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Le champagne face au changement climatique

Alors que le réchauffement de la planète affecte les vignerons du monde entier, certains producteurs de champagne s’attaquent au changement climatique et ouvrent une nouvelle voie dans le processus.

Par une belle journée dans l’Aube, la région la plus méridionale de la Champagne, de nettes rangées de vignes s’élèvent à perte de vue à perte de vue. C’est la première semaine de juin et les vignes sont en pleine floraison. À première vue, dans environ 100 jours, la récolte sera abondante si le temps le permet. Mais ces deux mots simples, toujours problématiques pour les vignerons, ont pris une toute nouvelle urgence ces 10 à 20 dernières années. L’année dernière, à cette époque, les viticulteurs de Champagne calculaient encore les dégâts d’un gel sévère au début d’avril, lorsque les températures ont plongé jusqu’à -8 ° C (17 ° F) pendant la nuit, détruisant environ 30% de la récolte de la région et jusqu’à 90% pour certains producteurs. L’Aube, dont le climat méridional plus chaud entraîne un débourrement plus précoce, a été durement touchée. Puis vinrent les pluies. Juin a été exceptionnellement humide, mais en juillet, lorsque les producteurs dépendent de la chaleur et du soleil pour amener les fruits à maturité, des jours de tempêtes et d’averses torrentielles ont provoqué la pire épidémie de mildiou mortelle pour les raisins depuis des décennies. En quelques semaines, une grande partie du fruit qui restait a été ravagée sur la vigne.

Il y a trente ans, le gel n’aurait probablement pas du tout affecté la récolte, puisque la vigne serait encore en dormance. Mais au cours des 20 dernières années, les températures dans ce climat nordique historiquement frais ont augmenté de 1,2 °C, accélérant le débourrement et la récolte de 18 jours en moyenne. Entre 1977 et 1987, sept récoltes sur dix ont eu lieu en octobre et le reste à la fin septembre, comme c’est le cas depuis au moins 120 ans, aussi loin que remontent les records. En 2020, la région a enregistré sa première récolte de l’histoire, sa sixième au cours des 15 dernières années à commencer en août. Etre vigneron, c’est avant tout travailler avec la nature. Et bien que vous ne trouviez pas de négationnistes du climat en Champagne, vous trouverez des vignerons qui s’accrochent aux anciennes méthodes, ceux qui testent prudemment des méthodes plus en harmonie avec la terre, et une poignée qui font avancer l’agriculture durable et révolutionnent tranquillement la vinification en le processus. Et c’est dans l’Aube que tout a commencé.

L’intérieur du restaurant de la ferme à la table Le Garde Champtre Le Garde Champtre

Biodynamie : est-ce l’avenir ?

Le Garde Champtre, dans le paisible village riverain de Gy-sur-Seine, est le premier (et le seul) véritable restaurant et auberge de Champagne, ouvert en 2018 par le restaurateur parisien Juan Sanchez et ses partenaires. Le menu gastronomique du restaurant est fourni en grande partie par son jardin de quatre acres, jouxtant une salle à manger extérieure. Il n’a pas fallu longtemps pour que Le Garde devienne le repaire préféré des vignerons et des habitants de l’Aube et de toute la Champagne, ainsi que des gastronomes d’aussi loin que Dijon et Paris. Sa salle à manger élancée était l’endroit idéal pour parler climat et champagne avec Jean-Sébastien Fleury et Raphal Piconnet, vignerons biodynamiques dont les champagnes Sanchez sont ici les champions, ainsi que dans sa boutique de vin entièrement naturelle à Paris.

Jean-Sébastien, vigneron de troisième génération dans le village voisin de Courteron, dans l’Aubes Côte des Bar, travaille avec son père, Jean-Pierre Fleury, le premier viticulteur champenois pionnier de la biodynamie, une méthode de culture intégrative et complexe qui considère tous les aspects de l’environnement, des insectes à l’astronomie, dans ses pratiques. Fleury s’est converti à l’agriculture biologique dès 1970, et a commencé à cultiver en biodynamie en 1989, achevant la conversion de l’ensemble de son domaine en 1992. Le Champagne Fleury est depuis devenu une référence en Champagne et dans toute la France, tant pour son savoir-faire que pour ses vins exceptionnels, attirant étudiants et jeunes vignerons de tous les coins du pays pour apprendre les principes et les pratiques de la biodynamie.

