Faire respecter les jugements des jurys américains en France : éviter l’écueil de la motivation
LoiFlash
04 avril 2024
L’obtention de l’exequatur des jugements américains en France peut s’avérer complexe, car ces jugements peuvent ne pas être clairement motivés, ce qui est l’une des conditions requises par le juge français pour obtenir l’exequatur. Les juges français acceptent cependant comme preuves des documents équivalents, qui peuvent éclairer la motivation du jugement américain. Les défis liés à l’exequatur (c’est-à-dire l’exécution en France de jugements étrangers) des jugements américains rendus par un jury civil lors d’un procès avec jury ont été récemment mis en lumière par un arrêt de la Cour d’appel de Reims.
Dans cette affaire(1), un distributeur de champagne français et américain a poursuivi son fournisseur français devant un tribunal fédéral de district de New York pour rupture de contrat, et un jury a condamné le défendeur à payer 1,5 million de dollars de dommages et intérêts.
Le demandeur a alors cherché à faire exécuter cette décision en France, souhaitant probablement cibler les actifs du défendeur en France, où il avait son siège social.
Traditionnellement, en l’absence de traité international entre la France et le pays où le jugement a été rendu (en l’occurrence les États-Unis), la jurisprudence française pose trois conditions pour la reconnaissance dudit jugement en France(2) : (1) le juge étranger doit avoir été compétent, (2) la demande portée devant le juge étranger ne doit pas constituer une évasion de la loi ou du jugement, c’est-à-dire que le demandeur n’a pas sciemment cherché à contourner la loi réellement applicable afin d’obtenir un jugement plus favorable, et (3) le jugement doit être conforme à l’ordre public international français, tant en matière d’ordre public substantiel que d’ordre public procédural, ce qui implique le respect du droit à un procès équitable, au contradictoire et à l’impartialité des juges. Cette dernière condition implique également que la décision étrangère soit motivée.
Dans le récent arrêt de la Cour d’appel de Reims, c’est cette dernière condition qui était en cause.
En effet, le juge français a rejeté la demande du fournisseur de exequatur du jugement américain, soulignant qu’il manquait de motivation.
Le demandeur avait seulement produit (1) le jugement (un document d’une seule page non motivé) confirmant le verdict du jury, (2) le jugement modifié ultérieur fixant des intérêts de retard (sans autre motivation), (3 ) le formulaire de verdict, et (4) un avis du juge du tribunal de grande instance, postérieur au jugement initial et traitant uniquement de la question d’intérêt. Aucun de ces documents n’explique comment le jury est parvenu à sa décision.
Cela n’est pas satisfaisant pour le juge français qui, même s’il lui est interdit de statuer à nouveau sur l’affaire, doit s’assurer que la décision pour laquelle exequatur est recherché a été dûment motivé. Dans le cas présent, le juge français n’a pas pu comprendre pourquoi un jugement défavorable avait été prononcé contre le défendeur par le tribunal américain.
Il s’agit d’une question sensible, car contrairement aux jugements français traditionnels, qui sont rendus par un juge et incluent une motivation dans la décision elle-même, les jugements rendus à l’issue d’un procès devant jury aux États-Unis ne comprennent généralement pas une exégèse de toutes les raisons qui sous-tendent la décision. le verdict du jury, au-delà des informations contenues dans le formulaire de verdict lui-même.
Cela signifie-t-il qu’il est impossible d’appliquer en France les verdicts des jurys américains et que seuls les jugements issus d’un banc d’essai aux États-Unis, qui ressemblent davantage aux jugements français, sont exécutoires ? Heureusement non : la jurisprudence française a développé la notion de « documents équivalents », qui, outre le jugement lui-même, peuvent contenir les motifs de la décision étrangère.(3)
Autrement dit, les juges français permettent à la partie réclamante exequatur produire des documents supplémentaires, qui valent équivalent à la motivation qui aurait dû être insérée dans le jugement lui-même.
Bien qu’il n’existe pas de liste précise de documents équivalents, les juges français ont admis l’utilisation des documents suivants :
- La citation à comparaître devant le tribunal d’origine et les documents de procédure ultérieurs
- Les arguments et arguments des parties
- Documents produits devant le tribunal d’origine
- Une transcription des débats et des témoignages qui ont eu lieu devant le tribunal d’origine
- Les questions posées aux jurés, afin de comprendre la nature du verdict rendu
- Le cas échéant, une copie des décisions antérieures rendues par le tribunal d’origine sur la même question et mentionnées dans la décision originale
Il est indispensable que le demandeur produise plusieurs documents antérieurs au jugement dont l’exécution est demandée et traduite en français.
Les plaignants devraient également envisager de présenter au juge français une déclaration sous serment d’un avocat américain décrivant les étapes et les caractéristiques d’un procès devant jury et expliquant comment les droits des parties sont garantis et comment la décision finale est prise.
Devant la Cour d’appel de Reims, le plaignant n’avait ni produit de pièces probantes équivalentes ni rempli toutes les conditions susvisées. Il est donc compréhensible que cette demande ait été rejetée. Ce précédent appelle cependant à la prudence. Les demandeurs ne doivent pas présumer que les jugements obtenus aux États-Unis à l’issue d’un procès devant jury sont automatiquement exécutoires en France. L’exécution de ces jugements en France comporte à la fois des coûts et des risques.
Les demandeurs souhaitant faire exécuter un jugement favorable rendu par un jury civil aux États-Unis doivent veiller à fournir au juge français plusieurs documents significatifs du procès américain. Cela permettra au juge français d’appréhender les spécificités d’un procès devant jury américain, de comprendre la chronologie du procès et de déterminer la justification ou la motivation du jugement, qui sera alors exécutoire en France.
COMMENT NOUS POUVONS VOUS AIDER
Morgan Lewis, qui dispose de bureaux aux Etats-Unis et en France, est disponible pour toute question relative à l’exécution des jugements américains (ou plus généralement non français) en France.
La juriste Inès Chaudonneret a contribué à ce LawFlash.