« J’ai vu deux terroristes arriver »: victimes, secours, forces de l’ordre… Les attentats du 13-Novembre racontés par ceux qui les ont vécus

Le 13-Novembre 2015, des attaques terroristes éclatent à plusieurs endroits dans Paris et à Saint-Denis. Des assaillants se font exploser devant le Stade de France, des hommes tirent des rafales à l’arme de guerre sur les terrasses de bars et restaurants proches de la place de la République et des terroristes pénètrent dans la salle du Bataclan en plein concert en tirant dans la foule.

La France verra 130 de ses concitoyens être assassinés par les terroristes. Une nuit d’horreur qui va voir s’entrechoquer la vie de milliers d’inconnus, à jamais liés par cette macabre soirée. Médecin, policier d’élite, ou simple spectateur… 10 ans plus tard, BFMTV vous raconte le 13-Novembre à travers les témoignages de celles et ceux qui l’ont vécu.

20h – Une soirée qui débutait normalement

À l’époque, j’étais archiviste photo. J’avais 35 ans et je travaillais à côté du Bataclan. Étant amatrice de rock, j’avais l’habitude d’y faire des concerts assez souvent. Ce soir-là, j’y suis allée avec mon ami de l’époque qui avait acheté les places. On venait pour découvrir les Eagles of Death Metal, parce qu’on ne les connaissait pas du tout.

J’étais le médecin de la salle. Dans ce cadre-là, on fait ça à titre bénévole. J’avais une place de fonction et le service d’ordre devait venir me chercher en cas de problème. J’étais au balcon, sur le côté gauche, pour dominer la salle. Pour les médecins, il y a pas mal de confort, donc j’avais une place assise, j’étais privilégié!

Il y a eu une première partie, et les Eagles of Death Metal sont arrivés vers 20h30. C’est un groupe de rock très festif. Les gens reprenaient les chansons, sautaient…

On avait eu une semaine un peu difficile, parce qu’on sortait d’une affaire d’enlèvement assez compliquée. J’étais chez moi, avachi sur le canapé. C’était un vendredi soir, je me disais: « Ce week-end, ça va être tranquille ».

On est arrivés à 16 heures au Stade de France, on a pris nos informations pour la soirée. On s’occupait de toutes les palpations aux entrées, pour le match France-Allemagne. On ne s’attendait pas à avoir une soirée mouvementée.

21h16 – Première explosion au Stade de France

Je regarde le match à la télé, et puis j’entends un bruit. Je vois un joueur qui sursaute, le ballon au pied. Le commentateur parle de bombe agricole. Je me dis que c’est bizarre que ça arrive au Stade de France, mais soit.

Moi, j’étais placé au niveau des portes D et E. Je me dirigeais vers mon collègue pour voir si tout se passait bien quand il y a eu la première explosion.

Je n’ai pas vu le terroriste se faire exploser, vu que j’avançais. Mais quand je me suis retourné, j’ai vu de la fumée et j’ai senti des boulons arriver sur moi, au niveau des jambes. J’étais dans la trajectoire du souffle de l’explosion. J’ai pris 24 décibels dans les oreilles, ça ne fait pas du bien.

En même temps, on a vu des vitres éclater, on a entendu des cris… Sur le coup on reste figé, on ne bouge pas, on regarde ça en se disant: « qu’est-ce qu’il se passe? »

Au même moment, un chauffeur de bus est décédé devant mes yeux. Il était dans la rue en face, il descendait avec un petit café, je me rappelle. Je l’ai vu tomber, tout doucement, il s’est couché par terre. Je l’ai entendu gémir, et puis plus rien.

À la mi-temps, j’ai zappé et je suis tombé sur BFM avec ma femme. J’ai vu les bandeaux qui parlaient d’attaques. On a d’abord pensé que c’était la télé qui dramatisait, mais très vite, j’ai compris qu’il s’agissait d’une attaque terroriste.

