En convoquant des élections en France, Macron fait un pari énorme

À première vue, il n’est guère logique de déclencher des élections dans une position de grande faiblesse. Mais c’est ce qu’a fait le président Emmanuel Macron en convoquant des élections législatives anticipées en France, suite à une humiliation de la part de l’extrême droite.

Après que le Rassemblement national de Marine Le Pen et de son protégé populaire Jordan Bardella lui ait infligé une défaite écrasante dimanche aux élections au Parlement européen, M. Macron n’aurait peut-être rien fait. Il aurait également pu remanier son gouvernement, ou simplement changer de cap en contrôlant plus strictement l’immigration et en renonçant aux projets contestés visant à durcir les règles sur les allocations de chômage.

Au lieu de cela, M. Macron, devenu président à 39 ans en 2017 en prenant des risques, a choisi de parier que la France, après avoir voté dans un sens dimanche, en votera dans un autre dans quelques semaines.

Je suis étonné, comme presque tout le monde, a déclaré Alain Duhamel, l’éminent auteur d’Emmanuel le Téméraire, un livre sur M. Macron. Ce n’est pas de la folie, ce n’est pas du désespoir, mais c’est un risque énorme pour un homme impétueux qui préfère prendre l’initiative plutôt que de subir les événements.

Le choc a parcouru la France lundi. La bourse a plongé. Anne Hidalgo, la maire de Paris, ville qui accueillera les Jeux olympiques dans un peu plus de six semaines, s’est dite stupéfaite par une décision troublante. Un coup de tonnerre, tonnait le quotidien Le Parisien à sa Une.

Pour Le Monde, c’était un saut dans le vide. Raphal Glucksmann, qui a guidé les socialistes de centre-gauche renaissants à la troisième place parmi les partis français lors du vote européen, a accusé M. Macron de jouer à un jeu dangereux.

La France est toujours un mystère, son mécontentement et son instabilité perpétuels étant en contradiction avec sa prospérité et sa beauté, mais ce fut une surprise aux proportions inhabituelles. M. Macron, après une cuisante défaite au cours de laquelle le Rassemblement national a remporté 31,37 pour cent des voix contre 14,6 pour cent pour la coalition dirigée par son parti de la Renaissance, a en effet appelé son pays au bluff, se demandant si son apparente volonté de voir l’extrême droite au pouvoir est réel ou un simple défoulement.

Le risque est que dans environ un mois, M. Macron doive gouverner avec M. Bardella, 28 ans, qui représente tout ce qu’il abhorre, comme Premier ministre. Si le Rassemblement national, nationaliste et anti-immigration, obtient la majorité absolue au sein des 577 membres de l’Assemblée nationale, un scénario peu probable, ou s’il apparaît simplement comme le parti de loin le plus fort, ce qui est plus plausible, M. Macron pourrait être obligé d’avaler difficilement et fais ça.

Mme Le Pen, qui ambitionne de remporter la présidence en 2027, s’en remettrait presque certainement à M. Bardella, qui a mené la campagne du parti pour les élections européennes, pour le poste de Premier ministre.

La France serait alors confrontée à la consécration par de hautes fonctions politiques de l’extrême droite, une idée tenue impensable depuis que le gouvernement de Vichy a dirigé la France en collaboration avec les nazis entre 1940 et 1944.

Pourquoi jouer ainsi avec le feu ? Ce n’est pas la même élection, ce n’est pas le même mode de scrutin, ce n’est pas les mêmes enjeux, a déclaré Jean-Philippe Derosier, professeur de droit public à l’université de Lille. Macron estime apparemment que c’est le moins mauvais choix d’avoir sous son contrôle un éventuel Premier ministre du Rassemblement national, plutôt qu’une victoire de Le Pen en 2027.

En d’autres termes, M. Macron, dont le mandat est limité et qui quittera ses fonctions en 2027, flirte peut-être avec l’idée que trois années au pouvoir pour le Rassemblement national le transformeraient d’un parti de protestation en un parti avec de lourdes responsabilités de gouvernement. freinerait son inexorable ascension.

C’est une chose de dénoncer en marge, une autre de diriger un pays lourdement endetté et polarisé, tellement en colère contre le niveau de l’immigration, la criminalité et le coût de la vie que de nombreux Français semblent motivés par le sentiment que ça suffit.

Comme dans d’autres sociétés occidentales, y compris aux États-Unis, un sentiment généralisé d’aliénation, voire d’invisibilité, parmi les personnes vivant en dehors des villes connectées de l’économie de la connaissance, a conduit à un sentiment généralisé selon lequel le système en place doit exploser.

