Élections en France : que s’est-il passé et quelle est la suite ? | CNN
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Dimanche soir, la joie : les électeurs français ont, une fois de plus, tenu l’extrême droite à l’écart du pouvoir. Lundi matin, l’incertitude : un parlement sans majorité absolue, des alliances fragiles et la menace de prochaines années turbulentes.
Le président français Emmanuel Macron a convoqué des élections législatives anticipées pour clarifier la situation politique. Mais après les résultats surprenants du second tour, la situation est plus trouble qu’elle ne l’a été depuis des décennies.
Alors qu’une vague de soutien à la coalition de gauche du Nouveau Front populaire (NFP) a fait échouer le parti d’extrême droite du Rassemblement national (RN) de Marine Le Pen, la politique française est désormais plus désordonnée qu’elle ne l’était avant le vote.
Alors, qu’avons-nous appris hier soir, qui pourrait être le prochain Premier ministre français, et le pari de Macron a-t-il été payant ?
Après avoir mené le premier tour de scrutin dimanche dernier, le RN était plus proche que jamais des portes du pouvoir et était sur le point de former le premier gouvernement d’extrême droite français depuis le régime collaborationniste de Vichy pendant la Seconde Guerre mondiale.
Mais après une semaine de marchandages politiques, au cours de laquelle plus de 200 candidats de gauche et du centre se sont retirés du second tour pour éviter une division du vote, le NFP, un regroupement de plusieurs partis allant de l’extrême gauche aux plus modérés, est sorti avec le plus de sièges au second tour décisif.
Le NFP a remporté 182 sièges à l’Assemblée nationale, ce qui en fait le groupe le plus nombreux sur les 577 que compte le parlement. L’alliance centriste d’Emmanuel Macron, Ensemble, qui était loin derrière en troisième position au premier tour, a réalisé une forte remontée pour remporter 163 sièges. Et le RN et ses alliés, bien qu’en tête au premier tour, ont remporté 143 sièges.
Cela signifie-t-il que le NFP a remporté les élections ? Pas tout à fait. Bien que la coalition ait obtenu le plus grand nombre de sièges, elle est loin d’avoir atteint les 289 sièges nécessaires pour une majorité absolue, ce qui signifie que la France se retrouve désormais avec un parlement sans majorité absolue. Si cela a été une victoire pour quelque chose, c’est bien pour le cordon sanitaire, le principe selon lequel les partis traditionnels doivent s’unir pour empêcher l’extrême droite de prendre le pouvoir.
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C’était censé être un sacre. Des foules de sympathisants s’étaient entassées dans les salles de réunion du parti RN à Paris et dans ses antennes dans tout le pays, pour assister à un moment que beaucoup pensaient avoir mis des décennies à préparer : la confirmation que leur parti, et sa politique anti-immigrés, longtemps taboue, avait remporté le plus grand nombre de sièges au parlement français.
Mais les choses n’ont pas été aussi simples. L’ambiance s’est envenimée lorsque les sympathisants ont vu le RN retomber à la troisième place. Jordan Bardella, le leader de 28 ans choisi par Le Pen pour redorer le blason du parti et le débarrasser de ses racines racistes et antisémites, s’est montré dyspeptique. Il a dénoncé les accords électoraux dangereux conclus entre le NFP et Ensemble, qui ont privé le peuple français d’un gouvernement dirigé par le RN.
En décidant de paralyser délibérément nos institutions, Emmanuel Macron a désormais poussé le pays vers l’incertitude et l’instabilité, a déclaré Bardella, qualifiant le NFP d’alliance du déshonneur.
Kevin Coombs/Reuters
C’est un Jordan Bardella déçu qui s’exprime lors d’une soirée électorale au siège du RN à Paris.
Il ne faut cependant pas sous-estimer le succès du RN. Lors des élections de 2017, lorsque Macron est arrivé au pouvoir, le RN n’avait remporté que huit sièges. En 2022, il a grimpé à 89 sièges. Lors du scrutin de dimanche, il en a remporté 125, ce qui en fait le plus grand parti individuel. Cette unité signifie qu’il restera probablement une force puissante au prochain parlement, tandis que la solidité de la coalition de gauche reste à tester.
La gauche restera-t-elle unie ?
Il y a un mois, le NFP n’existait pas. Aujourd’hui, il constitue le plus grand bloc parlementaire français et pourrait fournir à la France son prochain Premier ministre. Il a choisi ce nom pour tenter de ressusciter le Front populaire originel qui a empêché l’extrême droite de prendre le pouvoir en 1936. Les résultats de dimanche montrent qu’il a de nouveau réussi.
