La France rejoint la Chine et la Russie en introduisant des techniques policières spéciales contre les sectes

Une nouvelle loi permet aux agents de mettre sur écoute les maisons et les voitures, de pirater les e-mails et même de se faire passer pour les facteurs qui livrent des colis aux personnes soupçonnées de déviances sectaires.

par Massimo Introvigné

Gendarmerie en action en France.  Crédits.
Gendarmerie en action en France. Crédits.

Imaginez que vous vivez dans un pays où les déviances sectaires par rapport à ce que la majorité des citoyens considèrent comme le comportement normal, et normalement tiède, en matière religieuse sont regardées avec suspicion par les autorités. Vos voisins, qui ne vous aiment pas pour quelque raison que ce soit, signalent à une agence spécialisée anti-secte ou à la police que vous vous comportez étrangement et que vous faites peut-être partie d’une secte. À ce stade, la police peut être autorisée à pirater votre courrier électronique et votre ordinateur ou à placer un microphone caché dans votre maison ou votre voiture. Et méfiez-vous lorsque le facteur frappe à votre porte avec un colis : il peut s’agir d’un agent de police en civil.

C’est malheureusement le quotidien en Chine, où des milliers de policiers travaillent à plein temps pour réprimer les sectes, ou en Russie où tous les membres d’un groupe religieux considéré comme extrémiste, ce qui ne veut pas dire violent mais simplement essayer de convertir les membres de la majorité L’Église orthodoxe russe, peut être visitée par le Service fédéral de sécurité (FSB), emmenée en prison et même torturée. Le monde démocratique continue de dénoncer ces violations flagrantes de la liberté religieuse et des droits de l’homme, et à juste titre.

La plupart de ceux qui protestent contre le déni de liberté religieuse en Russie et en Chine seraient très surpris d’apprendre qu’une législation similaire a été introduite dans un pays normalement considéré comme un phare des valeurs démocratiques, la France.

Pays à forte tradition humaniste laïque, la France se méfie de la religion depuis la Révolution française, et dispose d’une agence gouvernementale spécialisée et d’unités de police luttant contre les déviances sectaires (drives sectaires). Il faut cependant rappeler que l’appartenance à une secte n’est pas en soi un délit en France.

La soi-disant loi française anti-secte de 2001 a été critiquée par pratiquement tous les spécialistes internationaux des nouveaux mouvements religieux qui l’ont étudiée, mais même ses dispositions ne font pas de l’appartenance à une secte (secte) ou de l’engagement dans des déviances sectaires un crime. Seule la mise d’une personne par certaines techniques dans un état de dépendance physique ou psychologique lui causant un préjudice grave est un crime. Moi, et la plupart des chercheurs dans mon domaine, pensons que ces techniques n’existent pas, mais en tout cas dans le système français, qu’elles soient à l’œuvre dans un certain groupe doit être prouvée au cas par cas.

Ainsi, du simple fait de faire partie d’une secte ou d’un mouvement soupçonné de déviances sectaires, vous n’êtes pas un criminel, même pas en France. Le problème est que vous êtes traité comme tel.

Une nouvelle loi du 24 janvier 2023, portant orientation et programmes du ministère de l’intérieur, comme le précise son commentaire officiel au n. 3.1.2, autorise les autorités françaises compétentes à appliquer les techniques spéciales d’enquête au délit d’abus de faiblesse en bande organisée pour faciliter le travail des enquêteurs dans la lutte contre les déviances sectaires.

Entrée du ministère français de l’Intérieur, Paris. Crédits.

