de « la coupe, la couleur, la longueur ou la texture de leurs cheveux » constitue une discrimination, que ce soit sur le lieu de travail ou plus largement.

La proposition visant à ajouter cette formulation aux codes pénal et du travail existants en France a été soumise jeudi à la chambre basse du parlement, où elle a été adoptée par 44 voix contre deux. Pour devenir une loi, il lui faut maintenant l’approbation de la chambre haute dirigée par les conservateurs, ce qui n’est pas une tâche facile.

Si elle y parvient, la France deviendra le premier pays au monde à adopter une législation nationale contre la discrimination capillaire. Même les États-Unis, où les lois sur la question ont été élaborées au niveau des États, n’ont pas encore réussi à adopter un équivalent fédéral.

Pression pour se redresser

« Oui, nous avons une loi en France contre les discriminations, mais c’est une loi mondiale et elle ne parle pas de discrimination capillaire », précise Guylaine Conquet.

Anciennement journaliste originaire des îles des Caraïbes françaises de Guadeloupe, elle est aujourd’hui artiste et activiste basée aux États-Unis. Elle est à l’origine du projet de loi sur la discrimination capillaire, qu’elle a demandé au député guadeloupéen Olivier Serva de présenter en 2022.

« La loi est tellement vague que les gens ne se voient pas dans cette loi », explique-t-elle à RFI. « C’est pourquoi nous devons être plus précis et dire : ‘on ne peut pas empêcher une fille d’aller à l’école avec des tresses, des cornrows’. »

Elle aussi a ses propres exemples à donner. Travaillant pour la télévision française en Guadeloupe, dit-elle, « les gens m’ont toujours dit que pour avoir l’air professionnelle, je devais avoir les cheveux lissés ».

Pendant des années, elle a lissé ses cheveux naturellement bouclés, un processus coûteux et laborieux impliquant des produits chimiques qui ont été associés à un risque plus élevé de cancer jusqu’à ce qu’ils commencent à tomber.

« En 2015, j’ai décidé de revenir au naturel, ce qui a été très dur pour moi. Parce que je n’étais pas habituée à mes cheveux naturels, ce qui est bizarre », raconte-t-elle. Ses téléspectateurs non plus.

« Le public, ils me regardaient, ils m’envoyaient des messages tu sais, ce n’est pas attirant, pourquoi je fais ça… Donc il y avait beaucoup de pression. »

Daltonien?

Conquet, qui vit maintenant à Atlanta, dit avoir été inspirée par les efforts visant à résister à la discrimination capillaire aux États-Unis.

À ce jour, 24 États ont adopté des versions du Crown Act (« Créer un monde respectueux et ouvert pour les cheveux naturels »), qui protège le droit de porter des coiffures telles que des afros, des tresses, des mèches et des torsions sur les lieux de travail ou d’enseignement.

Pourtant, alors que la législation américaine lie explicitement la discrimination capillaire au racisme, étant donné qu’elle touche majoritairement les personnes d’ascendance africaine, la version française est censée être daltonienne.

Invoquant l’universalisme, sa valeur fondatrice, le pays refuse de concevoir des politiques publiques destinées à des groupes spécifiques au motif que les différences raciales n’existent pas ou ne devraient pas exister.

En conséquence, le texte du projet de loi sur la discrimination capillaire ne précise pas quel type ou quelles coiffures de cheveux sont protégés, ce qui signifie, en théorie, qu’il s’applique aussi bien aux blondes ou rousses blanches qu’aux personnes noires.

« Cette loi est plus inclusive en France et plus de personnes seront protégées », insiste Conquet, qui dit avoir entendu des blondes se plaindre de ne pas être prises au sérieux en raison de leur couleur de cheveux.

Mais Rokhaya Diallo, journaliste et auteure qui écrit beaucoup sur le racisme en France, affirme que se plaindre de certaines coiffures et textures est profondément racialement codé.

« C’est vraiment une forme de discrimination implicite, où les gens ne diront pas directement que le problème est que vous êtes noir ou d’ascendance africaine, mais ils diront : ‘vos cheveux ne correspondent pas à l’image que veut notre entreprise.’ présenter’. »

Affaire difficile à gagner

Même si le projet de loi est adopté, les experts juridiques affirment que les affaires de discrimination, quelles qu’elles soient, sont notoirement difficiles à gagner.

L’organisme français de surveillance des droits publics a reçu 6 703 plaintes pour discrimination en 2023, selon son rapport annuel, dont 2 % concernaient l’apparence physique.

L’un des jugements rendus l’année dernière concernait un garçon de 4 ans dont les professeurs demandaient à plusieurs reprises à ses parents de lui couper ou d’attacher ses longs cheveux afro, au motif que le règlement de l’école interdisait les coiffures « fantaisistes ».

L’organisme de surveillance a estimé que l’incident, survenu en 2018, constituait une discrimination fondée sur « l’apparence physique liée au sexe » et « l’origine ethnique réelle ou présumée ».

Il a recommandé une révision des règles de cette école et d’autres écoles, ainsi qu’une formation anti-discrimination, mais n’a aucun pouvoir pour imposer des sanctions.

Les poursuites judiciaires, pouvant aboutir à des amendes ou à d’autres sanctions, restent rares.

Commencer une conversation

« Bien sûr, les choses ne vont pas changer d’aujourd’hui à demain si la loi est votée », reconnaît Conquet.

« Mais au moins les gens en parlent… Cette loi, je l’espère, incitera les gens à parler davantage de cette question et à ne plus se complexer à propos de leurs cheveux. »

Sa prochaine campagne, dit-elle, sera de faire pression pour que les coiffeurs français soient formés sur les cheveux bouclés et bouclés dans le cadre de leur certification professionnelle, et pas seulement sur les cheveux raides, une autre étape pour encourager les personnes de couleur à adopter leurs cheveux naturels.

« Nous ne devrions pas être obligés de nous conformer au style européen. C’est comme si vous me demandiez de vous ressembler, et je ne suis pas comme vous », dit-elle.

« La France est diversifiée. La France n’est pas seulement française à Paris, la France est partout dans le monde. Je suis antillaise, je suis antillaise française… Il faut donc qu’ils reconnaissent ma différence et l’acceptent. »


Sylvie Koffi de RFI a fourni un reportage complémentaire à cette histoire.

Retrouvez une version audio sur le podcast Pleins feux sur la France, épisode 109.

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