La première alerte, c’est que mon chef de groupe envoie un message en stipulant qu’une bombe avait explosé au Stade de France. Sans plus de précision. On commence à être quand même aux aguets, entre guillemets, et le message suivant est arrivé assez rapidement, en nous demandant de revenir au QG.

21h24- Les terroristes s’attaquent aux terrasses

Sur une chaîne d’info, le présentateur, qui a un plan de Paris derrière lui, parle de coups de feu rue Bichat. Je me dis: « c’est la rue de mon hôpital, celle qui est à l’arrière. »

Je n’habite pas très loin, j’en ai pour un bon quart d’heure en pédalant bien. Je prends mes affaires et je roule vite, en essayant de me conditionner sur ce que je vais trouver et en répétant ce que je dois faire.

Avec d’autres bénévoles, on était en plein entraînement avec la police, ce soir-là, sur un site de la Croix-Rouge. Mais vers 21h45, je dirais, on a été interrompus. Notre contact à la préfecture de police nous appelle en nous disant « attention, il y aurait une explosion au Stade de France ». Nous, on est la Croix-Rouge de Paris, donc on n’intervient que sur Paris. Mais là, on nous demandait d’envoyer des renforts en Seine-Saint-Denis.

Dans un premier temps, on s’est dit qu’on allait au Stade de France. Ils avaient l’air d’être un peu débordés, donc on a commencé à se mettre en route. Vers 22 heures, mon directeur m’a dit: « Non, finalement, rends-toi sur la place de la République ».

Vers 21h20 – Nouvelles explosions au Stade de France

Une deuxième explosion est arrivée. Là, la direction du stade a ordonné de fermer toutes les portes pour sécuriser la partie nord où ça avait explosé. C’est là qu’ils ont commencé à comprendre qu’il se passait quelque chose à l’extérieur, qu’il y avait des attaques sur Paris en même temps, qu’il fallait réagir.

Ensuite, il y a eu une troisième explosion, vers le McDo. Nos agents étaient complètement effrayés. On a reculé près des entrées du Stade de France, et on s’est tous mis en ligne, à chaque porte, pour éviter que les gens sortent. Les réflexes se mettent en route.

Vers 21h40 – Explosion au Comptoir Voltaire

Pour aller vers la place de la République, on emprunte le boulevard Voltaire. Et là, les gens nous arrêtent. Nous, on n’est pas censé intervenir en première instance, jamais. Mais j’avais devant moi un papa avec son fils dans les bras et il avait du sang dans les oreilles. Tout confus, il me disait: « Ça a explosé! Ça a explosé! ». J’ai demandé « où? », il m’a répondu: « À l’intérieur du bar! »

Je rentre dans le bar (le Comptoir Voltaire, NDLR). On voit plusieurs personnes ensanglantées. Et on voit une personne, au fond, allongée, en arrêt cardio-respiratoire. Je retourne à notre véhicule pour récupérer une radio ou que sais-je. Mais au moment où je rentre à nouveau dans le bar, je ne vois plus personne. Ils sont tous partis.

Je vois le corps du monsieur au fond, et plus personne autour. Je me dis, « c’est quoi ce délire? » Je me suis rapproché de l’homme en question. Une chose qui m’a marqué, qui me marquera à vie, je pense, c’était son regard. Il avait de grands yeux ébahis, comme s’il était choqué.

Un policier ou un pompier me dit: « Mais courez! Qu’est-ce que vous foutez? » Il m’engueule en me disant: « C’est le terroriste! » Son détonateur avait explosé, mais pas la charge.

21h47 – Le Bataclan attaqué

Pendant le concert, j’ai commencé à entendre des bruits répétés. Je pensais que c’était des pétards. Puis j’ai cru que c’était un passage sonore, qui faisait partie du concert. Les bruits étaient tellement forts que le micro les captaient et les retransmettaient.

On essayait de se rassurer en se disant que comme on ne connaissait pas le groupe, c’était tout à fait possible qu’ils passent des bandes sonores en plus de ce qu’ils jouaient. On n’était pas inquiet au début. Jusqu’à ce que, d’un coup, je sente une odeur de poudre.

