Les arguments en faveur de la défense : comment la guerre de la Russie contre l’Ukraine a donné raison à la France – Analyse

Par Pawel Zerka*

La guerre en Ukraine a confirmé la validité de l’approche de certains pays européens vis-à-vis de la Russie et de leur propre défense. La Pologne peut désormais se sentir justifiée dans sa méfiance de longue date à l’égard de la Russie, ainsi que dans son insistance sur le rôle crucial des États-Unis pour la sécurité européenne. Pendant ce temps, l’espoir de l’Allemagne d’avant 2022 de convertir la Russie en un partenaire fiable grâce à l’interdépendance économique s’est avéré être une chimère, poussant le chancelier Olaf Scholz à annoncer un demi-tour allemand qui comprend une augmentation importante des dépenses militaires et une diversification des importations d’énergie. Pour les autres États membres, cependant, les choses ne sont pas aussi tranchées.

La France en est un exemple particulièrement frappant et important. La guerre juste à l’extérieur des frontières de l’Union européenne démontre la nécessité de renforcer les capacités militaires des continents, ce que le président Emmanuel Macron prône depuis 2017. En effet, la France à capacité nucléaire avec l’armée la plus puissante de l’UE, une industrie de défense florissante, une sécurité partenariat avec le Royaume-Uni, et un siège au Conseil de sécurité de l’ONU a les meilleures références pour mener un tel projet. Sur d’autres questions majeures de sécurité européenne, on peut noter que la France importait peu de gaz de Russie, ayant pris la décision d’augmenter la production d’énergie nucléaire suite au choc pétrolier des années 1970. Ainsi, la guerre a probablement aidé Paris à se sentir doublement justifié : dans ses appels à l’autonomie stratégique de l’Europe au fil des ans et dans la valeur qu’il a longtemps accordée à la sécurité énergétique.

Le problème est que regarder depuis Varsovie, Tallin ou Stockholm en France s’est en fait avéré doublement faux. Premièrement, Paris a sous-estimé l’engagement et le caractère indispensable de Washington pour la sécurité européenne, le rôle démesuré des États-Unis dans le soutien à l’Ukraine cette année mettant en doute l’idée que l’Europe pourrait un jour devenir stratégiquement autonome par rapport aux États-Unis. Deuxièmement, la France a longtemps semblé trop désireuse de s’engager avec la Russie après l’annexion de la Crimée par cette dernière en 2014 et même depuis son invasion totale de l’Ukraine cette année. Le souvenir des réflexions de Macron en 2019 sur la mort cérébrale de l’OTAN et sa rencontre de Brganon avec Vladimir Poutine la même année approfondissent cette méfiance sous-jacente à l’égard de la France pour de nombreux décideurs politiques d’Europe de l’Est et du Nord ; leurs soupçons actuels sur les tentations d’apaisement de France ne sont pas une surprise.

Cependant, tout comme trop d’autosatisfaction dissonante à Paris pourrait être malavisée, ceux qui s’en tiennent à un stéréotype de la France risquent de négliger un changement significatif dans l’approche du pays non seulement sur la Russie, mais aussi sur l’OTAN et sur la défense nationale et européenne.

Frances tour

Les critiques de la France deviennent de plus en plus injustes, même si le stéréotype était autrefois largement justifié. Paris avait déjà commencé à revoir son approche de la Russie avant le 24 février 2022. Cela a été principalement motivé par la rivalité de Moscou au Sahel, où la Russie a supplanté les forces de l’UE dirigées par la France en tant que principal partenaire militaire du Mali. Cette année, l’invasion de l’Ukraine a ensuite accéléré la réflexion et il y a des signes d’un tournant majeur.

En 2022, la France a considérablement renforcé sa présence militaire sur le flanc est de l’OTAN en Roumanie (où elle est désormais la nation cadre des alliances), ainsi qu’en Lituanie et en Estonie. Et, bien que le soutien militaire de la France à l’Ukraine soit limité par rapport aux États-Unis ou même à la Grande-Bretagne, ses efforts se sont révélés particulièrement utiles sur le champ de bataille. Par exemple, les obusiers automoteurs Caesar de fabrication française ont joué un rôle clé dans la contre-offensive ukrainienne dans la région du Donbass. Les armes françaises arrivent également probablement en Ukraine en plus grandes quantités que ne le montrent les données officielles, et la France s’est engagée à former 2 000 soldats ukrainiens.

En termes d’engagement avec la Russie, Macron a reçu de nombreuses critiques pour ses conversations avec Poutine. Mais des images du 24 février montrent le président ukrainien Volodymyr Zelensky demandant à Macron de contacter Poutine, tandis que la transcription de l’appel ultérieur entre les dirigeants français et russe dépeint le premier sous un jour favorable. En outre, Macron peut souvent insister sur la nécessité de négociations de paix, mais il a également été clair sur le fait que l’Ukraine devrait décider du moment opportun pour celles-ci. À au moins une occasion, il a reconnu que l’objectif de l’Ukraine dans cette guerre était de regagner ses frontières de 1991, ce qui signifie reprendre la Crimée. Cela va plus loin que d’autres dirigeants d’Europe occidentale, tels que Scholz, bien que le président reste ambigu quant à savoir si son pays partage officiellement l’objectif de l’Ukraine.

La récente revue stratégique nationale du gouvernement français codifie plusieurs de ces changements. Il charge la France de devenir un moteur de la coopération entre l’UE et l’OTAN. Cela place les arguments en faveur de l’autonomie stratégique de l’Europe fermement au sein de l’alliance (plutôt qu’en opposition avec elle), ce qui devrait aider à réduire les soupçons des États membres de l’est et du nord de l’UE. L’examen indique également clairement que l’autonomie stratégique au sein de l’OTAN devrait être largement axée sur le renforcement de la coopération défense-industrie (plutôt que, par exemple, sur la construction d’une armée européenne).