Mais si elle a atteint son objectif fondateur, il n’est pas certain que cette coalition, vaste et potentiellement conflictuelle, puisse tenir. Le bloc assemblé à la hâte comprend plusieurs partis : le parti d’extrême-gauche La France insoumise ; les socialistes ; les écologistes ; le parti de centre-gauche Place Publique et d’autres.
Cette hydre à plusieurs têtes ne parle pas d’une seule voix. Chaque parti a célébré les résultats lors de ses propres événements de campagne, plutôt qu’ensemble. Deux de ses figures les plus éminentes, Jean-Luc Mlenchon, le leader populiste de La France insoumise, et Raphaël Glucksmann, le leader plus modéré de Place Publique, ne se parlent guère.
Les désaccords sur les politiques économiques et étrangères pourraient déborder, car les plans de dépenses expansifs du NFP, qui incluent l’augmentation du salaire minimum, le plafonnement du prix de certains aliments et de l’énergie et l’abandon des réformes des retraites de Macron, entrent en conflit avec les règles budgétaires restrictives de l’Union européenne et la nécessité pour la France de maîtriser son déficit croissant.
Emmanuel Dunand/AFP/Getty Images
Des foules composées en majorité de jeunes se sont rassemblées place de la République à Paris pour célébrer la lutte contre l’extrême droite.
Macron avait déclaré un jour que ses idées étaient trop complexes pour les journalistes. Pourtant, sa décision d’organiser des élections anticipées trois ans plus tôt que nécessaire, alors que son parti est très en retard dans les sondages, a déconcerté les analystes politiques les plus avisés, pris au dépourvu même ses plus proches alliés et laissé de nombreux électeurs français perplexes.
Macron a appelé à voter quelques minutes après que son parti a été battu par le RN aux élections européennes du mois dernier. Bien que les résultats européens n’aient pas nécessairement d’incidence sur la politique intérieure, Macron a déclaré qu’il ne pouvait ignorer le message que lui ont envoyé les électeurs et qu’il souhaitait clarifier la situation.
Mais les résultats de dimanche laissent penser qu’il a obtenu l’effet inverse. Pour le duo Philippe, ancien Premier ministre français et allié de Macron, ce qui devait être une clarification a en fait conduit à un grand flou. Bien que le parti de Macron se soit redressé après le premier tour, il a perdu une centaine de sièges par rapport au scrutin de 2022.
Mohammed Badra/Pool/AFP/Getty Images
Emmanuel Macron, accompagné de son épouse Brigitte Macron, à droite, tient son bulletin de vote pour voter au second tour dans un bureau de vote du Touquet, dans le nord de la France.
La première décision d’Emmanuel Macron est de nommer un nouveau Premier ministre. Il a déjà retardé ce processus en refusant la démission de Gabriel Attal, lui demandant de rester en poste pour le moment.
En règle générale, le président français nomme un Premier ministre issu du plus grand bloc parlementaire. Mais on ne sait pas exactement de quel parti au sein du NFP il s’agira. Le parti de M. Melchon a remporté le plus de sièges au sein du NFP, mais les alliés de Macron ont refusé à plusieurs reprises de travailler avec la France insoumise, affirmant qu’elle est tout aussi extrême et donc aussi inapte à gouverner que le RN.
Pour obtenir la majorité nécessaire à l’adoption des lois, le NFP devra probablement conclure des alliances avec Ensemble, alors que deux coalitions entreront dans une coalition encore plus large, à cheval sur un vaste terrain idéologique. Trouver un terrain d’entente sera une tâche ardue, ce qui signifie qu’une impasse est probable. Sans majorité claire, un gouvernement minoritaire risque d’être confronté à des votes de défiance dès ce mois-ci, ce qui pourrait conduire à ce que plusieurs gouvernements se remplacent.
Une solution pourrait être un gouvernement technocratique, qui impliquerait que Macron nomme des ministres sans affiliation politique pour gérer les affaires courantes. Mais cela peut paraître antidémocratique et attiser encore plus les flammes du populisme. Il suffit de regarder l’Italie : après le mandat de Mario Draghi, le technocrate par excellencele pays a élu son gouvernement le plus d’extrême droite depuis Benito Mussolini. Si la France a évité pour l’instant un gouvernement d’extrême droite, la menace du RN devrait rester forte.