ENQUÊTE : Comment la philanthropie américano-française finance la guerre culturelle anti-indienne dans le monde universitaire et les médias – THE NEW INDIAN

NEW DELHI: Après avoir dénoncé une attaque directe contre la démocratie en Inde devant un groupe de parlementaires européens à Bruxelles, le chef du Congrès Rahul Gandhi a donné samedi une conférence à Sciences Po à Paris. Pourquoi cette université est-elle importante dans son projet de tournée européenne ?

Une enquête par Le nouvel indien, sur la base d’informations disponibles dans le domaine public, a révélé que l’université de Sciences Po et son chercheur Christophe Jaffrelot, considéré comme une autorité éminente de la droite hindoue, font partie d’un réseau d’organisations à but non lucratif et de fondations financé par les États-Unis qui dépensent des milliards pour affaiblir les gouvernements nationalistes. en remodelant les récits pour sauvegarder et promouvoir les intérêts américains.

Les fondations philanthropiques américaines ont été d’importants vecteurs de l’influence américaine dans le monde. Ils fournissent des dons et financent des travaux de recherche et des bourses aux médias, aux académiciens et aux journalistes qui pourraient propager les récits établis par les agences américaines et les groupes de pression. Parmi ces organisations philanthropiques se trouve la Fondation Ford, la plus riche d’entre elles. Sa mission déclarée : l’établissement de la paix, le renforcement de la démocratie et de l’économie, ainsi que la promotion de l’éducation et des connaissances scientifiques. A cet effet, divers programmes ont été lancés à l’étranger. Un bureau des affaires étrangères a été créé en Inde en 1952, avec un accent particulier sur l’investissement car il s’agissait d’un géant asiatique non communiste. Jusque dans les années 1990, l’Inde recevait plus de fonds que les autres pays étrangers.

LIRE LA SUITE : Protéger les forêts et les plans d’eau du Cachemire est vital LE NOUVEL INDIEN

La Fondation Ford a développé une relation unique avec le gouvernement indien et des organisations privées. Un soutien a été fourni sous forme d’assistance technique et d’experts étrangers envoyés en Inde. Une aide technique à l’agriculture a par exemple été fournie pendant la Révolution verte. Pourtant, ce n’était qu’un simple aspect d’une bataille culturelle plus large contre le communisme qui faisait rage pendant la guerre froide.

C’était un leader dans ce domaine, parrainant des organisations culturelles et des magazines dans le monde entier. Les trois grandes fondations (Ford, Rockefeller, Carnegie) avaient des liens avec la CIA, agissant dans une certaine mesure comme des instruments secrets de la politique étrangère américaine. Selon les informations disponibles dans le domaine public, d’importants responsables de la CIA auraient été placés dans ces fondations. Si le financement d’une organisation intermédiaire était parfois révélé, une fondation continuerait de soutenir cet orphelin de la CIA. L’Asia Foundation est un exemple emblématique d’organisation culturelle servant de façade à la CIA.

Aux États-Unis, ces fondations ont également joué un rôle important dans la formation d’experts américains et dans la création de centres de recherche en Asie du Sud. La Fondation Ford a ainsi promu les Area Studies dans les universités américaines, pour tenter d’acquérir une expertise et d’exercer son influence. L’effort ne s’est pas limité aux seuls universitaires, mais a impliqué la formation de journalistes, d’hommes d’affaires et de responsables gouvernementaux.

LIRE LA SUITE : La promotion du mil et du végétarisme au G20 n’est pas une imposition mais un coup de maître dans l’image de marque THE NEW INDIAN

Aujourd’hui, les fondations sont moins directement impliquées à l’étranger et exercent leur influence par le biais de subventions à des organisations locales. Aujourd’hui, ils travaillent plutôt avec des ONG qu’avec les gouvernements. Selon des informations du domaine public, Ford occupe désormais une position forte dans le réseau des ONG, qu’elles soient internationales ou locales (par exemple Amnesty International et Human Rights Watch). En outre, les États-Unis restent une source de financement majeure pour les études liées à l’Inde dans le monde.

La France et la fabrication internationale des savoirs liés à l’Inde

Cette enquête explore le tissu de la production internationale de connaissances et d’informations sur l’Inde, dans lequel la France occupe une position forte. Sciences Po est le centre de formation et de recherche en sciences politiques le plus prestigieux de France. Il abrite le Centre d’études internationales (CERI), dont le développement initial a été favorisé par les fondations Ford et Rockefeller à partir de 1957. Il fut le premier centre de ce type en France, illustrant l’influence américaine dans l’élaboration du domaine des relations internationales. Sciences Po a un palmarès convaincant pour fournir à la France des élites politiques.