Jean-Sébastien Fleury dégustant le vin S Chaplis

Le champagne Raphal Piconnet n’a pas eu besoin d’aller bien loin. Inspiré par Fleury et déterminé à reconvertir le domaine familial de Bichery, à 3 km, il rencontre des résistances. En Champagne il y a beaucoup de pression économique ; si vos parents sont entièrement chimiques, ils ne veulent pas entendre parler de bio. C’est une résistance caractéristique des vignerons plus âgés, mais pas tant des jeunes vignerons, une génération de plus en plus sous la pression de l’instabilité croissante de la nature, et confrontée à des preuves de plus en plus nombreuses que travailler en harmonie avec la nature est non seulement plus satisfaisant mais se reflète positivement dans les vins.

Paradoxalement, conviennent Raphal et Jean-Sébastien, ce n’est pas tant le réchauffement des températures qui affecte négativement les vignerons champenois du moins pour l’instant mais c’est l’imprévisibilité et l’extrême météo qui accompagnent le changement climatique : périodes prolongées de pluie ou de sécheresse, chaleur précoce et les gelées tardives, la grêle de la taille de billes sont difficiles à supporter.

Mais voici l’avantage : des étés plus chauds signifient des raisins à croissance plus rapide, il n’est donc plus si difficile d’obtenir la bonne quantité de sucre pour un vin équilibré. Notamment du cépage acide Chardonnay, l’un des trois principaux cépages champenois, un fruit divers et à maturation lente qui confère aux champagnes des notes hespéridées, fleuries ou minérales selon les terroirs, et que les viticulteurs ont toujours eu du mal à garder sur la vigne assez longtemps pour atteindre maturité suffisante. Mais même si les rendements diminuent, les vins s’améliorent. Étaient au moment idéal, confirme Fleury. Avant, il fallait ajouter une bonne quantité de sucre pour atteindre 11 ou 12 degrés [alcohol] en Champagne; il était difficile d’obtenir la maturité au bon niveau. Notre époque est juste parfaite pour faire du vin sans trop d’additifs comme le sucre c’est facile pour nous.

Vignerons Jean-Sébastien Fleury et Raphaël Piconnet J Ladonne

Lentement mais sûrement

Sur les 33 000 hectares de vignes en Champagne, moins de 600 sont certifiés bio et moins de 2 % des viticulteurs ont adopté les méthodes biodynamiques. Leclerc Briant à pernay en quelque sorte le pendant nord de Fleury est un autre pionnier.

Bertrand Leclerc, descendant d’un héritage familial qui remonte à près de 150 ans, a cessé d’utiliser des produits chimiques nouvellement introduits en 1947, soupçonnant qu’ils le rendaient malade. Son fils, Pascal, a continué à travailler en bio tout en expérimentant la biodynamie dans les années 1990. Les résultats sont si prometteurs qu’en 2005, l’ensemble de son vignoble de 30 hectares est certifié biodynamique. Bien que Pascal soit décédé en 2010 et que la maison ait pour la plupart changé de mains, elle a maintenu une allégeance stricte aux méthodes biodynamiques, faisant appel à l’expertise d’Herv Jestin, l’un des vignerons biologiques les plus respectés de la région champenoise. Biodynamie est un mot trop large on ne fait pas comme les producteurs biodynamiques du sud de la France, même ici, même à Fleury, dit Pierre Bettinger, associé chez Leclerc Briant. Mais le point commun est que nous plaçons la nature au centre ; nous essayons d’exprimer la nature. Ce qu’ils ont aussi en commun, c’est le désir de créer non seulement de bons vins, mais d’atteindre la véritable excellence, et ils croient, comme le dit Bettinger, que la meilleure voie est la voie biodynamique.

De plus en plus de gens voient que les vins bio et biodynamiques, lorsqu’ils sont faits correctement et pour les bonnes raisons, ne sont pas ce que le mot évoquait autrefois (et le fait encore pour certains) : des vins funky faits par des hippies qui sentent la peau d’un cochon sauvage , rit Betting. Les vins peuvent être vifs, harmonieux, riches et audacieux selon les parcelles, puisque tous les vins de Leclerc Briants sont issus d’un seul millésime et expriment un terroir spécifique encore relativement rare dans une région réputée pour l’assemblage de raisins de différentes parcelles et différentes années pour obtenir un style de maison.

