Expositions phares : comment la France s’organise pour faire face à son empreinte environnementale colossale – BusinessWorld Online

SUR LE site Web du Rijksmuseum, l’exposition à succès sur Johannes Vermeer (du 10 février au 4 juin 2023) est qualifiée de plus grande exposition jamais réalisée. Cependant, les espoirs des visiteurs sont bientôt anéantis par une note les informant que le spectacle est complet. L’ensemble des œuvres de Vermeer peut encore être admiré via le parcours découverte en ligne, la page d’accueil des volontaires.
Souvent monographiques, les expositions à succès rassemblent généralement les œuvres emblématiques d’un même artiste, atteignant une fréquentation record grâce à une nouvelle proposition de valeur. Ce sont des expositions spectaculaires aux scénographies flamboyantes qui s’adressent principalement aux visiteurs occasionnels.
En termes de fréquentation, ils représentent un succès indéniable. En France, la dernière exposition de ce type au musée d’Orsay, qui s’est achevée le 22 janvier (Munch : un poème de vie, d’amour et de mort) a battu le record de fréquentation de l’institution avec 720 000 visiteurs en quatre mois. Quelques autres exemples de blockbusters français sont Toutankhamon, le trésor des pharaons à la Grande Halle de la Villette avec 1,4 million de visiteurs en 2019 ; Léonard de Vinci au Louvre : 1,1 million de visiteurs en 2020 ; La Collection Morozov : Icônes de l’Art Moderne à la Fondation Louis Vuitton : 1,2 million de visiteurs en 2022.
Outre la France et les Pays-Bas, d’autres musées européens célèbres commercialisent également leurs expositions temporaires comme des événements uniques. Prenez le récent Donatello : La Renaissance à Florence en 2022 au Palazzo Strozzi, réunissant environ 130 œuvres provenant de 60 lieux du monde entier, ou l’exposition Tate London Cezanne présentée comme une exposition unique dans une génération.
Le problème, c’est que ce type d’exposition s’accompagne d’une lourde facture environnementale. Elsa Borome, responsable de la Responsabilité Sociale des Entreprises au Muséum d’histoire naturelle de Paris, estime que l’exposition temporaire de son institution sur les espèces d’ours a consommé en 2017 l’eau de 454 piscines olympiques, l’énergie annuelle de 23 foyers français et émis les gaz à effet de serre de 74 allers-retours en avion de Paris à Marseille.
De tels chiffres poussent les acteurs de l’industrie culturelle à revoir leur business model en intégrant l’empreinte environnementale des expositions, alors que des clusters professionnels émergent pour initier le changement. Le Palais des Beaux-Arts de Lille, par exemple, organise depuis deux ans des ateliers sur le thème de la durabilité des musées.
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En examinant les discours de 54 professionnels qui ont participé à un atelier sur la durabilité des musées à Lille, en janvier 2022, nous avons constaté qu’il existe un large consensus en France sur la nécessité d’expositions plus vertes. Pour cela, le groupe a recommandé aux commissaires de repenser le concept même d’exposition temporaire et son cycle de vie, qui s’étend sur les temps de pré-conception, d’exposition et de démontage.
Cela implique de reconsidérer les notions traditionnelles d’excellence esthétique et scientifique. Les expositions sont actuellement classées en fonction du volume d’œuvres d’art originales exposées, avec une exposition typique comprenant entre 100 et 150 pièces. Il a également été conseillé que les différents services du musée impliqués dans la préparation de l’exposition se concertent sur des alternatives respectueuses de l’environnement, notamment la projection numérique d’œuvres d’art originales, une scénographie et un éclairage durables.
Par ailleurs, les musées devront également relever le défi de réutiliser le plus possible d’éléments de la scénographie, ou/et de les recycler auprès des institutions œuvrant dans le secteur de la création. Le choix d’alternatives locales pour le don de mobilier d’exposition (par exemple, les écoles d’art, les ONG) pourrait également contribuer à limiter les émissions liées au transport.
La phase d’exposition est le moment où le public rencontre le récit de l’exposition. Et là on se heurte à un autre paradoxe : les visiteurs interrogés perçoivent une exposition éco-conçue comme du greenwashing et de mauvaise qualité esthétique. Un visiteur a observé : Une exposition avec un label écologique serait suspecte, je la considérerais comme du greenwashing, c’est juste pour le marketing.