Christophe Jaffrelot est la voix dominante des études politiques indiennes en France. Il est chercheur au CERI et en a été le directeur. L’essentiel des recherches sur l’Inde gravite actuellement autour de lui (il a dirigé plus de 30 thèses de doctorat). Ses idées fondamentales peuvent être résumées ainsi : la démocratie et l’État de droit sont en déclin en Inde sous la pression du national-populisme et de l’autoritarisme. Alimenté par l’Hindutva, le pays est en train de devenir une démocratie ethnique dans laquelle les musulmans et les autres minorités sont réduits au rang de citoyens de seconde zone.

Selon les informations disponibles dans le domaine public, Jaffrelot est connecté à un vaste réseau universitaire, journalistique et de lobbying. Pour commencer, il est chercheur non-résident au Carnegie Endowment for International Peace. Ce groupe de réflexion américain sur la politique étrangère possède un centre à New Delhi. Les liens avec la grande philanthropie sont forts. Il est financé, entre autres, par la Fondation Ford, le Rockefeller Brothers Fund, la Fondation Gates, l’Open Society Foundations (Soros) et le Democracy Fund (Omidyar). Le conseil d’administration compte des personnalités éminentes, dont certaines ont occupé un poste au sein de l’administration Obama. Le Carnegie Endowment est toujours, dans une mesure inconnue, dans le circuit de la CIA : son précédent président, William J Burns, a été nommé directeur de la CIA.

Les liens douteux ne s’arrêtent pas là. Un partenariat transatlantique composé de l’Université de Columbia, de l’Université de Princeton et de Sciences Po a lancé en 2021 un projet de recherche de 3 ans intitulé Les musulmans en Inde à l’heure du majoritarisme hindou. Il a reçu une subvention de 385 000 $ de la Fondation Henry Luce et est codirigé par Jaffrelot, Bernard Haykel (Princeton) et Manan Ahmed (Columbia).

La Fondation Henry Luce est un cas d’école de philanthropie douteuse. Sa présidente Mariko Silver est une ancienne membre de l’administration Obama (sécurité intérieure et politique internationale) et membre du Council on Foreign Relations. Ce groupe de réflexion influent est financé par les trois grands. Il héberge un programme d’entreprise avec de grandes multinationales (dont les GAFAM) pour mettre en relation les dirigeants du secteur privé avec les décideurs du gouvernement, des médias, des organisations non gouvernementales et du monde universitaire pour discuter de questions à l’intersection de des affaires et de la politique étrangère. Les intérêts qui se chevauchent ne pourraient être plus clairs.

L’intrigue s’épaissit alors. La Fondation Henry Luce travaille avec la Fondation Asie. Leurs conseils d’administration comptent trois membres en commun. Il est intéressant de noter que l’Asia Foundation a été directement créée par la CIA en 1954 pour entreprendre des activités culturelles et éducatives au nom du gouvernement des États-Unis d’une manière qui n’est pas ouverte aux agences officielles américaines. Après des révélations sur son financement en 1966, elle se transforme en organisation à but non lucratif, selon un modèle commun.

Plus tard, tout a été fait pour obtenir son financement direct par le Département d’État américain, car il était jugé extrêmement précieux pour soutenir les intérêts américains en Asie.

Selon les informations disponibles dans le domaine public, le coprésident du conseil d’administration de la Fondation Henry Luce fait également partie du conseil d’administration du Centre Carter, financé par les fondations Gates et Open Society. Le Centre Carter a lancé une nouvelle politique indienne, une initiative visant à sensibiliser les décideurs politiques américains aux questions liées à la démocratie et aux droits de l’homme en Inde. Ce qui est préoccupant, c’est que ces dernières années, l’Inde a connu un déclin significatif des indices mondiaux mesurant la force des normes et pratiques démocratiques. Entre autres, Vinod Jose (qui vient de démissionner de son poste de rédacteur en chef du magazine The Caravan) le conseillera.

Mais le Web s’étend également au monde universitaire indien. Jaffrelot est membre du conseil scientifique du Trivedi Center for Political Data de l’Université d’Ashoka. L’un de ses partenaires est le Center for Policy Research, qui a reçu des subventions de la Asia Foundation et de grandes œuvres philanthropiques. Il a également été décerné par le Département d’État américain. La licence FCRA du Center for Policy Research a été suspendue en mars dernier par le gouvernement du Premier ministre Narendra Modis, à la suite de soupçons de financement étranger irrégulier.

