La France et AUKUS : une nécessaire réconciliation

En septembre 2021, l’annonce soudaine d’AUKUS, un partenariat de défense entre l’Australie, le Royaume-Uni et les États-Unis, a été un choc pour Paris. Cela signifiait non seulement la résiliation brutale de l’accord sous-marin que la France avait signé avec l’Australie en 2016, mais aussi une profonde crise de confiance dans les relations de la France avec ses partenaires clés, mettant en lumière la divergence des approches concernant le défi chinois. Enfin, elle remet en cause le positionnement stratégique de la France dans l’Indo-Pacifique.

Un an plus tard, pourtant, AUKUS n’a pas marqué un tournant majeur pour la Stratégie Indo-Pacifique de la France. Après le choc initial, les relations bilatérales avec Washington, Canberra et même Londres se sont lentement rétablies.

Plutôt que de provoquer un changement radical dans l’approche de Paris Indo-Pacifique, AUKUS a mis en évidence une ligne de fracture entre le niveau stratégique/rhétorique politique et le niveau opérationnel de défense dans l’engagement français dans cette région. L’accord de défense a également rappelé la nécessité de travailler ensemble pour relever les multiples défis et les risques croissants de combats navals et de conflits de haute intensité dans cette région.

Partenariats stratégiques avec les États-Unis, l’Australie et le Royaume-Uni : rebondir

Les relations politiques de la France avec les États-Unis se sont rétablies assez rapidement, grâce aux efforts proactifs de l’administration Biden. La discussion entre les présidents Emmanuel Macron et Joe Biden le 29 octobre 2021, à Rome, lorsque les États-Unis se sont engagés à une concertation et une coordination systématiques et approfondies et ont salué les stratégies française et européenne dans l’Indo-Pacifique, a permis à la relation bilatérale de se renforcer. remettre sur les rails. De plus, les alliés ont signé le cadre d’interopérabilité stratégique en décembre 2021, renforçant leurs capacités à combattre ensemble en mer. Depuis lors, les responsables français n’ont cessé de saluer le niveau de consultation sans précédent de leurs homologues américains.

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Dans l’Indo-Pacifique, les relations franco-américaines vont dans le même sens qu’auparavant : un partenariat fort, tempéré par la prudence française sur le ton anti-chinois de Washington. Paris a donc pris ses distances avec des initiatives comme le Quad ou Partners in the Blue Pacific, privilégiant ad hoc coopération plutôt qu’une association à part entière.

La réinitialisation diplomatique des relations Australie-France fait suite aux 555 millions d’euros de compensation financière accordés à Frances Naval Group, la partie larguée de la saga des sous-marins australiens. La visite du nouveau Premier ministre australien Anthony Albanese à Paris le 1er juillet a poursuivi la dynamique positive. La déclaration commune a donné l’impulsion politique pour mettre en place une nouvelle feuille de route ambitieuse relançant le partenariat stratégique, dans lequel la coopération en matière de défense et de sécurité sera centrale. En témoigne la visite début septembre du ministre australien de la Défense Richard Marles à la base navale de Brest en Bretagne, qui accueille les sous-marins nucléaires français.

Cependant, la coopération opérationnelle n’a jamais cessé au cours de cette dernière année, tant les intérêts de la France et de l’Australie sont indissociables dans le Pacifique Sud. Canberra (avec Wellington) a activé le mécanisme FRANZ pour se coordonner avec les Forces françaises et fournir une aide humanitaire d’urgence aux Tonga après qu’une violente éruption volcanique a frappé l’archipel en janvier 2022. L’Australie a également participé activement aux exercices d’aide humanitaire et de secours en cas de catastrophe organisés par la France. , comme MARARA en mai 2022 et le premier séminaire garde-côtes organisé par la France en octobre 2021. Les deux pays ont également participé aux patrouilles maritimes coordonnées en soutien aux îles du Pacifique dans le cadre du Pacific Quad.

Bien que Paris et Londres restent de solides alliés, les relations de la France avec le Royaume-Uni sont habituées aux hauts et aux bas au niveau politique, et des éléments de concurrence subsistent dans l’Indo-Pacifique. Là encore, au niveau opérationnel, les activités militaires n’ont jamais vraiment cessé : à titre d’exemple, le Royaume-Uni a rejoint l’organisation française Polaris 21, l’un des plus grands exercices navals internationaux, à l’hiver 2021.