J’ai commencé à voir toutes les personnes qui étaient dans la fosse s’allonger, s’agglutiner par terre.

Après, il y a eu des déflagrations beaucoup plus répétées. Ce n’étaient plus des tirs unitaires, c’était des rafales de mitraillettes. Comme j’étais au balcon, malheureusement, j’ai vu deux des terroristes arriver et arroser la foule.

Les membres du groupe ont quitté la scène très rapidement. Ils ont lâché leurs instruments les uns après les autres et sont partis sur les côtés. Puis la lumière de la salle se rallume, comme si le concert n’avait pas commencé. C’est là que j’ai vu la fosse. J’ai vu les gens tomber les uns sur les autres. Et c’est là que je me suis dit que c’était le moment d’essayer de partir.

On a la confirmation par message qu’il y a des attaques dans Paris. On nous demande de rentrer au 36 quai des Orfèvres (le QG de la BRI de Paris, NDLR), de se regrouper, et donc on rentre le plus vite possible à l’unité pour essayer de voir quelle va être la mission et ce qu’on va faire. C’est très confus à ce moment-là, on croise même des autorités, on leur demande: « qu’est-ce qui se passe, où on doit aller? »

On sait qu’il se passe quelque chose au Bataclan, mais pas plus.

« J’ai vu deux terroristes arriver »: victimes, secours, forces de l’ordre… Les attentats du 13-Novembre racontés par ceux qui les ont vécus

Le premier réflexe, c’est de sauver sa peau. De se sauver, tout simplement. J’étais sur le côté gauche, et je savais qu’au bout du couloir, il y avait une porte qui donnait sur un escalier donnant lui-même sur une petite rue (le passage Amelot, NDLR). J’ai harangué un peu les gens autour de moi en leur disant: « venez, venez, on va sortir par là ».

Les balles fusaient sur le mur. Les terroristes étaient en bas, ils tiraient dans tous les sens, partout. On rampait, et des morceaux de plâtre nous tombaient dessus.

On est sortis du balcon en rampant. On est arrivés dans un couloir. On a aperçu une sortie de secours à l’étage. Il y avait énormément de gens dans une cage d’escalier qui ne sortaient pas. Ils ne bougeaient pas, ils étaient tous debout. On a essayé de s’intégrer dans ce groupe de personnes.

En bas de l’escalier, il y avait une porte sur la droite qui donnait sur la salle de concert. Il y avait certainement un terroriste posté là, derrière la porte, parce qu’on entendait les tirs. Et je me souviens très bien du bruit des douilles qui tombaient par terre. Je me disais: « Si le terroriste entend quelque chose et ouvre la porte, on n’a aucun moyen de s’échapper ». On y passait tous. Mais ils étaient trop occupés à arroser la salle, donc la porte ne s’est pas ouverte.

Quand les tirs se sont un peu réduits, les gens ont commencé à descendre, à sortir dans la rue, un par un.

Il s’est passé quelque chose d’assez terrible. J’étais en premier pour ouvrir la porte, c’est moi qui guidais le groupe. Une personne derrière m’a tapé sur l’épaule, il était tellement angoissé que je l’ai fait sortir en premier.

J’ai ouvert la porte, et il s’est pris une rafale de mitraillette par un terroriste qui canardait les gens dans la rue. Il a reçu une décharge, il est mort devant moi. Ça fait partie de la destinée. S’il ne m’avait pas tapé sur l’épaule, ce serait peut-être moi qui ne serais pas là.

Je suis sortie. J’ai couru comme je n’ai jamais couru de ma vie. Sauf que je n’avais pas imaginé que le sol serait jonché de personnes. Il a fallu que je slalome entre les corps.

J’ai vu un policier qui était présent, je me suis dit « je suis sauvée, ça y est, il va me prendre en charge ». En fait, ce policier était complètement dissocié, comme un pantin. Il ne réagissait pas. Ça m’a perturbée.