La revue et le discours d’accompagnement de Macron à Toulon ont également été l’occasion pour Paris de rappeler sa politique de dissuasion nucléaire, menée depuis au moins 2018, qui consiste à reconnaître la dimension européenne des intérêts vitaux de la France. Il confirme que cette politique peut s’appliquer aux attaques en dehors du territoire français, corrigeant la récente gaffe de Macron selon laquelle une frappe nucléaire en Ukraine ne mettrait pas en danger les intérêts vitaux de la France et n’appellerait donc pas une réponse nucléaire de la France.

Les références à une économie de guerre figurent également en bonne place dans l’examen, principalement en ce qui concerne la manière dont l’industrie de défense française devrait se préparer à assurer et, si nécessaire, augmenter sa production en réponse aux exigences de la guerre en cours. Macron a été parmi les rares dirigeants européens à parler ouvertement de ce sujet ces derniers mois. Enfin, le nouveau document stipule que la France préparera ses forces armées à un conflit de haute intensité, comme la guerre actuelle en Ukraine. Ce serait une transformation majeure pour l’armée française.

Tourner les autres

Le nouveau positionnement de la France ne devrait pas convaincre tout le monde. En effet, pour un groupe d’experts français, seul un virage plus radical de la politique étrangère du pays peut dépasser les stéréotypes. Selon eux, la France doit augmenter considérablement son soutien militaire à l’Ukraine pour devenir l’un de ses principaux donateurs au lieu d’être à la traîne du Royaume-Uni, de la Pologne et même de l’Estonie. Il pourrait également devenir le premier pays à fournir des chars et des avions de chasse occidentaux. La France devrait également renoncer à sa prétention de jouer un rôle d’équilibre vis-à-vis de la Russie et exprimer sans ambiguïté sa solidarité avec l’Ukraine.

De telles revendications ne sont rien de moins qu’un appel à une France Zeitenwende. Beaucoup de ces idées se révéleront hors de portée, mais elles soulignent utilement la nécessité pour la France de ne pas se reposer sur ses lauriers et donnent des orientations sur la manière de procéder. L’appel des Macron à l’autonomie stratégique européenne serait plus fort si la France augmentait son soutien militaire, humanitaire et financier à l’Ukraine. Macron pourrait également préciser qu’il partage l’objectif de Zelensky de restaurer les frontières ukrainiennes de 1991. Au-delà, le pays devra démontrer et maintenir sa nouvelle posture sur le long terme (y compris au sein de l’OTAN) pour reconstruire ses lettres de noblesse auprès des États membres de l’est et du nord de l’UE.

Cependant, le contexte extérieur accroît l’urgence pour l’Europe de devenir plus autonome dans sa sécurité. Et la France ne peut assumer seule l’entière responsabilité des progrès dans ce sens. Quel que soit le parti au pouvoir à Washington, la dure réalité d’une rivalité croissante entre les États-Unis et la Chine ne permettra pas aux Américains de s’impliquer autant dans la sécurité européenne que beaucoup en Europe le souhaiteraient. Il appartient donc également aux autres États membres de l’UE de tirer les bonnes conclusions de ce contexte et de répondre à la nouvelle position de Paris.

Le besoin le plus immédiat est que les Européens coordonnent mieux leur réarmement et leurs fournitures d’armes à l’Ukraine, ce qui nécessite des achats de défense conjoints. Et, selon le récent examen de la défense de l’UE, les principaux risques à moyen et long terme comprennent des décisions de dépenses déconnectées entre les États membres et une dépendance à l’égard de fournisseurs non européens. L’Allemagne et la Pologne, par exemple, consacrent une grande partie de leurs budgets militaires accrus à des produits américains et sud-coréens prêts à l’emploi. Si eux et d’autres continuent dans cette voie, les forces européennes risquent de se fragmenter de plus en plus. L’UE pourrait également perdre une occasion unique : ensemble, les budgets de défense des États membres pourraient non seulement fournir des armées plus cohérentes, mais aussi plus capables et autonomes grâce à des économies d’échelle et au développement de la base industrielle et technologique européenne. En effet, l’examen de l’UE conclut que les États membres devraient coordonner leurs objectifs de capacités militaires à long terme et améliorer la collaboration en matière d’investissement dans la défense.

Cela fait écho à l’argument français selon lequel : l’autonomie stratégique européenne dépend de capacités industrielles de défense européennes robustes qui répondent à ses propres besoins. Devenir plus favorable à l’idée d’une autonomie stratégique européenne est dans l’intérêt de tous les États membres de l’UE, qu’ils fassent encore entièrement confiance à la France sur ce point ou non. Adopter cette orientation pour l’avenir de la défense européenne présentera également un nouveau défi pour les Polonais transatlantistes. Il ne leur suffira pas de souligner qu’ils avaient raison sur la Russie. Au moment même où Berlin donne son Zeitenwende véritable dimension européenne, Varsovie doit apprendre à travailler avec Paris pour renforcer la sécurité européenne.

Le Conseil européen des relations étrangères ne prend pas de position collective. Les publications de l’ECFR ne représentent que les points de vue de leurs auteurs individuels.

*À propos de l’auteur : Pawel Zerka est ECFR Policy Fellow, avec des domaines d’expertise dans l’opinion publique européenne, la souveraineté économique, la Pologne et la France dans l’UE

Source : Cet article a été publié par l’ECFR

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