La France en procès par Julian Jackson Le maréchal Ptain dans le box des accusés

Il y a quelques années, dans une librairie d’occasion de la ville française d’Autun, je suis tombé sur une transcription en deux volumes du procès de trois semaines du maréchal Philippe Ptain de l’été 1945. Abandonnant le reste de mes lectures de vacances, Je me suis frayé un chemin à travers les pages jaunies, transpercé par le témoignage dramatique donné lors de l’un des cas les plus extraordinaires de l’histoire.

Voici le plus grand héros de la Première Guerre mondiale de France, le vainqueur lionisé de Verdun, jugé pour sa vie, accusé de trahison pendant la Seconde Guerre mondiale et de collaboration avec l’Allemagne nazie. Au total, 63 témoins ont témoigné dans une salle d’audience étouffante dans le climat politique fébrile de la France post-libération. Parmi eux, la crème de l’establishment français : un ancien président de la république, cinq anciens premiers ministres, généraux, diplomates et fonctionnaires et même un prince Bourbon. Comme l’a reconnu le juge au début du procès, l’accusé a suscité les sentiments les plus contradictoires, une sorte d’amour chez ses partisans, et une hostilité extrêmement violente chez ses adversaires.

Dans La France en procès, son récit magistral de l’affaire, l’historien Julian Jackson explique que ce n’était pas seulement Ptain qui était appelé à rendre des comptes, mais toute la France, alors que le pays ramassait les croûtes crues de l’occupation nazie. L’affaire soulevait de douloureuses questions morales auxquelles presque tous les citoyens français avaient été contraints de se débattre pendant quatre années d’humiliation nationale. Un gouvernement légalement constitué doit-il toujours être considéré comme légitime ? Où est le devoir patriotique après la défaite militaire ? Et y a-t-il des occasions où la conscience l’emporte sur l’obligation d’obéir à la loi ?

Pour tous, quoi qu’il arrive, pour ses admirateurs, pour ses adversaires, Ptain restera une figure tragique, prise entre trahison et sacrifice, écrivait le romancier de gauche François Mauriac. Un procès comme celui-ci n’est jamais fini et ne finira jamais.

Malgré les volumineuses preuves présentées au procès, il reste encore difficile de cerner les motivations de Pétain pendant la seconde guerre mondiale. Était-il, comme l’a soutenu l’accusation, un complice volontaire d’un projet politique fasciste avec lequel il avait une sympathie personnelle ? Ptain a eu du mal à expliquer sa poignée de main infâme avec Adolf Hitler en octobre 1940. Ou a-t-il, comme lui et ses partisans le prétendaient, sacrifié de manière désintéressée sa réputation à l’heure où la France avait le plus besoin de protéger le pays des pires barbaries nazies ? Car si je ne pouvais plus être ton épée, j’ai voulu être ton bouclier, disait Ptain.

Pétain fait des gestes avec une canne vers le champ de bataille sous le regard d'Alphonse XIII

Ptain, à gauche, à Verdun en 1919 avec le roi Alphonse XIII d’Espagne Roger Viollet/Getty Images

Issu d’une modeste famille de paysans près de Calais en 1856, Ptain voit l’armée comme une voie d’avancement et est diplômé de la prestigieuse académie de Saint-Cyr. Pendant la majeure partie de sa carrière militaire, écrit Jackson, son bilan était respectable mais banal, ne dépassant jamais le grade de colonel. A 58 ans, à la veille de la première guerre mondiale, Pétain apparaît voué à une retraite obscure. Mais la guerre lui a fourni l’occasion idéale de montrer ses capacités exceptionnelles d’organisation et son tempérament imperturbable en tant que commandant.

Sa défense provocante de Verdun en 1916, considérée par les Français comme la bataille déterminante de la Première Guerre mondiale, et son affinité avec les soldats ordinaires l’ont élevé à un statut quasi mythique. Malgré la mort de plus de 150 000 soldats français dans le charnier de Verdun, Ptain a résisté aux tentatives allemandes de saigner la France à blanc. Avec ses yeux bleus perçants, ses cheveux blancs comme neige et son visage de marbre, Ptain est devenu la personnification de l’héroïque résistance française.