J’ai traversé le boulevard Voltaire sans regarder la circulation, j’ai failli me faire écraser. Avec mon copain, on a couru. À un moment, je n’arrivais plus à respirer. Je me suis effondrée par terre et j’ai fait une crise d’angoisse. J’ai entendu une énorme explosion qui venait du Bataclan, à 400 mètres de moi. Vu la détonation, je me suis dit: « Bon, il n’y a plus de Bataclan, il a explosé ».

On a réussi à trouver un taxi. C’est là qu’on se rend compte qu’il n’y a pas que le Bataclan et qu’il y a plusieurs sites. Je réalise que même le fait de rouler dans Paris peut être dangereux. Je me baisse complètement dans le taxi et je fais tout le trajet allongée, sous la fenêtre. J’avais peur de me prendre une balle perdue.

Vers 22 heures – Les premiers blessés arrivent aux urgences

J’arrive aux alentours de 22 heures à l’hôpital. Je m’attends à du bruit, de l’agitation, à un service un peu chamboulé. Mais quand j’arrive, je vois autre chose: un silence presque inhabituel, avec des soignants très concentrés.

Là, je dois prendre les premières décisions. Libérer de la place, appeler du renfort, et confier les malades de la file « non attentats » à un médecin. Et puis continuer d’organiser la prise en charge des blessés qui arrivent.

22h15- La BRI pénètre dans le Bataclan

Au fur et à mesure qu’on se rapproche du Bataclan, on commence à voir des gens au sol, notamment autour de l’entrée, morts pour la plupart. L’entrée dessert un vestiaire. Vers le bar on retrouve pas mal de corps. Et on arrive à l’entrée de la salle qui donne sur la fosse du Bataclan.

C’est atroce. C’est un charnier. L’image que j’ai eue, c’est celle d’une scène de guerre. Comme celles qu’on voit à la télé ou dans les livres d’histoire. Tous ces corps les uns sur les autres…

Il faut qu’on essaie de voir s’il y a toujours une menace ou au moins qu’on permette l’évacuation des gens qui étaient blessés. Donc on se concerte, on décide de monter sur le balcon côté gauche, pour essayer d’avoir une vision sur l’ensemble de la salle.

On commence à échanger avec quelques victimes. À notre vue, certaines commencent à ouvrir les yeux et essaient de nous parler tout doucement. Ce qu’on comprendra après, c’est qu’en fait, beaucoup des victimes jouaient les morts parce qu’ils se faisaient tirer dessus dès qu’ils bougeaient. J’ai le souvenir de deux jeunes femmes enlacées dans la mort, d’ailleurs.

Je sens que c’est une situation qui a complètement dégénéré. Je n’avais jamais vécu une telle intervention, sauf qu’il faut vite reprendre le dessus et continuer à avancer tant que les terroristes ne sont pas localisés.

Il faut absolument qu’on aille au contact de ces terroristes pour voir où ils sont et créer ce périmètre un peu sécurisé. Donc on continue notre cheminement, ça dure à peu près 20 minutes, 25 minutes. On trouve au bout d’un couloir une porte en bois classique. On est deux, et on se rapproche d’elle.

On pensait à ce moment-là qu’ils étaient peut-être partis. Parce que ce n’est pas possible, on les trouve nulle part, personne, il n’y a plus de bruit. Le moment était un peu compliqué.

On s’avance pour ouvrir cette porte, quand mon collègue remarque un chargeur d’AK-47 de Kalachnikov. On s’est dit que c’est peut-être un signe que les terroristes ne sont pas très loin. Donc on arrête la manœuvre et quasiment dans la foulée, une voix nous dit: « Vous reculez, sinon je vais tuer tout le monde ».

23 heures- Début des négociations et préparation de l’assaut

Le terroriste affirme qu’ils sont des soldats du califat, qu’ils sont venus sur le territoire français pour se venger parce que ‘la France tue leurs femmes et leurs enfants en Syrie’. Immédiatement après, il lance un ultimatum en disant que tous les gens derrière la porte (la colonne de la BRI, NDLR) doivent partir.