Ce verbatim illustre le ressenti des visiteurs interrogés six mois avant l’installation de l’exposition éco-conçue L’Expérience Goya au Palais des Beaux-arts de Lille. Cela soulève des questions sur la capacité des visiteurs à sacrifier leur plaisir esthétique pour le bien commun. Dans une certaine mesure, cela s’explique par la méconnaissance du grand public des coulisses de la réalisation d’une exposition. Par exemple, lorsqu’on interroge les répondants sur le nombre d’œuvres attendues pour une exposition temporaire, ils mentionnent un maximum de 40. Il y a donc un décalage entre les ambitions esthétiques des commissaires et les attentes des visiteurs.
Plus généralement, les visiteurs n’ont pas tendance à percevoir la durabilité comme une priorité pour les musées, contrairement à d’autres industries : je pense que c’est un peu triste de se poser la question de la réduction de l’empreinte carbone lorsqu’il s’agit de la culture alors que de nombreux autres secteurs sont pires. exemples. Je ne pense pas que la culture soit un secteur où nous devrions faire des économies. [] La culture n’est pas le secteur où le bilan écologique est le plus lourd.
Or, le public et ses déplacements représentent l’impact le plus important dans l’empreinte carbone d’une exposition temporaire.
Il est essentiel que les institutions culturelles éduquent les visiteurs sur leurs choix durables. Le Palais des Beaux-Arts de Lille, par exemple, a choisi de marquer clairement l’Expérience Goya comme sa première exposition éco-conçue. Dans une vaste campagne d’information, il a claironné la valeur écologique de centrer son exposition autour de deux œuvres appartenant au musée, Les anciens et Les jeunes. Sur les 40 œuvres exposées, toutes provenaient d’Europe et seules deux ont été transportées par avion. 65% de la scénographie a été réutilisée pour l’exposition suivante, La Forêt Magique.
Les retours des visiteurs ont été particulièrement positifs : j’ai été très surpris par la visite, la scénographie mettant en avant le processus de création derrière les deux œuvres, l’évolution de la peinture de Goyas, ainsi que la mise en lumière finale des deux tableaux du Palais des Beaux- Arts à Lille. La musique rythmée et grave nous aide à nous immerger dans le monde sombre de Goya.
La technologie et les reproductions numériques ont permis de remplacer les pièces originales manquantes dans le récit scientifique du parcours de l’exposition.
Les visiteurs interrogés à la sortie de l’exposition ont déclaré avoir apprécié la dimension multimédia de l’exposition : j’ai été interloqué par la [exhibitions] projections diverses, ambiances musicales, éclairages ainsi que sa galerie entièrement numérisée. Je crois que la scénographie est cruciale pour cela [artistic] expérience oui, l’exposition Goya Experience porte bien son nom.
Inaugurés le 22 mars, les Muséums d’Histoire Naturelle Flins (Félins) a suivi la même démarche d’éco-conception, selon sa commissaire, Mathilde Chikitou, et le scénographe, Sacha Mitrofanoff. Qu’il s’agisse du sol, du mobilier, des vitrines ou des cloisons, le cycle de vie de chaque article a été soigneusement évalué, depuis l’approvisionnement de ses matières premières jusqu’à son potentiel de réutilisation ou de recyclage. Les œuvres exposées proviennent principalement de collections parisiennes.
Les exemples ci-dessus sont la preuve qu’il n’est pas nécessaire de faire des compromis entre les expositions durables et les attractions spectaculaires. Pour aider les professionnels à réduire l’empreinte carbone de leurs expositions, le Comité international des musées et collections d’art moderne (CIMAM) a produit une boîte à outils spéciale sur la durabilité environnementale dans la pratique muséale. En attendant des expositions éco-conçues à part entière, les musées peuvent prendre des mesures simples et immédiates pour aider la planète, notamment en prolongeant la durée de l’exposition, en privilégiant sa tournée dans le pays, en calculant son impact tout au long de son cycle de vie et en travaillant avec des partenaires certifiés. Fournisseurs.
Guergana Guintcheva est professeur de marketing à l’EDHEC Business School en France. Elle a reçu une bourse de recherche de la ville de Lille.