L’éducation à l’honneur alors que le chien de garde met en garde contre une réaction sexiste qui balaie la France

L’organisme français de surveillance de l’égalité a appelé à un plan d’urgence pour lutter contre le sexisme généralisé qui touche en particulier les jeunes, alors que le système éducatif du pays ne parvient pas à favoriser l’égalité des sexes dès un âge jeune et vulnérable. Alors que l’exposition en ligne à la pornographie est particulièrement alarmante, les experts affirment que la réaction sexiste est également la preuve que les thèmes féministes ont fait des percées importantes, suscitant des débats animés, quoique souvent acrimonieux.

Cinq ans après le début du mouvement #MeToo, et près de six ans après que le président Emmanuel Macron a déclaré l’égalité des sexes la Grande Cause de son premier mandat, le principal chien de garde de l’égalité en France a offert une évaluation cinglante des progrès du pays en la matière.

Selon le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes (HCE), le sexisme est loin de reculer en France. En fait, certaines de ses manifestations les plus violentes s’aggravent, a averti le conseil dans son rapport annuel cette semaine, notant que la société française reste très sexiste à tous les niveaux et que les jeunes générations sont les plus touchées.

Le chien de garde a signalé une réaction sexiste, amplifiée par les médias sociaux, qui cherche à réduire les femmes au silence. Il a appelé à un plan d’urgence national pour lutter contre ce qu’il a décrit comme les conséquences massives, violentes et parfois mortelles » du sexisme dans un pays où les taux de violence sexiste sont obstinément élevés.

Le rapport cinglant du HCE n’est que le dernier à signaler des lacunes majeures dans la promotion de l’égalité des sexes dans les écoles françaises. En août de l’année dernière, la responsable du HCE, Sylvie Pierre-Brossolette, avait déjà critiqué le gouvernement pour son incapacité à traiter l’égalité et le respect entre les hommes et les femmes comme une priorité éducative pour les enfants.

Pierre-Brossolette, qui devait rencontrer le président Macron mercredi, s’est dit particulièrement préoccupé par l’incapacité à fournir une éducation sexuelle adéquate à un moment où les jeunes sont confrontés à une exposition sans précédent à la pornographie sur les réseaux sociaux. Elle a averti que le fait de ne pas protéger les jeunes garçons du contenu pornographique sèmerait les germes de violences et de fémicides futurs.

Sexualité et consentement

Les cours d’éducation sexuelle sont obligatoires en France, mais un rapport publié l’année dernière par l’Inspection générale des ministères de l’Éducation a révélé que seuls 15 % des lycéens et 20 % des collégiens recevaient un enseignement approprié. Une étude distincte du groupe féministe #NousToutes a conclu que les élèves français ont en moyenne assisté à une session de ce type sur sept tout au long de leur scolarité, la plupart dispensées par leurs professeurs de biologie plutôt que par des spécialistes formés.

La reproduction et la sexualité ne sont pas la même chose, il ne suffit pas de savoir où sont les trompes de Fallope ! dit Margot Fried-Filliozat, sexologue qui donne des cours de sexualité aux élèves de 12 à 15 ans en région parisienne.

Fried-Filliozat a déclaré que les cours d’éducation sexuelle sont un élément clé de la lutte contre le sexisme et les violences sexuelles, permettant aux enseignants d’introduire la notion de consentement tout en favorisant des échanges authentiques et décomplexés avec les élèves.

Quand ils voient que j’utilise de vrais mots et que je n’hésite pas, ils parlent beaucoup plus librement, dit-elle, ajoutant que le mouvement #MeToo avait permis de sensibiliser et de délier les langues. Elle a noté un franc-parler grandissant chez les jeunes filles, citant une élève qui criait en classe, Bien sûr que les filles se masturbent c’est important !

En amont de chaque session, Fried-Filliozat met à la disposition des étudiants une boîte aux lettres numérique où ils peuvent poser leurs questions de manière anonyme.