On leur dit qu’on va accéder à leurs demandes, mais en réalité il n’en est rien. La stratégie était de garder le contact autant que possible, jusqu’au moment où le chef de crise déciderait que l’assaut devait être lancé.

On récupère des informations via les négociateurs. Ils confirment qu’il y a plusieurs terroristes, au moins deux, armés, déterminés, avec des otages sous contrainte. Pour nous, c’est fondamental.

On travaille dans le silence, on communique peu à voix haute, on se replie légèrement pour préparer le matériel et renforcer la protection balistique.

On savait très bien qu’il n’y aurait pas de reddition. Il se passe une heure entre le moment où il y a le contact avec les terroristes et les cinq appels de négociation.

Pendant les négociations, je rejoins la colonne et je me retrouve devant, au niveau du bouclier Ramsès. C’est un bouclier qui nous protège des balles, même de Kalachnikov. Il est assez large, et si on est bien positionné derrière, on est à l’abri.

La communication était compliquée. Il y avait de longs silences, des coupures, et parfois on devait parler fort ou faire répéter parce que les terroristes avaient peut-être des problèmes d’audition.

Vers 23 heures – Des blessés soignés à même le trottoir

Place de la République, je retrouve le directeur de la Croix-Rouge qui était au poste de commandement. Il a eu le temps d’être briefé par la préfecture, et là, je comprends la gravité de la situation. On sait qu’il y a une prise d’otage au Bataclan, et au même moment, on entend des déflagrations.

Comme dans les films, dans ma tête, je fais un arrêt sur image. Qu’est-ce que je suis en train de faire? Je suis bénévole, et à tout moment, je risque ma vie. Je regarde un peu les visages de tout le monde, tout le monde était terrifié. On n’a pas l’habitude de voir les policiers avec leur arme sortie à la main.

Après être sorti du Bataclan, j’ai ramassé avec d’autres personnes des blessés qui agonisaient dans la rue. On a voulu se réfugier, on entendait les balles ricocher sur les murs. On a crié, face à un immeuble, pour pouvoir rentrer. À ce moment-là, une fenêtre s’est ouverte et un couple nous a donné le code. On a pu se réfugier dans un appartement.

On a amené huit blessés à l’intérieur. C’était un hôpital de campagne. Les parties communes étaient maculées de sang.

Un homme avait une plaie abdominale, un autre avait une perforation pulmonaire, une femme avait reçu deux balles dans la cheville… On demande à ces habitants super sympas de nous prêter des serviettes pour éponger le sang, des ceintures pour faire des garrots… C’est de l’improvisation totale.

Il faut faire attendre le moins possible les malades les plus graves pour les orienter dans les services appropriés. Le challenge le plus pointilleux, c’est l’identification des gens.

Il y avait des étudiants médecins, des externes, dont c’était la première garde de leur vie. Ils commencent leur carrière médicale à l’hôpital Saint-Louis à devoir gérer ça. Vous leur dites: « Tu suis telle infirmière, j’ai besoin que tu me prépares dix poches de sérum physiologique, dix perfusions, un gramme d’antibiotiques, des seringues de morphine… »

Dans ces moments-là, on ne voit pas le temps passer. C’est là que j’ai compris qu’on sécrétait de l’adrénaline. Je me croyais dans un jeu vidéo, c’était totalement irréel, irrationnel.

Même si on reste professionnel, il y a des choses bouleversantes. J’ai devant moi des patients choqués, mais à aucun moment je n’ai entendu de cris, de pleurs, de plaintes.

Bizarrement, passé un certain temps, tous changeaient d’état. Ils se relâchent émotionnellement, et physiquement: les constantes des patients vont changer. Ils n’ont plus la même fréquence cardiaque, ils n’ont plus la même tension.

L’autre chose qui m’a marqué, c’est qu’à un moment, je dois leur poser la question: « Il faut que je fasse votre dossier, qui est votre personne référente? » Et ils vont vous dire: « Ma personne de contact est morte devant moi. » Vous savez que vous n’allez pas forcément poser la question de la même manière une seconde fois.

