La France en passe de devenir l’alliée clé de l’Inde

KP Nayar

Analyste stratégique

LA visite du Premier ministre Narendra Modi à Paris le mois prochain en tant qu’invité d’honneur du défilé du 14 juillet pourrait s’avérer aussi historique que l’engagement d’Indira Gandhis avec l’Union soviétique en 1971, aboutissant au traité indo-soviétique de paix, d’amitié et de Coopération.

Si la guerre en Ukraine s’éternise, la Russie ne pourra plus remplir son rôle de longue date en tant qu’Inde fournisseur d’armes.

Alors que la guerre en Ukraine ne trahit aucune possibilité d’un cessez-le-feu rapide, la France devient rapidement ce que la Russie a été pour l’Inde des années 1960 aux années 1980 et à une échelle réduite mais importante, après l’éclatement de l’Union soviétique une décennie plus tard. Si la guerre en Ukraine s’éternise, la Russie ne sera plus en mesure de remplir son rôle de longue date en tant que garant le plus durable de l’approvisionnement en armes de l’Inde et en tant qu’allié ou ce qui est son terme le plus proche dans le langage diplomatique. La préoccupation de Moscou deviendra de la légitime défense. Pour les besoins vitaux de l’Inde, la France est le seul pays qui puisse remplacer la Russie dans une telle éventualité.

Le 25e anniversaire du partenariat stratégique Inde-France, qui a été cité dans l’invitation du 14 juillet à Modi, n’est pas qu’une date de plus sur le calendrier diplomatique, que les fonctionnaires aiment défendre comme des causes célèbres en de telles occasions. Lorsque l’Inde a testé des armes nucléaires en 1998, consécutivement aux signatures de ce partenariat stratégique durable, la France était la seule grande puissance à soutenir sans réserve la décision des gouvernements Atal Bihari Vajpayee d’exercer l’option nucléaire. Qu’est-ce qui t’a pris autant de temps? a demandé le président de l’époque, Jacques Chirac, à l’envoyé spécial de Vajpayees, Brajesh Mishra, alors que les deux hommes se promenaient dans les jardins de l’Elysée, enfreignant la sacro-sainte convention française de ne pas travailler le dimanche.

Paris était la première étape de Mishra lors d’une tournée mondiale pour contrer les sanctions imposées par les États-Unis et plusieurs de ses alliés contre Pokhran-II. Sagement, Chirac a également conseillé à Mishra de s’engager d’une manière ou d’une autre avec l’administration du président américain de l’époque, Bill Clinton. Sinon, la normalité dans les relations de l’Inde avec le reste du monde serait beaucoup plus difficile à rétablir, a estimé Chirac. Cette conversation a finalement conduit à l’engagement le plus large jamais entre l’Inde et les États-Unis par la suite, lors de pourparlers entre Jaswant Singh, alors vice-président de la Commission de planification, et Strobe Talbott, sous-secrétaire d’État des Clinton. Modi n’était pas dans la politique électorale à l’époque, mais il s’est tenu au courant de ces développements dans le gouvernement de son chef de parti Vajpayees. Ainsi, les souvenirs de ces échanges indo-français seront dans son esprit en regardant le défilé du 14 juillet sur l’avenue des Champs-lysées. Modi n’est que le deuxième Premier ministre indien (après Manmohan Singh) à être l’invité d’honneur du célèbre défilé.

Entre 1998 et 2021, la roue a bouclé la boucle. En septembre 2021, l’Australie a choqué la France en abandonnant un contrat de 56 milliards d’euros pour l’achat de sous-marins français. L’Australie a ensuite mis du sel dans la plaie en rejoignant AUKUS, un nouveau pacte de sécurité avec les États-Unis et le Royaume-Uni, qui promettait d’aider Canberra à acquérir des sous-marins à propulsion nucléaire.

Jean-Yves Le Drian, alors ministre des Affaires étrangères de Frances, a qualifié la création d’AUKUS et ses retombées sur l’affaire des sous-marins de coup de poignard dans le dos. Pour la première fois de l’histoire, la France a rappelé son ambassadeur à Washington. Le président Emmanuel Macron a ensuite téléphoné à Modi, le premier dirigeant étranger à qui il a parlé de la profonde déception de la France face à l’épisode AUKUS. Une semaine plus tard, Modi devait rencontrer le président américain Joe Biden à Washington, et lors de ce sommet, le Premier ministre a fait part à Biden de l’angoisse de Macron face à ce que la France considérait comme une trahison de ses alliés. Les démocraties doivent se serrer les coudes et éviter les combats de ce genre, a conseillé Modi à Biden. Les États-Unis sont passés en mode de contrôle des dégâts, et après plusieurs mois de préparatifs pour réparer les relations avec la France, Macron a été reçu à la Maison Blanche le 1er décembre 2022, lors de la première visite d’État que Biden a organisée depuis qu’il est devenu président.

Les pourparlers de Modis Bastille Day avec Macron seront une occasion opportune d’explorer une initiative de paix conjointe des deux dirigeants pour mettre fin au conflit russo-ukrainien. La France a une bonne appréciation de la position de l’Inde sur ce conflit. Lors d’une visite à Paris la semaine dernière, cet écrivain a découvert que les Français à tous les niveaux partagent les vues de l’Inde sur la guerre en Ukraine. Macron estime qu’aucune architecture de sécurité européenne à long terme n’est possible sans cooptation de la Russie. La France ne souhaite pas mettre la Russie à genoux contrairement aux États-Unis car cela ne ferait qu’aggraver les insécurités en Europe. Si une telle éventualité se produisait, l’Europe deviendrait de plus en plus dépendante des États-Unis pour assurer sa sécurité. Ce n’est pas une perspective qui est appréciée à Paris, où l’opinion générale est que les gouvernements successifs en Europe après la chute du rideau de fer ont troqué l’indépendance stratégique du continent à Washington.

Cependant, il y a des limites à ce que Macron peut dire en public sans provoquer de rupture ouverte avec de nombreux membres de l’Union européenne, en particulier les anciens États satellites du Kremlin. Pour l’administration Biden également, une telle articulation serait une hérésie. La France se creuserait un trou si elle était seule à affirmer de telles vues. Mais avec Modi, Macron pourrait faire preuve d’expression à cet égard. Et s’ils tendent la main au président russe Vladimir Poutine avec un plan de paix ancré dans un tel cadre politique, une pause dans la guerre pourrait être envisageable.

Macron est un homme d’État mondial qui a sans cesse tenté dans les semaines précédant le 24 février de l’année dernière d’empêcher la guerre en Ukraine. Même après le début du conflit, Macron était régulièrement au téléphone avec Poutine jusqu’à ce que des mécréants ayant des intérêts particuliers sèment les graines de la méfiance entre eux. Modi a rencontré Poutine depuis le début de la guerre. Il reviendrait tout juste de Washington avant de se rendre à Paris et aurait une bonne idée de la position des États-Unis sur toute initiative de paix pour l’Ukraine. De nombreux dirigeants mondiaux souhaitent que l’Inde entame un effort de paix car elle est particulièrement bien placée pour le faire dans les circonstances actuelles. Modi est hésitant car il craint l’échec de tout plan de paix et les critiques à courte vue des partis d’opposition. Si la paix est initiée avec Macron, de tels écueils pourraient être évités par Modi même si leurs plans n’aboutissent pas à un cessez-le-feu.

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