La piste mène enfin au ministère français des Affaires étrangères, qui a créé son propre groupe de réflexion, le Centre d’analyse, de planification et de stratégie (CAPS). Son directeur était auparavant directeur du bureau parisien du Conseil européen des relations étrangères, qui est également contributeur au CAPS. Elle a été fondée grâce à George Soros Open Society Foundations qui s’y est particulièrement impliqué pour sauver l’Europe. Jaffrelot se trouve être consultant permanent au sein du CAPS, ayant ainsi son mot à dire sur la politique étrangère liée à l’Inde. Il a également été récemment entendu par une commission du Sénat français, selon des rapports.

Influencer l’information est la dernière pièce du puzzle. Les opinions hégémoniques sur la politique indienne affichées dans les médias occidentaux sont, en fait, principalement basées sur les travaux de Jaffrelot. Jaffrelot lui-même et son ancienne élève Ingrid Therwath écrivent régulièrement dans des médias indiens de gauche tels que The Wire et Scroll. Barkha Dutt l’a également interviewé. Tous ces noms ont fait surface à la suite de la récente controverse de Newsclick sur un réseau mondial de propagande chinoise, centré sur l’homme d’affaires américain Neville Roy Singham et menant à la philanthropie américaine. P Sainath, qui travaille au sein du think tank Tricontinental financé par Singham, est apparu dans une web-conférence organisée par Jaffrelot. Sans surprise, certains journalistes qui relaient sans relâche le même discours se sont vu proposer des subventions par des fondations philanthropiques.

Vaiju Naravane, professeur à l’Université d’Ashoka qui a travaillé pour des médias indiens et français, a reçu une subvention du World Press Institute, une organisation américaine à but non lucratif financée par les fondations Carnegie, Ford et Open Society, selon l’enquête. Cme Bastin (RFI, Mediapart) et Sébastien Farcis (Libration) sont bénéficiaires du Centre Pulitzer, financé par la Fondation Gates et Rockefeller Philanthropy Advisors.

Le gros gibier est encore plus secret qu’avant. Les leviers d’action sont (presque) toujours légaux.

On pourrait affirmer qu’il est vertueux de financer la recherche à des fins progressistes et que la liberté académique n’est pas compromise. Resterait la question des critères de progrès et des personnes qui les définissent. Les liens exposés suggèrent par ailleurs une convergence d’intérêts politiques et financiers majeurs qui font paraître très naïve la croyance en une recherche désintéressée. Comme le dit la journaliste Frances Stonor Saunders : la propagande la plus efficace est définie comme celle où le sujet avance dans la direction que vous désirez pour des raisons qu’il croit être les siennes.

Selon les propres mots de Jaffrelot, le populisme et ses conséquences en termes d’autoritarisme sont une préoccupation majeure pour lui en tant que citoyen, ainsi que pour les institutions pour lesquelles il travaille. Les inclinations politiques sont toujours en jeu dans la recherche, mais elles posent problème lorsqu’elles répondent à des agendas spécifiques. La recherche éclaire-t-elle l’élaboration des politiques ou est-ce que l’élaboration des politiques dicte les recherches nécessaires ? À tout le moins, une telle concentration du capital et du pouvoir sur les récits entre les mains de quelques personnes seulement devrait susciter des inquiétudes.

Il est regrettable d’assister au déclin des chercheurs fondés sur les études classiques indiennes, dont les travaux seraient moins soumis à une ingérence politique immédiate. Il faudrait un contrepoids aux études politiques. Ce n’est pas un hasard si l’enseignement de l’hindi à Sciences Po a pris fin récemment. Les ambitions hégémoniques n’exigent plus ce type de connaissances, puisque l’agenda a changé. Hier, l’ennemi juré était le communisme. Aujourd’hui, il semble que ce soit une forme de nationalisme. Il est significatif que la Fondation Ford considérait la revitalisation des valeurs autochtones comme un rempart efficace contre le communisme. Ces jours sont révolus. La carte politique dans son ensemble a évolué et un néocommunisme parsemé de luttes intersectionnelles est désormais utilisé contre le consensus culturel nécessaire à la construction de la nation.

Il ne suffirait pas de considérer cette domination comme un néocolonialisme occidental dans le Sud global. Rappelons que lors de la guerre culturelle contre le communisme, l’Europe elle-même était un terrain de jeu pour les fondations philanthropiques. C’est toujours le cas. Mais aujourd’hui, ces puissances sont internationales et ne défendent pas les intérêts nationaux. Ils luttent également contre le nationalisme dans leur pays. C’est une différence majeure avec l’époque coloniale, où l’impérialisme s’appuyait largement sur le nationalisme.

www.actusduweb.com
Suivez Actusduweb sur Google News


Ce site utilise des cookies pour améliorer votre expérience. Nous supposerons que cela vous convient, mais vous pouvez vous désinscrire si vous le souhaitez. J'accepte Lire la suite