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La France veut étendre son parapluie nucléaire à l’Europe. Mais Macron est-il prêt à troquer Paris contre Helsinki ?

Illustration de Thomas Gaulkin ; Photo (modifiée) par Dominique Jacovides / Abaca / Alamy

La dépendance de l’Europe à l’égard des armes nucléaires américaines est au cœur de la relation de sécurité transatlantique, tout comme la protection dont bénéficie le vieux continent en faisant partie de l’alliance de l’OTAN et de son puissant article 5. Aujourd’hui, le débat sur la dissuasion nucléaire pour le L’Union européenne est de retour sur le devant de la scène, en partie à cause des perspectives de réticences des États-Unis sous une éventuelle seconde présidence Trump et de la résurgence d’une Russie menaçant de plus en plus d’utiliser l’arme nucléaire.

L’OTAN, en tant qu’alliance nucléaire, s’appuie fortement sur les ogives nucléaires américaines stationnées en Europe pour sa dissuasion. Le Royaume-Uni et la France sont les seules puissances nucléaires d’Europe : bien que membres de l’OTAN, ils maintiennent un contrôle indépendant sur leurs propres arsenaux nucléaires. Dans le passé, l’Union européenne s’est montrée réticente ou incapable de fournir une dissuasion nucléaire. Mais l’environnement de sécurité incertain en Europe a récemment conduit l’Union à renforcer son pilier de sécurité, jusqu’alors négligé, et a amené certains dirigeants politiques à se prononcer davantage sur les armes nucléaires.

Ces dernières semaines, le président français Emmanuel Macron, dans son style perturbateur classique, a ouvertement appelé à un débat en Europe sur l’utilisation des capacités nucléaires de son pays pour défendre le continent. Selon Macron, l’incertitude quant à l’engagement futur des États-Unis en Europe oblige l’Union européenne à décider si elle a besoin de sa propre dissuasion nucléaire et suggère que la France pourrait y contribuer. Mais il n’est pas clair si la France serait disposée et capable d’étendre son parapluie nucléaire au reste de l’Union. Pour que cela se produise, la France devrait aborder de multiples questions, en commençant par expliquer si elle conserverait le plein pouvoir de décision concernant son arsenal, en explorant les limites de son stock actuel d’armes nucléaires et en évaluant l’impact qu’une telle décision aurait sur l’OTAN. et ses relations avec les États-Unis et les autres États membres de l’UE.

L’insistance de Macron. Depuis le retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne en 2020, communément appelé Brexit, la France est devenue le seul pays de l’Union doté d’armes nucléaires. La France possède environ 290 armes nucléaires (le quatrième arsenal mondial en termes de stocks d’ogives derrière la Russie, les États-Unis et la Chine). Depuis la fameuse remise en question par le président français Charles de Gaulle des assurances nucléaires américaines en 1961, qui a conduit la France à développer sa propre force de dissuasion nucléaire, la France s’est historiquement considérée comme une force indépendante contrebalançant celle des États-Unis en Europe. Cet esprit perdure aujourd’hui : la France ne participe toujours pas au Groupe des plans nucléaires de l’OTAN et reste l’un des alliés occidentaux les plus favorables à la dissuasion nucléaire. La dissuasion indépendante de la France renforce globalement l’OTAN car elle complique le calcul des adversaires. Bien que la dissuasion nucléaire soit la pierre angulaire de la posture de dissuasion de l’OTAN, on ne peut pas en dire autant de l’Union européenne : de nombreux États membres restent incertains quant au rôle des armes nucléaires dans la planification de la défense.

Le débat sur la préparation nucléaire de l’UE n’est pas nouveau. Traditionnellement, le pays qui a résisté au développement d’une soi-disant Eurobomb a été l’Allemagne. Ces dernières années, un nombre croissant de décideurs politiques allemands ont posé la question auparavant impensable de savoir si le pays devait posséder ses propres armes nucléaires. L’opinion publique allemande n’est cependant pas convaincue : même après l’invasion russe de l’Ukraine, 90 % des Allemands rejettent toujours l’idée que leur pays développe un programme d’armes nucléaires et il semble peu probable que l’opinion publique allemande se tourne radicalement vers une eurobombe. Les pays de l’UE traditionnellement neutres, comme l’Irlande, Malte et l’Autriche, ne seront probablement pas non plus disposés à soutenir la bombe : tous trois sont signataires du Traité sur l’interdiction des armes nucléaires (TPNW), également connu sous le nom de traité d’interdiction, et bloquera probablement toute tentative d’étendre l’arsenal nucléaire français à l’Europe.