Passées 23 heures, on nous a donné l’ordre de nous placer à l’intersection du Bataclan. On m’a dit de trouver des endroits pour placer des postes médicaux avancés (pour recueillir les blessés et leur fournir les premiers soins, NDLR). J’ai identifié deux restaurants. J’ai dit à mes adjoints de les vider, de les réquisitionner pour mettre les urgences relatives dans l’un, et les urgences absolues dans l’autre.

À partir de là, l’horreur s’est organisée, concrètement. Les pompiers de Paris faisaient ce qu’on appelle le ramassage: ils procédaient au tri entre les urgences absolues et les urgences relatives.

23h30 – Mouvement de panique au Stade de France

Le match était terminé. En sortant côté nord, on a entendu quelque chose comme un pétard. On a eu un mouvement de foule, plus de 10.000 personnes sont revenues vers nous en courant. C’est impressionnant. J’ai juste eu le temps d’attraper deux agents par le col et les tirer pour ne pas qu’ils se fassent écraser. Mais j’ai des collègues qui ont eu la jambe cassée, un monsieur handicapé s’est retrouvé par terre, sa chaise roulante était cassée, il s’est retrouvé à l’hôpital.

Une fois le mouvement de foule passé, on avait des enfants complètement paumés parce que leurs parents n’avaient même pas pensé à eux, ils se sont barrés vite-fait à l’intérieur du stade. Les enfants étaient là, hagards, tout autour. Il y avait plein de sacs, des dizaines de sacs éparpillés sur le parvis du Stade de France.

Il a fallu refaire sortir tout le monde en les rassurant, avec l’autorisation de la police qui avait fait un cordon jusqu’au RER pour rassurer les gens. C’était une folie, cette soirée au Stade de France. On n’en a pas beaucoup parlé, mais je peux vous dire que ça n’a pas été une soirée facile pour nous.

00h18 – L’assaut au Bataclan

Au Bataclan, le top assaut est donné à la radio, donc on progresse tout droit vers le couloir. J’ai donné des coups au niveau de la porte. Quand elle s’est ouverte totalement, et là il y a eu le déluge de feu.

À travers la vitre du bouclier, j’aperçois un terroriste. Ça tire de partout, je continue d’avancer. À un moment, une balle touche la vitre du Ramsès, je baisse la tête, pensant qu’elle a traversé. Puis je la relève et j’annonce que les terroristes sont au fond du couloir.

On avait pu utiliser des outils de diversion, il y a beaucoup de fumée, c’est noir. On sent vraiment littéralement les cartouches passer à côté. Et on continue d’avancer, le tir s’arrête, les otages rampent vers nous, on essaie de les évacuer.

J’ai senti le bouclier basculer. Je trébuche, il tombe. Mais je ne réagis pas tout de suite car le terroriste tire encore. Quand les tirs cessent, je pousse de toutes mes forces pour le redresser. Il finit par retomber.

Kader* reprend sa progression avec son arme de poing, accompagné d’un autre collègue et ils ont fait le travail qu’il fallait faire.

Je vise à une main, l’autre me sert à garder l’équilibre, je tire plusieurs fois en direction du terroriste, à environ quatre mètres. Puis il se cache à nouveau. Il y a mon officier qui vient devant moi avec un gilet souple qui ne protège pas des balles, et à ce moment-là le terroriste explose, à même pas un mètre.

Là, on sent un vrai blast (souffle d’une explosion en langage policier, NDLR). On continue d’avancer, on tombe sur cette cage d’escalier où il y a le deuxième terroriste qui se trouve un petit peu plus bas. Il a été blessé par l’explosion du premier. Le numéro deux dans la colonne le voit en train d’essayer d’actionner son gilet et le neutralise.

Mes collègues ont abattu les terroristes avant qu’ils puissent tous nous faire sauter.

