Expérimentation du congé menstruel payé, mais pas de consensus pour en faire une loi française

En février, l’Espagne est devenue le premier pays européen à accorder aux femmes des congés payés si elles souffrent de douleurs menstruelles chroniques, en approuvant une loi sur le congé menstruel dans le cadre d’une réforme plus large de la santé reproductive.

La loi accorde aux salariées le droit à un congé menstruel de trois jours si elles connaissent des périodes débilitantes, à condition qu’un médecin le juge nécessaire.

Il y a maintenant des appels pour que la France emboîte le pas.

Selon un sondage IFOP, la moitié des Françaises en âge de règles ont des règles douloureuses, et les deux tiers se disent favorables au droit au congé menstruel.

Une dizaine d’entreprises françaises ont déjà mis en place une forme de congé périodique, la première La Collective en 2021.

Fin mars, la ville de Saint Ouen, juste au nord de Paris, est devenue la première mairie de France à proposer un congé spécial.

Dans le cadre du programme expérimental, les travailleuses municipales seront autorisées à prendre jusqu’à deux jours de congé de maladie payé par mois, à condition qu’elles puissent présenter un certificat médical confirmant leur état.

Surtout, les deux jours de congé seraient payés par l’État, alors qu’en France l’arrêt maladie n’est payé qu’à partir du quatrième jour.

Souffrir en silence

L’employé de la mairie, Vronqiue Kojbati, qui souffre d’une affection gynécologique douloureuse connue sous le nom d’adénomyose, a salué la mesure.

Même prendre des analgésiques tout le temps n’a pas soulagé la douleur, mais je suis quand même venue travailler, a-t-elle déclaré à RFI.

Deux jours d’arrêt maladie, c’est perdre 70 euros, donc faire ça chaque mois c’est beaucoup d’argent. Désormais, je pourrais utiliser le nouveau protocole de congé de deux jours.

Écoutez une conversation sur le congé menstruel dans le podcast Pleins feux sur la France :

Pleins feux sur la France, épisode 92 RFI

Le programme a été dirigé par le maire du parti socialiste Karim Bouamrane après avoir réalisé combien de villes 1 200 employées souffraient en silence.

Il fallait faire quelque chose, a-t-il déclaré à RFI. Avec ce congé spécial jusqu’à deux jours par mois, les femmes se sentiront moins coupables. Mais surtout, cela rendra la question des règles douloureuses moins taboue.

Il pourrait aussi contribuer à sensibiliser à la santé des femmes au travail, notamment aux maladies invalidantes comme l’endométriose qui touche une femme sur dix en France.

On ne parlait pas des périodes douloureuses dans notre famille, c’était un sujet tabou, a déclaré l’employé de la mairie Jérôme Pankoni. Depuis, j’ai interrogé ma sœur à ce sujet et il s’avère qu’elle souffre depuis des années. Je n’en avais aucune idée.

Projets de factures

Bouamrane veut aller plus loin et a écrit au président Emmanuel Macron pour demander que le droit aux congés périodiques soit inscrit dans la loi française.

Tout comme vous avez du temps libre pour vous entraîner ou vous reposer, le congé menstruel deviendra également une pratique courante, a-t-il déclaré. C’est pourquoi il doit figurer dans notre code du travail et devenir une loi.

Le maire de Saint-Ouen affirme que le congé menstruel payé contribuera à sensibiliser à la santé des femmes au travail, notamment aux maladies débilitantes comme l’endométriose. AFP – ALAIN JOCARD

Un certain nombre de députés socialistes et verts rédigent des projets de loi à cet effet.

C’est le bon moment pour faire ce projet de loi en France, il y a beaucoup d’intérêt et la population est prête, a déclaré la députée socialiste Fatiha Keloua Hachi.

Les députés écologistes consultent également les associations féministes, les médecins et les entreprises en vue de rédiger leur propre projet de loi.

Discrimination supplémentaire

Mais il y a des inquiétudes quant à l’efficacité d’une loi sur le congé menstruel et si les femmes oseraient y faire appel.

En 2017, l’Italie a joué avec l’idée mais l’a abandonnée parce que les législateurs pensaient qu’elle pourrait renforcer les stéréotypes néfastes sur les femmes au travail.

Le monde des affaires est sceptique, la Confédération des PME affirmant que cela pourrait entraîner une désorganisation au sein des petites entreprises.

Le syndicat des patrons, le Medef, s’y oppose, estimant que cela enverrait l’image que les femmes ne peuvent pas occuper les mêmes postes que les hommes.

Les femmes elles-mêmes sont nerveuses quant aux conséquences possibles.

Dans l’enquête IFOP, 82% des personnes interrogées ont déclaré craindre qu’une loi sur le congé menstruel ne rende leur embauche plus difficile, une opinion partagée par le groupe féministe Osez le fminisme.

Ce qui semble être une bonne idée en principe pourrait avoir un effet néfaste sur l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, a déclaré la porte-parole Violaine de Filipiss.

Il faut penser au problème de la discrimination lors du recrutement et à l’impact sur l’évolution de carrière, a-t-elle déclaré à RFI.

On connaît les questions que se posent aujourd’hui les employeurs en France : si un homme et une femme ont les mêmes compétences, ne devrais-je pas préférer l’homme de 30 ans à la femme de 30 ans parce qu’il part moins en congé maternité ?Eh bien, j’ai le même problème avec le congé menstruel.

La sociologue Aline Boeuf a également exprimé ses craintes que les personnes en situation de travail précaire n’hésitent à demander un congé menstruel si elles n’ont aucune garantie d’être réembauchées ».

Un changement culturel

Qu’une loi sur le congé menstruel soit souhaitable ou non, de nombreux groupes s’accordent à dire que ce ne serait pas suffisant.

Les employeurs n’ont « pas encore pris en compte les expériences des femmes, telles que les menstruations, la grossesse et la ménopause », a déclaré Boeuf à RFI, pointant des mesures qui pourraient contribuer à améliorer la vie quotidienne des employés, comme l’eéquiper des toilettes avec lavabos ou installer des salles de repos avec des bouillottes.

Yasmine Candau d’EndoFrance, un groupe qui milite pour une meilleure reconnaissance de l’endométriose, convient que des espaces dédiés sur le lieu de travail seraient un signe de progrès.

La douleur peut survenir à tout moment, on ne peut pas toujours le savoir à l’avance, le matin, dit-elle.

La sénatrice socialiste Hlne Conway-Mouret, un acteur clé dans la rédaction d’un projet de loi, reconnaît que le congé menstruel ne résoudra pas tous les problèmes à long terme, mais affirme qu’un changement culturel est nécessaire et que le projet de loi peut donner un coup de fouet à cela.

Les femmes ne doivent pas avoir honte de souffrir », a-t-elle déclaré à RFI. « Cette mesure est un petit pas en faveur de leur bien-être au travail, mais un grand pas dans le débat plus global dont nous avons besoin autour du changement des mœurs », a-t-elle déclaré.

Outre l’Espagne, seuls la Zambie, le Japon, la Corée du Sud, l’Indonésie et Taïwan ont introduit une certaine forme de congé menstruel.


Écoutez une version de cette histoire dans le podcast Pleins feux sur la France. Ecoute maintenant.

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