La France met en place un registre controversé pour surveiller les enfants de djihadistes rapatriés de Syrie et d’Irak

Le gouvernement français a donné son feu vert à la mise en place d’un registre pour suivre les plus de 200 mineurs revenus de Syrie ou d’Irak ces dernières années, selon un décret gouvernemental approuvé le 7 avril. précise le texte, est de garantir leur protection et d’empêcher leur participation à un processus de délinquance ou de radicalisation.

La base de données comprendra, en plus des noms des enfants, des détails tels que la localisation de leurs parents, les conditions de leur arrivée en France, s’ils sont nés dans des zones où opèrent des groupes terroristes, et quels services publics sont responsables de leur traçage. Les avocats et les proches des mineurs ont exprimé leur inquiétude que le registre ne les stigmatise davantage, et ils envisagent de faire appel de cette mesure.

L’arrêté interministériel donne le feu vert au ministère de l’Intérieur pour automatiser les données personnelles relatives à la prise en charge des mineurs revenant des zones d’activité des groupes terroristes. L’objectif du registre, plaide le ministère, est de mieux coordonner les divers services en charge de l’accompagnement administratif, judiciaire, médical et socio-éducatif de ces enfants. Selon le ministère dans un courriel, la base de données exclut toute dimension de sécurité et est purement préventive. L’une des intentions est également d’éviter la perturbation des programmes d’assistance.

Pendant ce temps, les proches rejettent ces arguments. Nous avons été giflés, a déclaré un porte-parole du Collectif des Familles Unies, une organisation française qui milite pour le rapatriement des mineurs et de leurs mères, lors d’un entretien téléphonique. Parlaient d’enfants qui ont environ sept ou huit ans, et ils veulent les tracer jusqu’à ce qu’ils atteignent la majorité. C’est absurde, déplore-t-il.

Plus de 200 enfants de jihadistes français sont rentrés en France depuis la chute de l’Etat islamique (ISIS) en 2019. Une centaine de ces mineurs ont été rapatriés, selon les données du ministère de la Justice. A l’origine, la démarche officielle du gouvernement français était d’étudier au cas par cas le retour potentiel de mineurs depuis la Syrie ou l’Irak, sans autoriser le retour des majeurs. Cependant, en juillet 2022, le gouvernement a fait marche arrière et a annoncé le rapatriement de 35 mineurs et 16 femmes des camps du nord-est de la Syrie, où ils étaient hébergés.

Depuis, deux autres rapatriements massifs ont eu lieu (en octobre et janvier), mais près de 100 mineurs français sont toujours dans les camps syriens sous surveillance des forces kurdes. A leur arrivée, les enfants sont confiés aux services sociaux pour mineurs et subissent un examen médical, ainsi que d’autres démarches. Beaucoup d’entre eux entrent dans de mauvaises conditions physiques et psychologiques et n’ont jamais été scolarisés.

Le registre comportera des éléments d’identification personnels et familiaux (langues parlées, fratrie, personnes exerçant l’autorité parentale, incarcération ou non des parents) et d’autres éléments relatifs à l’accompagnement des mineurs (date d’arrivée en France, type de scolarité, s’ils sont ou non sont incarcérés, date du dernier contrôle médical). L’État peut conserver ces données jusqu’à ce que l’enfant atteigne l’âge de la majorité, selon le décret publié au Journal officiel.

Le document précise également qui peut avoir accès à ces données. La liste comprend des représentants de l’État, des procureurs, des assistants spécialisés dans la radicalisation, des doyens, des chefs d’établissement et des responsables du secteur de la santé. Pour Vincent Brengarth, avocat d’une djihadiste française toujours en Syrie avec ses trois enfants, les informations que peut contenir le registre sont extraordinairement variées, tout comme la liste des personnes qui y ont potentiellement accès.

L’avocat poursuit : Je crois que la constitution de ce dossier est très problématique, compte tenu du soupçon qu’il jette sur les mineurs accusés d’imiter les agissements de leurs parents.

Le service chargé de la prévention de la délinquance et de la radicalisation, au sein du ministère de l’Intérieur, a justifié la constitution de la base de données par les difficultés rencontrées par les conseils départementaux, qui sont chargés de la prise en charge de ces mineurs. Néanmoins, l’autorité ne précise pas à quel type de difficultés elle fait référence. Elle estime que les données permettront de réduire les problèmes de coordination ou d’éviter toute interruption dans le suivi d’un enfant en cas de changement de résidence.

Ces enfants ne sont que des victimes

Pendant ce temps, l’avocat Patrick Baudouin, président de la Ligue des droits de l’homme, critique le fait que les mineurs soient étiquetés dès le départ comme des criminels et des terroristes potentiels. C’est absolument épouvantable. Baudouin admet que la surveillance est impérative, mais prévient que les stigmatiser peut être contre-productif.

Ce sont des enfants qui ont enduré des années de maltraitance, des victimes dont les années d’enfance ont été gâchées dans des camps et des conditions de détention épouvantables, dans un environnement de violence, insiste-t-il au téléphone. Et quand ils reviennent, ils continuent d’être stigmatisés et blâmés, dit-il.

Pour l’avocate Marie Dos, qui soutient les femmes et les enfants détenus dans les camps du nord-est de la Syrie, le registre est aussi une forme de stigmatisation. Dans une interview accordée à France Info, l’avocate a indiqué qu’elle étudiait la possibilité de faire appel du décret avec d’autres avocats pour tenter de le faire révoquer.

Selon Dos, la France a été condamnée à trois reprises pour avoir abandonné ces enfants. Maintenant, il va en fait les humilier davantage en les enregistrant après quatre ans d’enfer en Syrie. Aucun registre des enfants ne pourra jamais répondre au besoin de protection, a-t-elle conclu. L’avocat insiste sur le fait que davantage d’éducateurs sont nécessaires et que les enfants devraient pouvoir voir leurs mères détenues plus fréquemment.

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