Dans la nuit – Retour au calme

Ce qu’on voulait, c’était rentrer chez nous, revoir notre famille qui était inquiète et qui nous attendait.

Quand je suis sorti, j’avais envie de prendre l’air, de bouger. De toutes manières, les transports publics étaient fermés, il n’y avait pas de taxis, c’était désert. Donc j’ai fait le trajet Bataclan – Saint-Eustache à pied. J’ai traversé Paris à pied tout seul.

J’étais chamboulé de ce qu’il venait de m’arriver. J’ai repris ma voiture, et j’ai dû arriver chez moi vers 5h, ou 5h30.

Je n’ai pas voulu rentrer chez moi. Je suis rentré chez mes parents à 6 heures du matin, je crois, et c’est là où j’ai fondu en larmes. J’avais allumé BFM, et on commençait à voir l’horreur de la nuit. Je me rendais compte qu’il y avait plusieurs soirées dans une soirée, et chacun avait sa vision. Moi, c’était celle de l’arrière du Bataclan.

J’ai reçu une tonne de messages, une tonne d’appels de collègues, d’amis, de famille dont certains savaient que j’étais au Bataclan, et qui voulaient absolument m’avoir pour savoir si j’étais encore en vie. On a passé notre soirée à rassurer les gens, à les rappeler, sachant qu’il y avait des gros problèmes de réseau et que ça raccrochait tout le temps.

Avec un collègue, on est sortis du Bataclan. L’atmosphère ressemblait à la fin du monde… On est rentrés au QG, on s’est lavé et on a enlevé le sang de nos chaussures.

La descente a lieu quand on rentre à la maison. Vous n’êtes plus avec les gens qui ont partagé l’expérience. Et ça, ce n’est pas simple.

Dès que les dernières personnes ont quitté le stade, il ne restait que les ambulances qui continuaient à s’occuper des blessés, parce qu’on a eu quand même 52 blessés au Stade de France.

Ensuite, on a récupéré les chasubles, les vestes qu’on porte pour être reconnus et se reconnaître entre nous quand il y a une foule. Tout est parti au lavage parce qu’on avait du sang partout.

Et puis on est rentrés chez nous par nos propres moyens. Sans m’en rendre compte, je suis passé devant l’endroit où se cachaient les terroristes à la Courneuve, en Seine-Saint-Denis. Je l’ai appris deux jours après.

Ma femme m’a demandé si ça allait, comment ça s’était passé là-bas. J’avais plus envie de pleurer que d’expliquer tout ce qui m’était arrivé. J’étais choqué d’avoir vu ça. J’ai fait l’armée, mais on n’est jamais prêt à voir une scène de guerre aussi violente.

Les jours d’après

Le lendemain, je repartais travailler pour une mission sur des plateaux télé. Je revoyais toutes les images (des attentats, NDLR) passer devant mes yeux. J’avais les émotions avec. J’ai cru que j’allais me taper la tête contre les murs. Le soir-même, j’étais à l’hôpital. Ils m’ont donné des calmants. À cause de mes oreilles, j’entendais comme dans une caverne. J’avais mal à la nuque. Les premiers jours ont été atroces pour moi.

Deux jours après les attentats, sur le chemin de l’hôpital, j’ai pris les transports, comme d’habitude à Paris. Dans le métro, il y avait des travaux avec des marteaux-piqueurs. Quand je les ai entendus, je me suis effondrée sur moi-même. J’ai fait une crise d’angoisse. Maintenant, je sais que les marteaux-piqueurs me rappelaient clairement les bruits des Kalachnikovs. Mon corps a cru que ça recommençait.

À l’hôpital, une psychiatre m’a prise en charge, m’a prescrit des médicaments et m’a parlé d’un changement de vie probable pour moi. Mais moi, je n’avais pas envie de changer de vie, j’aimais bien ma vie.

C’est bizarre, mais je me rappelle que les premiers temps, quand j’étais dans un café, un restaurant ou autre, je ne voulais jamais être dos à la fenêtre. C’est un élément de stress post-traumatique. Mais en ce qui concerne le secours en lui-même, je n’ai jamais « perdu la foi ».