Certains pourraient considérer ses pratiques comme controversées, voire à la limite des arcanes, explique Peter Liem, critique de vin américain et spécialiste du champagne, dont le tome Champagne : Le Guide Essentiel des Vins, Producteurs et Terroirs de la Région Iconique est un ouvrage de référence faisant autorité, mais les résultats parlent d’eux-mêmes, étant non seulement d’une qualité constamment élevée, mais aussi d’un caractère expressément individuel.

Les vignobles pionniers de Leclerc Briant S Chapuis

Vers le Nord

Mais ce ne sont pas seulement les petites maisons qui prennent la mesure du changement climatique et optent pour la durabilité. Louis Roederer a commencé à expérimenter des méthodes biodynamiques en 2000, en utilisant des parcelles parallèles, certaines biodynamiques, d’autres non pour comparer. Les résultats sont peut-être mieux résumés par le fait que certains des plus grands dégustateurs ont pu distinguer quels jus étaient produits en biodynamie, et que la maison utilise les fruits de ces parcelles dans leurs cuvées millésimées, jusque dans Cristal, leur champagne premium, à partir à environ 300 $ la bouteille. Mot et Chandon a également tranquillement testé les eaux, et il ne fait aucun doute, selon les rumeurs de l’industrie, que d’autres grands noms ont également pesé tranquillement les avantages.

D’autres encore expérimentent dans des climats plus frais, car la vinification se dirige inévitablement plus au nord. Taittinger, en partenariat avec la société anglaise Hatch Mansfield Ltd, a fondé le Domaine Evremond, dans le Kent, en Angleterre, où le sol de craie fait partie de la même veine qui coule sous la région de Champagne, et où les vignerons ont eu un succès fabuleux en produisant des vins mousseux exceptionnels.

Patrick McGrath, associé à Evremond, ne dirait pas que le climat a été le premier catalyseur de l’aventure, mais il a déclaré : Disons simplement que je n’aurais jamais eu la conversation avec mon ami Pierre-Emmanuel Taittinger si le climat se refroidissait. Si Taittinger sera la première maison française à créer un vin effervescent de bout en bout sur le sol anglais (le projet a débuté en 2015 et les premiers vins seront commercialisés en 2024), Pommery a depuis emménagé. Quand j’ai demandé à McGrath s’il attendait plus de producteurs français arrivent au Royaume-Uni, il a dit qu’il serait très surpris s’ils ne le faisaient pas.

Jean-Pierre Fleury est un pionnier dans le monde de la biodynamie Champagne Fleury

La preuve est dans la bouteille

Mais quelle est cette qualité ineffable que les vignerons sont convaincus que la biodynamie peut exprimer ? Pierre Bettinger s’empresse de souligner que s’il ne dira pas que les vins Leclerc Briants seront meilleurs que les vins non biodynamiques, ils seront meilleurs pour vous. Avec moins de sucre, de sulfites et sans produits chimiques utilisés dans la culture conventionnelle, les vins feront moins de mal à votre corps. Oui, le but est d’avoir plus de complexité, une meilleure expression du terroir, et le plus grand vin possible. Mais peut-être que le but ultime est le moins tangible d’une certaine âme dans le vin, un mot que Bettinger et Fleury utilisent pour décrire leur inspiration. À mon avis, dit Bettinger, il y a quelque chose de plus, une touche, une émotion dans le vin que vous ne pouvez pas toujours expliquer. Et je pense que les processus biodynamiques apportent cela. Parce que cela vient de la nature qui s’exprime à travers le vin.

Jean-Sébastien Fleury est d’accord : Vous essayez d’ouvrir votre oreille, non seulement pour entendre, mais tous vos sentiments, afin que vous puissiez écouter et comprendre le vin, qui est plein de joie, plein de patience, c’est quelque chose à quoi je donne tout mon savoir. , mon amour. L’émotion va dans la bouteille et chez les personnes qui boivent le vin. Il ne fait aucun doute dans l’esprit de ces viticulteurs que la nature les suit de plus en plus, et non l’inverse. Tous les effets du changement climatique sur le vin sont encore inconnus, mais il est clair que travailler en harmonie avec la nature profite à tous.

Crédit photo principal : Patrick McGrath et Pierre-Emmanuel Taittinger au Domaine Evremond dans le Kent Patrick McGrath

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