Ceci dit, à part un escale logistique en Polynésie il y a quelques mois, la faible interaction des deux patrouilleurs britanniques (HMS Spey et Tamar) déployés dans l’Indo-Pacifique avec les navires de guerre français est préoccupante. La coordination maritime doit désormais prendre de l’ampleur en laissant de côté les égos de chacun. La rivalité franco-britannique se poursuit dans de multiples dimensions : influence régionale, partenariats industriels et de défense, et leadership en matière de sécurité maritime, mais le Royaume-Uni et la France devraient maintenant trouver un moyen de travailler ensemble dans cette région, car les enjeux sont importants et leurs capacités respectives insuffisantes compte tenu de la défis. Le départ de Boris Johnson en tant que Premier ministre et une nouvelle administration au Royaume-Uni pourraient faciliter une telle évolution.

Un an après l’annonce d’AUKUS, l’objectif pour la France est de reconstruire une dynamique stratégique à l’échelle de l’Indo-Pacifique avec toutes les parties prenantes, notamment l’Australie. Paris et Canberra sont voisines dans le Pacifique et partagent une longue histoire de coopération, qu’il est aujourd’hui indispensable de restructurer compte tenu de l’évolution stratégique progressive des îles du Pacifique.

L’ambition de la France d’être une puissance d’équilibrage est-elle toujours réaliste ?

AUKUS a souligné le décalage entre l’ambition stratégique de la France dans l’Indo-Pacifique promouvant une troisième voie et agissant comme une puissance d’équilibrage et les moyens militaires limités que la France peut mobiliser pour soutenir son ambition.

Malgré de multiples dépêches navales et aériennes, démontrant sa volonté et sa capacité à se déployer rapidement dans la région en cas d’urgence, la tyrannie de la distance limite toujours ce que Paris peut faire en cas de conflit. Les modestes forces prépositionnées à La Réunion, en Polynésie française et en Nouvelle-Calédonie sont déjà surchargées par de multiples missions, telles que les activités de maintien de l’ordre et de renforcement des capacités, la diplomatie de défense et la coopération opérationnelle. Par exemple, les deux avions de surveillance maritime et les quatre navires de guerre basés en Polynésie française sont chargés de patrouiller dans une zone économique exclusive (ZEE) de la taille de toute l’Europe.

Le renforcement renouvelé des capacités navales et aériennes dans l’Indo-Pacifique renforcera la présence de la France dans les années à venir mais ne suffira pas à répondre aux défis croissants auxquels est confronté le Pacifique Sud, tels que les conséquences prévisibles du changement climatique et l’augmentation des vols illégaux. activités de pêche après l’épuisement des ressources halieutiques en mer de Chine méridionale.

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Si la France peut jouer un rôle complémentaire utile aux États-Unis en matière de connectivité numérique, de protection des fonds marins et de l’environnement, de sécurité maritime et de gouvernance des biens communs, y compris dans le cadre de la stratégie européenne dans la région, Paris aura du mal à être à la hauteur de ses engagements militaires. ambitions. Dans la conception américaine, la France restera un acteur secondaire en la matière, dont la coopération sera certes la bienvenue, mais dont on attendra peu.

Pour démontrer un engagement sérieux et cohérent, le déploiement de forces armées, de ressources humaines et de capacités navales et aériennes supplémentaires est un préalable et pourrait être complété par un ou plusieurs points d’ancrage supplémentaires en Asie pour fournir une logistique durable. Le rôle français de puissance d’équilibrage prend tout son sens en période de paix et de prospérité relatives mais serait difficile à maintenir en cas de conflit de haute intensité dans la région. Si Paris voit, par exemple, l’invasion de Taïwan comme une ligne rouge, alors il faudrait travailler au plus vite sur un scénario de contingence pour clarifier le rôle que joueraient les forces françaises, en coalition avec des alliés et des partenaires.

Une telle approche impliquerait une révision fondamentale de l’approche française dans cette région en termes d’activités opérationnelles, de soutien logistique et de gouvernance. La guerre en Ukraine a souligné la valeur des alliances formelles, des bastions, du renseignement et de la prévoyance stratégique. L’anticipation doit absolument prévaloir pour éviter une impréparation regrettable dans l’Indo-Pacifique.

L’aggravation de la rivalité sino-américaine et les inquiétudes croissantes face à une crise imminente dans le détroit de Taïwan sont des facteurs qui pèsent beaucoup plus lourd qu’AUKUS sur le positionnement de la France dans l’Indo-Pacifique. Elle nécessite désormais une clarification politique sur le rôle de Paris en cas de conflit de haute intensité dans cette région.

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