Alors que le continent développe son pilier de sécurité grâce à sa boussole stratégique, sa stratégie industrielle de défense et la structure formalisée de commandement et de contrôle à venir en 2025, le bloc supranational pourrait bénéficier du leadership français en matière de dissuasion nucléaire. Macron a avancé cette idée pour la première fois en 2020, appelant à un dialogue stratégique sur le rôle de la dissuasion nucléaire française dans la sécurité collective (de l’Europe).

Mais ce dialogue n’a jamais eu lieu. En 2022, après l’invasion russe de l’Ukraine, la France a de nouveau évoqué cette question avec l’Allemagne, affirmant que l’offre de parler d’armes nucléaires était toujours sur la table, arguant que la dissuasion nucléaire française était un moyen de protéger les intérêts européens. Fin avril, lors d’un discours sur l’avenir de la sécurité européenne à l’Université de la Sorbonne, Macron a redoublé la nécessité de débattre des armes nucléaires en Europe, d’améliorer les défenses antimissiles du continent, d’acquérir davantage d’armes à longue portée et de jurer que la France le ferait. davantage pour la défense de l’Europe. Mais bien qu’il soit assez explicite sur sa vision d’une Europe capable d’assurer sa propre dissuasion nucléaire, les commentaires de Macron manquaient de détails sur le caractère pratique et même la faisabilité de sa proposition, ainsi que sur ses implications potentielles pour l’environnement de sécurité européen.

Plus facile à dire qu’à faire. Pour faire avancer sa proposition, le président Macron devra répondre à au moins trois questions cruciales sur la politique et la logistique d’un accord de partage d’armes nucléaires au niveau européen. Premièrement, la France devra préciser si elle souhaite conserver le plein pouvoir de décision sur son arsenal nucléaire. Lorsque Macron a fait ses premiers commentaires en 2020, l’idée n’était pas de partager la dissuasion mais plutôt que la France se réserve le droit de décider dans quelles circonstances elle utiliserait son arsenal nucléaire. Cependant, avec l’évolution de l’environnement de sécurité mondial, en particulier la situation de l’Europe depuis 2022, Macron suggère désormais avec plus d’urgence qu’il existe une dimension européenne dans les intérêts vitaux de la France. Il dit qu’il souhaite que tous les pays européens mettent en évidence leurs capacités, y compris les armes nucléaires américaines stationnées, en guise de démonstration de force et pour affirmer la crédibilité de la défense européenne. Dans le passé, les présidents français ont entretenu une ambiguïté stratégique en n’énonçant pas explicitement ce qu’ils considéraient comme les intérêts vitaux de la France. Aujourd’hui, Macron, plus que n’importe lequel de ses prédécesseurs, souligne que la sécurité de l’Europe et celle de la France sont intimement liées.

Deuxièmement, on ne voit pas clairement comment la France pourrait, de manière réaliste, assurer une dissuasion nucléaire à l’ensemble de l’Union. Les forces nucléaires françaises disposent de capacités limitées, avec un arsenal beaucoup plus restreint et moins diversifié que celui des autres grandes puissances nucléaires, et leur dissuasion nucléaire a été développée dans un but strictement défensif. La France a partiellement désarmé son arsenal nucléaire dans les années 1990, après la guerre froide, réduisant ses stocks nucléaires de 600 ogives nucléaires à un peu moins de 300.

Ce chiffre est lié à la perception de la France de ce dont elle a besoin pour se défendre et défendre son territoire. Si les capacités nucléaires de la France devaient s’étendre pour couvrir l’ensemble de l’Union européenne avec une dissuasion étendue, le pays devrait augmenter considérablement ses stocks d’ogives nucléaires. Cependant, dans le cadre de son désarmement partiel des années 1990 et de son adoption d’une doctrine de dissuasion minimale, la France a démantelé ses défenses nucléaires terrestres. La France a également fermé des sites d’essais et des installations de production de matières fissiles, ce qui rendrait difficile l’expansion de ses capacités de production d’ogives nucléaires.