À cet âge, les questions ont tendance à tourner autour des normes et des obligations, ce qu’ils assument détermine l’acceptation sociale, a expliqué le thérapeute. Elle se souvient qu’une étudiante lui a demandé si elle était obligée de tout faire (relations sexuelles vaginales et anales) lors de sa première relation sexuelle.

Parfois, certaines questions d’élèves poussent très loin, a-t-elle ajouté, pointant le fait de parler de bukkake et de pratiques zoophiles, conséquence de l’exposition croissante des jeunes à la pornographie facilement accessible via les réseaux sociaux.

Selon un récent sondage du groupe de défense Mémoire Traumatique et Victimologie, un tiers des 18-24 ans voient dans la pornographie un moyen d’acquérir une éducation sexuelle comme un autre. En septembre dernier, un rapport parlementaire exhortait le gouvernement à restreindre l’industrie du porno et à empêcher les mineurs d’accéder à des contenus pornographiques sur Internet, une mesure déjà imposée aux sites pornographiques mais rarement appliquée.

ZOOM SUR LA FRANCE
ZOOM SUR LA FRANCE Gabriel Bouys, AFP

Les enfants sont exposés à des images pornographiques dès leur plus jeune âge, non pas parce qu’ils le souhaitent, mais parce qu’ils apparaissent sur leurs fils de médias sociaux, a déclaré Anabelle Pasillas, consultante qui conseille les écoles sur l’égalité des sexes.

Il n’est pas rare que la moitié des élèves d’une classe lèvent la main lorsqu’on leur demande s’ils ont été exposés à des sextos ou à des images pornographiques sur leurs téléphones, non sollicités, a-t-elle ajouté, signalant un cyber-sexisme invisible qui sévit sur les réseaux sociaux et amplifie le réel -inégalités de vie.

Pasillas utilise des clips vidéo et des publicités populaires lors de ses séances avec les élèves afin d’analyser et de déconstruire leurs messages, comme les publicités sur les parfums qui sexualisent le corps des femmes ou virilisent les hommes. Elle a souligné l’importance de favoriser un débat ouvert avec les élèves qui sont à un âge où leur l’identité sexuelle est encore en gestation et encourage les jeunes hommes et femmes à s’approprier le sujet et à remettre en question les stéréotypes sexistes.

Développer un esprit critique

Si l’école ne peut à elle seule lutter contre les inégalités de genre, elle a un rôle décisif à jouer dans la prévention à long terme des violences sexistes et sexuelles, a déclaré Sarah Durocher, qui co-dirigePlanification familiale, un regroupement d’associations féministes offrant éducation sexuelle, contraception et conseil. Elle a décrit l’éducation à la sexualité comme un outil d’émancipation individuelle et collective, un moyen de développer un esprit critique et de faire ses propres choix.

Le sexisme et les violences sexuelles découlent d’une société patriarcale où les rôles sont sexués, on le voit dans les livres, les dessins animés et les films, a-t-elle expliqué. Interroger le rôle des femmes dans la fiction, dès leur plus jeune âge, et donc aussi s’interroger sur leur rôle dans la vie réelle, peut aider à planter une petite graine dans leur esprit.

Durocher a dit que Code de l’Education la législation qui sous-tend le système éducatif français est, en théorie, bien équipée pour aborder des sujets tels que la puberté, les préjugés sexistes et homophobes et la santé sexuelle. La loi est bien telle qu’elle est, nous ne voulons pas la changer. Le problème est de savoir comment le mettre en œuvre, a-t-elle ajouté, pointant un manque de volonté politique et de moyens financiers.

La rareté de la volonté et des moyens se reflète dans ce que le spécialiste de l’éducation Simon Massei, chercheur postdoctoral à l’Université Paris-Est Crteil, a décrit comme la pratique consistant à déléguer l’éducation sexuelle et les questions de genre à des associations au lieu de former des enseignants.

