« De nombreux outils juridiques sont disponibles » : lutter contre le harcèlement sexuel en France aujourd’hui

Le 2 novembre 1992, le Parlement français a approuvé à l’unanimité une loi criminalisant pour la première fois le harcèlement sexuel. Cette loi qui s’applique sur le lieu de travail, les espaces publics et même en ligne évolue constamment pour mieux identifier les situations et protéger les victimes.

Depuis plusieurs jours, des streameuses françaises expriment leur frustration face au harcèlement sexuel en ligne qu’elles subissent depuis des années sous forme de photos obscènes, de menaces et d’insultes. La vidéaste Maghla, connue pour son jeu vidéo live sur Twitch, a posté une longue série de tweets dans lequel elle décrit, à l’aide de photos et de captures d’écran, les photomontages pornographiques qui ont été faits d’elle.

Le harcèlement sexuel en France, qu’il ait lieu en ligne, dans les espaces publics ou au travail, est une infraction pénale passible de trois ans de prison et de 45 000 d’amende. La définition exacte du harcèlement sexuel est inscrite dans la loi française depuis le 2 novembre 1992 mais elle n’a cessé d’évoluer depuis 30 ans pour lever les incertitudes juridiques.

Relations hiérarchiques

« Les militantes de l’Association européenne contre les violences faites aux femmes au travail (AVFT) ont mis le harcèlement sexuel à l’agenda politique dans les années 1980 et 1990. Elles ont aidé les victimes à déposer leurs premières plaintes », explique Françoise Picq, historienne féministe et vice-présidente de la National Association d’études féministes (Anef).

La notion de harcèlement sexuel introduite pour la première fois en droit pénal français le 22 juillet 1992 a été définie comme : « le fait de harceler une autre personne par ordre, menace ou contrainte dans le but d’obtenir des faveurs à caractère sexuel ».

Picq souligne que la loi ne concernait que le harcèlement commis par les supérieurs au travail. « A cette époque, les féministes françaises ne voulaient pas suivre le modèle américain : là-bas, la norme n’était pas de permettre aux étudiantes d’être seules dans le bureau d’un professeur », explique l’historienne. « Mais en France, il s’agissait surtout de sanctionner les personnes qui commettaient du harcèlement sexuel dans le cadre d’une relation hiérarchique au travail. »

Redéfinir les termes

En 1998, les mots « pressions sérieuses » ont été ajoutés au texte. Puis, en 2002, la définition a été affinée et caractérisée par le seul fait de « harceler une autre personne dans le but d’obtenir des faveurs à caractère sexuel ». Désormais, le harcèlement sexuel de toute nature, qu’il soit commis par des collègues de travail, des inconnus dans la rue ou des personnes en ligne, est considéré comme un délit.

L’objectif était d’harmoniser la définition du harcèlement sexuel avec celle du harcèlement moral, introduite en droit français en 2002. Contrairement au harcèlement sexuel, le harcèlement moral suppose une relation de travail.

Un vide juridique

Les événements de mai 2012 ont choqué la nation lorsque le Conseil constitutionnel a abrogé l’article du Code pénal sur le harcèlement sexuel, estimant que sa définition était trop évasive et donc inconstitutionnelle. Pendant quelques mois, les victimes de harcèlement sexuel ont été laissées dans un vide juridique.

« On avait un gros problème avec le droit pénal à l’époque, aucune des procédures en cours n’aboutissait », raconte Nathalie Leroy, avocate spécialisée en droit du travail et enquêteuse à l’HER, cabinet spécialisé dans les affaires de harcèlement moral et sexuel au travail. . Elle poursuit : « Certaines personnes accusées de harcèlement sexuel, dont la définition était jugée trop vague, ont été acquittées. Les victimes en ont été atterrées. »

Le 6 août 2012, la nouvelle loi sur le harcèlement sexuel a été promulguée après avoir été votée lors d’une session d’urgence. Le texte donne une nouvelle définition du harcèlement sexuel, établit des circonstances aggravantes et renforce les peines associées.

La définition pénale a évolué en 2018, la dernière version définissant le harcèlement sexuel comme « le fait d’imposer de manière répétée à une personne des propos ou un comportement à connotation sexuelle ou sexiste ».

Au travail

Bien que le harcèlement sexuel au travail puisse être difficile à identifier, « il faut tenir compte de la nature des actes commis, de leur fréquence, de leurs effets sur la victime et/ou sur l’objectif de l’auteur », précise Leroy. « Aujourd’hui, il suffit que le comportement ait une connotation sexuelle, ce qui n’exige pas qu’il soit explicitement et directement de nature sexuelle. »

Le Code du travail français s’aligne désormais sur le Code pénal français. Depuis le 31 mars 2022, « vous êtes en situation de harcèlement sexuel au travail si la première personne fait une remarque sexiste, du type ‘il y a du monde sur le balcon’ [a French expression meaning buxom]et une autre personne poursuit avec un commentaire tel que « Eh bien, étant donné la façon dont vous vous habillez ». Avant l’adoption de ce texte, la même personne aurait dû répéter la remarque sexiste. Ce n’est plus le cas. »

Entre 2017 et 2019, une étude menée par l’Organisation internationale du travail (OIT) sur 4,5 millions de salariés français a révélé que 52 % des femmes avaient été victimes de harcèlement sexuel au travail. Pour les hommes, le chiffre était de 27 %. Seulement 4 % de ces femmes avaient porté plainte et 1 % des hommes.

Selon l’avocat, « la prévention est la clé ». Le Code du travail stipule que l’employeur doit prendre toutes les mesures nécessaires pour prévenir, faire cesser et sanctionner le harcèlement sexuel. S’ils n’ont pas respecté cette obligation, « ils peuvent être assignés devant les prud’hommes en dommages et intérêts ».

Dans des lieux publics

Mais comment prévenir le harcèlement sexuel en dehors du travail ?

La plateforme en ligne Twitch, qui défraye la chronique suite à une vague d’allégations sexuelles de ses streameuses, a durci sa politique en janvier 2021. Le harcèlement sexuel, jusque-là interdit sur la plateforme mais sans définition, est désormais défini comme faire des commentaires répétés, obscènes ou explicites sur l’apparence physique ou la sexualité, envoyer des images ou des vidéos de nus non désirées, etc. La prévention ne suffit évidemment pas à protéger les vidéastes.

Et dans les espaces publics ? Selon l’historienne féministe Picq, le mouvement #MeToo en 2017 « a radicalement changé le niveau de tolérance manifesté envers les comportements relevant du harcèlement sexuel » dans les espaces publics. Mais les victimes ne portent souvent pas plainte par manque de preuves ou par crainte des conséquences. « Ma génération n’a pas toujours voulu faire appel à l’autorité de l’État, et nous ne le pouvions pas. Aujourd’hui, de nombreux outils juridiques sont disponibles pour nous aider. »

Enfin, la loi « Schiappa », du nom de l’ancienne ministre française de l’égalité femmes-hommes, Marlène Schiappa, a été introduite en 2018, faisant de l’outrage sexiste verbal un délit dans le but de réduire le soi-disant « harcèlement de rue », selon Picq. Quatre ans après son introduction, la loi montre ses limites. De 2020 à 2021, les services de sécurité ont recensé 3 700 cas d’outrage sexiste en France. En réalité, ce chiffre est bien plus élevé puisque 81 % des femmes en France ont été victimes de harcèlement sexuel dans un lieu public, selon un sondage Ipsos publié en juillet 2020.

Cet article a été traduit de l’original en français.

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