La référence à une bande criminelle organisée est la clé pour permettre l’utilisation des techniques spéciales d’enquête. La nouvelle loi laisse entendre dans son article 16 que le crime typique de la loi anti-sectes de 2001, l’abus de faiblesse par les fameuses et mystérieuses techniques créant la dépendance psychique (autre incarnation de la théorie discréditée du lavage de cerveau), peut être perpétré en bande organisée et cela se produit peut-être dans la plupart des cas, voire dans tous, car il est difficile d’imaginer une secte sans organisation. Cela permet à la fois d’alourdir les peines, jusqu’à sept ans d’emprisonnement et un million d’euros d’amende, et d’appliquer les techniques spéciales d’enquête pour enquêter sur le crime présumé.

Les techniques spéciales d’enquête sont celles énumérées à l’article XXV du code de procédure pénale. Les policiers pourront pirater des comptes de messagerie, mettre sur écoute des maisons et des voitures, envoyer de faux courriers et utiliser de fausses identités sur les réseaux sociaux, se faire passer pour des cultistes ou des convertis potentiels et opérer sous couverture, et même, comme mentionné précédemment, livrer à la place des fournisseurs de services postaux et des opérateurs de fret des objets , biens ou produits aux personnes soupçonnées de déviances sectaires. A noter que selon l’article 706-79 les policiers peuvent être assistés d’assistants spécialisés suppléés au cas par cas, et je me demande si dans le cas des sectes ceux-ci peuvent inclure les militants anti-sectes.

Les techniques de la section XXV ont été créées pour lutter contre le terrorisme et le crime organisé. Bien que toujours potentiellement dangereux pour les droits des accusés, une utilisation limitée de ces techniques peut en principe être admise lorsque la vie de centaines de citoyens ou la sécurité du pays sont en jeu. Rappelons cependant qu’en cas de déviances sectaires, lorsqu’une enquête est ouverte, il n’y a même pas de preuve que le groupe finira par être accusé d’utiliser des techniques interdites de lavage de cerveau (ou comme la France préfère les appeler), même en supposant qu’elles existent.

L'article de juin 2022 où Romdhane demandait une loi permettant à la police d'utiliser des techniques spéciales d'enquête contre les déviances sectaires.
L’article de juin 2022 où Romdhane demandait une loi permettant à la police d’utiliser des techniques spéciales d’enquête contre les déviances sectaires.

L’agence gouvernementale anti-secte MIVILUDES elle-même admet dans ses rapports que dans la plupart des cas où elle demande à la police d’enquêter, personne n’est traduit en justice. Dans un article qu’elle a publié l’an dernier dans le magazine de l’Ordre des avocats de Bordeaux (Revue des libertés fondamentales, juin 2022, 4655), la présidente de la MIVILUDES d’alors Hanne Romdhane (qui a quitté la mission dans des circonstances houleuses fin 2022) a admis que les procureurs français n’ont que très rarement réussi à obtenir des décisions de justice sanctionnant le délit de création de dépendance psychologique par des déviances sectaires, en raison de la difficile qualification juridique de la notion de contrôle mental, dont les contours sont flous et éloignés des concepts juridiques habituels.

Plutôt que de conclure, comme l’ont fait des universitaires et des tribunaux dans d’autres pays, que l’idée que les sectes utilisent des techniques mystérieuses et magiquement efficaces de contrôle mental est un mythe pseudo-scientifique, Romdhane a demandé précisément une loi permettant l’utilisation de techniques d’enquête spéciales pour combattre efficacement déviances sectaires. Elle a exprimé l’espoir que peut-être l’utilisation de ces techniques pourrait permettre de surmonter les obstacles qui rendent difficile la preuve de l’existence de la sujétion psychologique. Cependant, s’il n’y a pas de poissons, même l’utilisation des techniques de pêche les plus draconiennes, comme le lancement de bombes dans la rivière, ne permettrait pas aux pêcheurs de les capturer.

Seules l’idéologie et la rhétorique anti-sectes semblent justifier le parti de la pêche policière à la recherche de crimes imaginaires, et l’intrusion énorme et inutile dans la vie privée et les activités quotidiennes de citoyens pacifiques dont le seul crime est, dans la plupart des cas, de penser et de croire différemment. de la majorité.

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