Les enseignants français ne reçoivent qu’une formation minimale sur ces sujets, généralement sous la forme de modules supplémentaires qui ne sont pas obligatoires, a expliqué Massei, notant que la sexualité et les questions de genre sont également mises de côté dans les programmes scolaires.

Les relations de genre affectent de nombreux aspects de la vie et ne se limitent pas à la sexualité ; ils pourraient être intégrés à l’étude de la littérature, de l’histoire et d’autres matières, a-t-il déclaré. Au lieu de cela, les enseignants reçoivent des kits pédagogiques facultatifs et vite oubliés.

On pourrait pardonner aux gouvernements français d’être prudents lorsqu’il s’agit de lutter contre les inégalités entre les sexes à l’école. En 2014, le gouvernement socialiste de l’époque a été contraint à un revirement humiliant lorsque son plan de lutte contre le sexisme et les stéréotypes de genre à l’école primaire a déclenché une réaction féroce de la part de parents convaincus qu’on apprenait à leurs enfants à être ni garçons ni filles, mais neutres. .

Des contrecoups similaires ont suivi d’autres tentatives pour lutter contre les préjugés sexistes, y compris les efforts féministes pour lutter contre le sexisme enraciné dans la langue française, qui, selon les experts, encourage les inégalités fondées sur le sexe dans la société.

Des réactions anti-féministes sont à prévoir, a déclaré l’économiste et écrivain féministe basée à Paris Ginevra Bersani, notant que de telles réactions négatives sont plus visibles parce que les gens s’expriment davantage et que les comportements sexistes sont signalés plus facilement.

Bersani a récemment co-écrit l’édition italienne d’un livre sur le coût de la virilité le coût économique pour la société des hommes se comportant selon les stéréotypes sexistes. Elle a ajouté que les hommes sont également piégés dans un système patriarcal qui attend d’eux qu’ils soient forts, courageux et qu’ils ne laissent jamais échapper leurs émotions.

La lutte contre ces stéréotypes socialement construits ne peut se faire uniquement au niveau de l’école, a ajouté Bersani, notant que les disparités entre les sexes doivent être traitées à tous les niveaux, que ce soit au sein du gouvernement, de la vie familiale, de la publicité ou des médias.

Les jeunes hommes sont soumis aux injonctions d’un système patriarcal qui interdit de pleurer, d’être délicat ou de dire certaines choses, y compris entre amis, a ajouté le documentariste Laurent Metterie, qui a mené de nombreux entretiens avec des écoliers de 7 à 18 ans, testant leur réponse à des sujets tels que l’inégalité entre les sexes, la honte corporelle, la pornographie et la sexualité.

Des extraits des entretiens, visibles en ligne, révèlent une remarquable lucidité et une prise de conscience des disparités de genre chez certains jeunes.

Il est plus facile pour les garçons de faire le travail qu’ils veulent, dit un élève du primaire, notant que les filles de sa classe ont le sentiment que certains emplois ne sont pas pour elles. Par contre, il est plus difficile pour les garçons d’exprimer leurs émotions, explique un élève plus âgé, ajoutant : « Fais-le une fois et tous les autres garçons se moqueront de toi.

Conçu comme un outil pédagogique, le documentaire à paraître de Metteries vise à révéler la tension qui se joue entre avancées féministes et réaction patriarcale. La cinéaste, qui travaille en binôme avec la philosophe féministe Camille Froidevaux-Metterie, a insisté sur la nécessité pour les hommes de jouer leur rôle dans la promotion des idées d’égalité des sexes auprès des jeunes garçons, tout en veillant à ne pas culpabiliser ou alimenter le ressentiment.

Dans un contexte systémique de patriarcat, il est naturel d’être témoin de tensions et de résistances aux avancées féministes, mais ce n’est pas nécessairement un mauvais signe, a-t-il déclaré. Cela signifie que les choses avancent également, de manière encourageante.

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