Comment la France a fait pression contre la proposition de la Commission sur les droits des travailleurs des plateformes
La France a fortement fait pression sur la Commission européenne sur les droits des travailleurs des plateformes, favorisant la position des plateformes et suscitant davantage de craintes de collusion entre les décideurs français et les lobbyistes de l’industrie, selon des documents obtenus par EURACTIV.
Les documents révèlent comment la France a poussé la Commission européenne à abandonner la présomption d’emploi dans la directive sur les travailleurs des plateformes avant même la publication de la proposition, ce à quoi les plateformes, comme Uber, sont catégoriquement opposées.
Les autorités françaises ne sont pas favorables à une présomption réfragable de relation de travail, indique une lettre de la représentation permanente de la France auprès de l’UE adressée à la Commission.
La présomption irait à l’encontre d’un [French] modèle juridique qui préserve l’autonomie et la flexibilité des travailleurs indépendants, et s’articule avec le modèle économique des plateformes.
La lettre, rédigée par la conseillère aux affaires sociales de la représentation permanente de la France, Emilie Marquis-Samari, a été envoyée le 16 septembre 2021.
Le même jour, le Parlement européen a adopté une résolution appelant à créer une présomption réfragable de relation de travail, qui faciliterait la classification correcte des travailleurs de plateforme et renverserait la charge de la preuve.
En termes simples, la présomption entre une plateforme et un travailleur serait celle d’une relation employé-employeur, sauf preuve contraire de la part de la plateforme, ce à quoi la France s’oppose.
Marquis-Samari a également fait part de ses inquiétudes quant au renversement de la charge de la preuve, qui entraînerait une multiplication des affaires portées devant les tribunaux, car les relations contractuelles attendues de 5,5 millions de travailleurs sont actuellement mal classées, selon les estimations de la Commission.
Au lieu de cela, la lettre affirme que le dialogue social est essentiel pour préserver l’activité économique des plateformes avec une amélioration des droits sociaux et des conditions de travail.
En outre, il encourage la Commission à reconnaître la nature hétérogène des travailleurs des plateformes et définit des critères communs pour distinguer les travailleurs qui détiennent la majeure partie de leurs revenus via les plateformes, et ont donc besoin de protections sociales supplémentaires, et ceux qui bénéficient d’une plus grande autonomie en matière de revenus.
La France se bat contre les critères européens pour déclencher la présomption
La proposition de directive de la Commission, publiée en décembre 2021, n’a pas pris en compte les préoccupations de la France. Au lieu de cela, il est allé plus loin que le Parlement : l’article 4 de la proposition, qui crée une présomption légale, définit un ensemble de cinq critères qui indiquent que la plateforme numérique de travail contrôle l’exécution du travail. La réalisation d’au moins deux indicateurs devrait déclencher l’application de la présomption.
Les critères comprennent la fixation de la rémunération, des règles d’apparence contraignantes telles qu’un uniforme, la surveillance des performances par des moyens électroniques, la restriction de la liberté d’organiser ses horaires de travail ou la possibilité de travailler pour un autre client.
Les travailleurs reclassés bénéficieront de meilleures conditions de travail. Dans le même temps, les véritables indépendants bénéficieront de plus d’autonomie et d’indépendance grâce aux plateformes numériques de travail adaptant leurs pratiques pour éviter tout risque de reclassement, a déclaré la Commission.
Une note confidentielle du Secrétariat général français aux Affaires européennes, diffusée en juillet 2022, consultée par EURACTIV, montre à quel point la proposition de la Commission est éloignée des intérêts français.
Des modifications du contenu, du nombre et de l’applicabilité des critères proposés sont nécessaires pour limiter la présomption d’emploi aux cas réels de subordination et éviter les risques pour notre législation et notre modèle économique de plateformes, affirme la note.
Selon le document, la France espère un ralentissement des négociations sous la présidence suédoise du Conseil de l’UE à partir de janvier 2023, qui s’oppose à la directive.
Cependant, la présidence espagnole [from July 2023]qui sont déjà très avancés sur la question au niveau national, pourraient choisir d’écarter considérablement la directive de la législation française, ajoute la note.
La représentation permanente a refusé la demande de commentaires d’EURACTIV.
Uber Files se cache en arrière-plan
Dans une note rendue publique en février 2022, l’association professionnelle Business Europe a écrit que la présomption réfragable d’emploi et les cinq critères au niveau de l’UE [] n’est pas une approche équilibrée et acceptable, car elle conduirait à dé-factoriser le statut d’employé pour les travailleurs des plateformes.
Cette position soulève des inquiétudes quant à la proximité de la France avec les lobbies de la plateforme après que le scandale Uber Files a révélé en juillet 2022 que le président français Emmanuel Macron avait été un partenaire de choix pour soutenir activement la mise en place de la société américaine de covoiturage Ubers en France lorsqu’il était ministre de l’Économie, entre 2014 et 2016 contre les décisions prises par son propre gouvernement.
Une commission d’enquête officielle sera créée à l’Assemblée nationale française plus tard ce mois-ci et une audition sur la question devrait être organisée au Parlement européen en octobre.
Des négociations parallèles au sein du Conseil de l’UE et du Parlement européen reprennent cette semaine, la présomption réfragable étant au centre des discussions.
En juillet, le président tchèque a fait circuler une note, consultée par EURACTIV, demandant aux États membres de s’entendre sur une approche commune quant à la façon dont les critères de la Commission déclencheraient la présomption d’emploi.
[Edited by Alice Taylor/Luca Bertuzzi/Nathalie Weatherald]