Mme Le Pen a annoncé dimanche la fin de la douloureuse parenthèse mondialiste qui a fait souffrir tant de personnes dans le monde. Étant donné que les principaux partis pro-européens ont remporté environ 60 pour cent des voix aux élections au Parlement européen, malgré la poussée de l’extrême droite, cela semble être une prédiction audacieuse.

La cohabitation, comme l’appellent les Français, entre un président d’un parti et un premier ministre d’un autre, n’est pas rare. Récemment, Jacques Chirac, gaulliste de centre-droit, a gouverné avec un premier ministre socialiste, Lionel Jospin, entre 1997 et 2002. La France survit et M. Chirac est réélu.

Mais jamais auparavant il n’y a eu un tel fossé idéologique, touchant à la conception même des valeurs françaises et à l’importance fondamentale de l’Union européenne pour la liberté du continent, comme il y en aurait entre M. Macron et un Premier ministre du Rassemblement national.

Pour M. Macron, une Europe déjà durement éprouvée par la guerre en Ukraine ne comptera au XXIe siècle que si elle unit et mutualise ses ressources militaires et industrielles. Il considère cette lutte comme existentielle pour le continent, à l’heure où la menace russe s’est accrue.

Pour le Rassemblement national, il est temps que les nations se réaffirment contre le fédéralisme européen et contre la mondialisation. Il veut contrôler strictement les frontières, résister aux mesures écologiques punitives émanant de Bruxelles qui, selon lui, font monter les prix, et empêcher ce qu’il considère comme une dilution, voire une disparition, de l’identité nationale à cause de l’immigration.

M. Macron, en convoquant les élections, a clairement exprimé son point de vue selon lequel la France se trouve à un carrefour historique.

Être Français, c’est relever le défi de son époque quand cela est nécessaire, disait-il. Il s’agit de savoir ce que vaut un vote et ce que ressent la liberté. Agir, quelles que soient les circonstances, avec responsabilité, c’est fondamentalement écrire l’histoire plutôt que d’en être la victime. Ce moment est maintenant.

Ces paroles retentissantes font clairement écho à celles de Charles de Gaulle, qui dissout le Parlement en 1968 après les troubles civils qui ont secoué le pays en mai de la même année. De Gaulle est sorti renforcé du choix de l’ordre par le peuple français.

Mais après sept années au pouvoir, au cours desquelles il a exercé une forme de gouvernement très centralisée et hiérarchique, M. Macron, souvent critiqué comme distant et qui a évité la recherche d’une coalition au Parlement, semble isolé.

Les Républicains de centre-droit et les Socialistes de centre-gauche n’ont montré pour l’instant aucune envie de se joindre à la Renaissance centriste de M. Macron, même si une telle coalition devait être le seul moyen de maintenir l’extrême droite du pouvoir.

Les socialistes participent plutôt aux efforts visant à relancer une alliance qui s’étend jusqu’à l’extrême gauche en vue des élections. Bien sûr, en cas de brèche, ils peuvent changer d’avis mais M. Macron ne peut pas compter là-dessus.

La France est un pays de mécontents, mais M. Macron a provoqué une forme aiguë de ressentiment personnel, a déclaré M. Duhamel. Il a donné à de nombreux Français le sentiment d’être inférieurs et ils détestent cela.

L’animosité à laquelle M. Macron a pu se heurter est telle qu’il aurait de toute façon pu être contraint de dissoudre un Parlement où il ne dispose pas de majorité absolue à l’automne.

Standard & Poors, l’agence de notation américaine, a dégradé la note de la dette française le mois dernier et le gouvernement envisage des coupes budgétaires de plus de 20 milliards de dollars. Après avoir relevé l’âge de la retraite à 64 ans contre 62 l’année dernière à la suite de violentes protestations, M. Macron souhaite désormais freiner les allocations de chômage. Tout cela aurait provoqué une résistance farouche au Parlement.

Au lieu de cela, après une débâcle qui a été plus qu’une défaite, M. Macron a pris les rênes, forcé tous les partis à se bousculer pour préparer les élections à deux tours du 30 juin et du 7 juillet, dicté l’ordre du jour, désorienté tout le monde et fait peut-être le plus gros pari de sa carrière politique.

Il estime qu’une certaine France n’est toujours pas préparée à risquer de céder le pouvoir à Mme Le Pen. C’est l’auteur français Jean Cocteau qui a écrit : Puisque ces mystères nous dépassent, faisons semblant d’en être les organisateurs.

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