Après la défaite militaire écrasante de 1940, Ptain est devenu chef de l’État français basé à Vichy inoccupé. Son régime a été reconnu comme un gouvernement légitime par les États-Unis, l’Union soviétique et le Vatican, entre autres. Le général Charles de Gaulle, qui avait hissé l’étendard des Français libres à Londres, est dénoncé par le régime de Vichy pour trahison et condamné à mort par contumace. Méprisant les politiciens traditionnels, Ptain a tenté de remodeler la France à son image, en modifiant les slogans républicains de Liberté, Égalité et Fraternité en Travail, Famille et Patrie, et en développant une sorte de culte de la personnalité.

Le premier jour de son procès, Ptain, âgé de 89 ans, a lu une déclaration savamment construite imprimée en gros caractères. Héritant d’une situation catastrophique dont je ne suis pas responsable, il a affirmé qu’il avait contribué à contrecœur à un acte nécessaire de salut national. J’ai préparé le chemin de la libération en préservant une France souffrante mais vivante. Qu’aurait-on gagné à libérer une France en ruine, une France de cimetières ? Ma vie importe peu, conclut-il. J’ai fait à la France le don de ma personne.

Comme le note Jackson, la déclaration de Ptains était remplie de demi-vérités et d’évasions, ignorant son rôle dans le ciblage des juifs, des francs-maçons et des communistes et emprisonnant d’anciens dirigeants politiques, dont beaucoup étaient à la cour. Vichy n’a tendu la main à ses ennemis que lorsqu’il n’a plus eu d’amis, écrit-il. En tant qu’historien de premier plan de la France et biographe de de Gaulle, la profonde familiarité des auteurs avec l’époque donne à ses jugements un poids supplémentaire.

Pendant le reste du procès, Ptain est resté presque entièrement silencieux, refusant d’être contre-interrogé et s’assoupissant parfois dans la chaleur. En bonne forme physique pour son âge, il souffrait également de pertes de mémoire périodiques et de pertes auditives (peut-être stratégiques). Comme les journalistes l’ont noté, Ptain ressemblait parfois à un roi Lear confus, immobile, impassible, impénétrable.

Ironiquement, le seul crime majeur pour lequel Vichy était le plus coupable a été à peine mentionné dans le procès : les lois raciales du régime autorisant la police française à interner les Juifs et à les remettre plus tard aux Allemands pour les déporter vers les chambres à gaz. Aucun témoin juif n’a témoigné devant le tribunal. Ce n’est qu’en 1995 que le président Jacques Chirac a pleinement reconnu la complicité honteuse des États français dans la déportation de 75 000 Juifs.

Néanmoins, le jury a déclaré Ptain coupable des accusations portées contre lui. Mais la majorité des jurés ont demandé la commutation de la peine de mort. De Gaulle a ensuite confirmé cette recommandation et Ptain a vu ses jours restants emprisonnés sur le dYeu, au large des côtes bretonnes, où il est mort en 1951.

Cependant, les échos du procès de Ptains ont résonné dans la politique française pendant des décennies. Ses partisans, en particulier parmi la droite dure de France, ont continué à le dépeindre comme une figure presque christique, qui s’était sacrifiée pour sa nation. Comme l’a observé un jour le diplomate français Talleyrand : la trahison est une question de dates. Ils demandent depuis longtemps que son corps repose parmi ses collègues français tombés dans l’ossuaire de Douaumont, près de Verdun.

Mais cette demande n’a toujours pas été exaucée même si les passions politiques que Ptain a suscitées sont aujourd’hui pour la plupart épuisées. Beaucoup de Français aujourd’hui seraient sûrement d’accord avec le célèbre verdict de de Gaulle, qui a autrefois vénéré son ancien mentor avant de le damner pour ses actions sous le régime de Vichy. La vieillesse est un naufrage, écrit de Gaulle dans ses mémoires.

John Thornhill est le rédacteur en chef de l’innovation du FT et un ancien correspondant à Paris

La France en procès: Le cas du maréchal Ptain par Julian Jackson Allen Lane 25, 445 pages/Harvard University Press 35 $, 480 pages

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