Comment être parisien : en route pour les délices gastronomiques
Stephen Clarke négocie les règles de restauration sur une ancienne voie ferrée.
Même après avoir vécu près de 30 ans parmi les Parisiens, je trouve qu’ils peuvent encore me prendre au dépourvu. Paris consacre beaucoup d’efforts et d’argent à sa végétalisation : les pistes cyclables apparaissent partout, les bancs sont désormais souvent constitués d’anciennes traverses de chemin de fer, et les bâtiments désaffectés retrouvent une nouvelle vie. Certaines d’entre elles sont les anciennes gares de la Petite Ceinture (littéralement : petite ceinture), le chemin de fer circulaire qui est l’ancêtre du Mtro.
Au milieu du XIXe siècle, une ligne de train de 30 km a été construite autour des limites de la ville pour aider les travailleurs à se déplacer sans passer par le centre-ville récemment rénové. Le baron Haussmann ne voulait pas que ses nouveaux boulevards chics soient encombrés de navetteurs en vêtements de travail minables. Mais la Petite Ceinture a été progressivement remplacée par le métro et les lignes de bus, et a finalement été mise hors service en 1934, après quoi elle est tombée dans un délabrement pittoresque, devenant un refuge pour les mauvaises herbes, la faune, les graffeurs et les sans-abri.
Couloirs verts
Depuis une quinzaine d’années, la Ville transforme des tronçons de la ligne en passerelles publiques coules vertes, ou couloirs verts et transformant les anciennes gares en cafés à l’écart de l’agitation urbaine. L’un des projets les plus récents le long de la Petite Ceinture a été la création d’une ferme urbaine dans mon quartier, à la périphérie nord de la ville.
A côté des plantations saisonnières d’herbes, de légumes et de framboises très savoureuses (dont on peut discrètement se servir), il y a maintenant une belle bâtisse en bois qui abrite des sans-abris. Et le potager alimente en produits frais un nouveau restaurant qui attire tous les locaux branchés comme moi bien sûr.
La plupart des serveurs sont des hipsters (pilosité faciale obligatoire pour les hommes), c’était donc le dernier endroit où je m’attendais à être pris au dépourvu par une technique stéréotypée de serveurs parisiens. Quatre d’entre nous voulaient y dîner. C’était une soirée douce, donc la terrasse était, sans surprise, presque pleine. C’est l’étiquette parisienne standard de vérifier auprès des serveurs avant de prendre une table dans un restaurant, alors nous avons demandé à un jeune homme à l’air cool s’il serait d’accord d’aller s’asseoir à une table au bord de la terrasse, près de l’ancien chemin de fer. Bien sr, nous dit-il en nous faisant signe de partir dans cette direction. Nous nous sommes dûment assis et avons attendu les menus, les couverts et peut-être quelque chose à manger et à boire.
Pendant cinq ou dix minutes, rien ne se passa, même si un autre serveur, plus ancien, à en juger par sa barbe plus longue, passa à proximité pour livrer les commandes. Enfin, même si c’était un endroit hipster donc ce n’est pas cool d’être pas cool, j’ai attiré son attention, j’ai souri, j’ai appelé bonsoir (toutes les tactiques obligatoires si vous voulez qu’un Parisien vous serve) et j’ai levé la main, lui faisant un signe microscopique , ce qui est tout ce qu’on peut faire avec un serveur français si l’on veut que les relations soient cordiales. Il est venu, a froncé les sourcils et a demandé : Qui a dit que vous pouviez vous asseoir là ?
Entente cordiale
Je ne pouvais pas y croire. J’ai été tenté de demander, où pensez-vous que nous sommes, le 7ème arrondissement ? (le quartier chic du centre de Paris où vivent les vieux riches et mangent les ministres). Je n’avais été témoin de ce genre d’attitude que chez des hommes portant des nœuds papillon et des tabliers noirs, travaillant dans des restaurants où les nappes sont tellement amidonnées qu’elles n’ont guère besoin d’une table pour les tenir. Mais tout ce que j’ai dit, c’est que votre collègue nous a dit de nous asseoir ici.
Et puis je lui ai fait un sourire qui impliquait que nous n’étions ni insultés ni intimidés par son attitude, alors autant continuer notre nouvelle vie ensemble. Je vous apporterai le menu avec les spéciaux du soir. Voulez-vous boire quelque chose? il a dit. Aucune excuse, mais nous avions été acceptés. Ce fut une expérience un peu ennuyeuse, mais rassurante, car c’était un signe certain que ce nouveau restaurant sur un tronçon de chemin de fer récupéré était devenu instantanément, et extrêmement, parisien.
Extrait du magazine France Aujourd’hui
Crédit photo principal : Le quartier Stephens abrite une nouvelle ferme urbaine et un restaurant sur l’ancienne voie ferrée désaffectée Le Passage niveau de nuit/Facebook, Marie Liss