Étendre considérablement le territoire sous son parapluie nucléaire mettrait également à mal la crédibilité de la dissuasion nucléaire française. Même si l’arsenal nucléaire aérien et maritime du pays ne devait pas nécessairement être déployé dans les pays voisins, le président français devrait décider des circonstances dans lesquelles la France pourrait envisager d’utiliser ses capacités nucléaires pour défendre un ou plusieurs de ses compatriotes de l’UE. membres. Comme de Gaulle a demandé à Kennedy si les États-Unis seraient prêts à échanger New York contre Paris en cas d’attaque nucléaire, Macron doit lui aussi se demander s’il est prêt à échanger Paris contre Helsinki.

En pratique, l’idée d’un parapluie nucléaire français pour l’Europe soulève également une troisième question pour Macron : comment intégrer l’armement nucléaire français dans les structures européennes existantes et comment ce changement compléterait les capacités de l’OTAN en Europe. Le Groupe des plans nucléaires de l’OTAN conviendrait aux discussions sur le renforcement de la dissuasion européenne, mais il est peu probable que la France accepte de participer à ce groupe car elle cherche également à maintenir son indépendance dans la prise de décision nucléaire. Alors que les États-Unis ont exhorté leurs alliés européens à faire davantage pour assurer leur propre défense, l’idée d’une eurobombe ferait probablement sourciller à Washington : nombre des alliés américains les plus proches parmi les pays de l’OTAN en Europe, comme la Pologne et les États baltes. , préférerait très certainement la stabilité offerte par le maintien de la dissuasion nucléaire américaine et rejetterait toute tentative de la France de remplacer ou, au mieux, de compléter la présence nucléaire américaine en Europe.

Une administration américaine plus isolationniste pourrait cependant modifier ce calcul parmi ces pays européens et propulser d’un facteur considérable les ambitions de la France de fournir une dissuasion nucléaire à l’Europe. Quoi qu’il en soit, la crédibilité de l’Union européenne en tant qu’acteur capable d’assurer sa propre dissuasion nucléaire reste faible compte tenu de la lenteur des progrès de la politique de sécurité et de défense commune de l’UE. Pour y parvenir, l’Union devrait d’abord entamer un dialogue nucléaire plus intensif.

La France pourrait également commencer à convaincre certains de ses partenaires de l’UE en organisant des exercices de dissuasion nucléaire, notamment en favorisant la coopération entre les États membres de l’UE sur les questions nucléaires et en partageant les processus entre eux. De tels échanges pourraient contribuer à améliorer la coopération militaire entre les membres de l’OTAN et de l’UE, favorisant ainsi le développement d’une culture stratégique européenne tout en œuvrant à la protection des intérêts européens. Pour jouer un rôle plus important dans la dissuasion nucléaire de l’Europe, la France pourrait également baser une partie de son arsenal aéroporté dans d’autres États membres de l’UE, accepter de partager son arsenal avec des chasseurs-bombardiers d’autres pays européens, ou une combinaison des deux. stratégies.

Une vision qui nécessite un plan. La France a une rare opportunité d’étendre son parapluie nucléaire et d’affirmer son leadership sur le continent en supplantant le monopole américain sur la dissuasion nucléaire en Europe et en devenant un champion de l’autonomie stratégique européenne. Mais comme d’habitude, le diable est dans les détails : pour y parvenir, Macron doit clarifier son projet d’étendre les capacités nucléaires françaises au reste de l’Europe. Il doit également convaincre le bloc de faire un bond en avant dans ses capacités de défense. L’Union européenne n’a organisé ses premiers exercices militaires qu’en 2023. Devenir une puissance nucléaire constituerait un pas en avant considérable. Mais même avec un plan clair, Macron est sûr d’être confronté à des États membres de l’UE opposés aux armes nucléaires et à des populations réticentes qui doutent de la crédibilité de la France prêtant son arsenal nucléaire pour leur défense.

Depuis de Gaulle, la France a construit ses capacités nucléaires pour en faire une source de dissuasion indépendante et crédible. Si l’Union européenne envisageait sérieusement de fournir sa propre dissuasion nucléaire, elle devrait naturellement bénéficier de l’expertise de l’un de ses États membres. L’assurance nucléaire française pour le reste de l’Union pourrait constituer une étape majeure qui rapproche le bloc de son objectif de devenir une union géopolitique et un acteur de sécurité plus fort. Mais pour qu’une telle vision de la sécurité européenne devienne un plan réaliste, le président Macron doit d’abord dire à ses partenaires européens dans quelle mesure il est prêt à partager la dissuasion nucléaire française.

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