J’ai essayé de m’investir dans l’association Life for Paris. J’avais besoin d’aider. Ça m’a permis de me trouver un objectif, ça faisait complètement sens. J’avais besoin de me retrouver avec des gens qui avaient vécu la même chose que moi.

En parallèle, je me suis complètement réfugiée dans la création artistique. En décembre, j’ai commencé à dessiner sur le stress post-traumatique. Puis je me suis lancée dans la publication de mon livre Chroniques d’une survivante, un roman graphique que j’ai illustré et qui est paru en 2018, aux éditions Lamartinière.

C’est le lendemain soir (le 14 novembre au soir, NDLR) que je vais rentrer chez moi. J’ai essayé de trouver quelque chose qui me réconcilierait avec la société. Quelque chose qui me ferait plaisir à manger.

Vers la place des Abbesses, dans le 18ème arrondissement, j’ai franchi pour la première fois la porte d’une épicerie dans laquelle travaille un grand cuisinier, et j’ai acheté une part de tourte au poulet. En me disant que sur cette terre, des gens essaient de faire des choses bonnes et réconfortantes, que vous pouvez partager avec d’autres, et qui vous apaisent.

Dix ans plus tard

Je suis beaucoup plus sereine depuis que la phase judiciaire est passée. Le procès m’a fait du bien, ça m’a apaisée. J’ai quelques symptômes qui ont disparu, mais d’autres sont très persistants. Je suis encore suivie psychologiquement. Je continue à dessiner et je continue à faire ce qui me fait du bien.

La première fois que je suis retourné voir un concert, j’y suis allé de façon sereine. N’empêche que j’ai regardé où étaient les issues de secours. Et je me suis demandé quelles consignes j’allais pouvoir donner aux gens s’il se passait quelque chose: enlevez vos ceintures et faites des garrots, tenez-lui la main, ne la laissez pas toute seule. Je me suis fait cette réflexion-là.

Vous ne pouvez pas faire abstraction de ce qui s’est passé. Je refuse qu’on m’ait pris ça. Il n’y a pas de raison. Il n’y a pas de raison.

Je suis retourné au Bataclan l’année suivante à la réouverture avec le concert de Sting. Et instinctivement, mes yeux ont dérivé vers le lieu de l’assaut et c’est là où je me suis rendu compte que finalement c’était très exigu. Il y a quelques souvenirs qui sont remontés…

Les opérateurs avec qui j’étais, ce sont des gens, de toute façon, avec lesquels on a un lien indéfectible. On a beau se prendre la tête ou ne pas être d’accord sur des sujets professionnels ou autres, il y a toujours un moment où ça s’arrête, et ça, ça joue beaucoup.

Mes nuits sont encore compliquées par moments. Et quand je fais les magasins, malheureusement, il y a des souvenirs qui reviennent: certaines lumières sont comme celles du Stade de France. Mon corps ne supporte pas ça et me le fait sentir.

Je suis retourné une fois au Stade de France. Là, j’y retourne ce mois-ci pour le match France-Australie. Je me dis « je suis là, je suis vivant, je peux leur faire voir qu’ils m’ont rté, qu’ils n’arriveront pas à m’abattre ».

Quand j’ai vu qu’on ne parlait que du Bataclan, ça m’a mis en colère. Et j’ai toujours cette colère en moi. C’est pour ça que je parle, pour qu’on ne nous oublie pas. Aujourd’hui, les gens commencent à se réveiller. Beaucoup de personnes ont été oubliées au niveau du Stade de France.

Mon traitement, c’était de ne rien arrêter. Cinq jours après les attentats, j’étais à l’Olympia pour faire une garde. Je fais des concerts, c’est mon truc. J’étais il y a encore trois jours au Bataclan pour refaire un concert. Hier soir, j’étais au Zénith… Je continue. La vie continue.

Article original publié sur BFMTV.com

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