Bilan : les contestations artistiques en France
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Conflits artistiques
i Titre dans l’art
Chaque transfert d’une œuvre crée un nouveau titre (indépendant de l’ancien titre) qui découle de la simple possession de l’œuvre selon un principe fondamental de la loi française qui stipule que la possession vaut titre en ce qui concerne les biens mobiliers.13 Les tribunaux recourent régulièrement à ce principe pour statuer sur les litiges de titre à l’art. Récemment, la Cour suprême a annulé une décision de la Cour d’appel qui avait ordonné au parquet de restituer une peinture à l’huile à la victime d’un vol sans analyser si un propriétaire ultérieur qui avait acheté la peinture, l’avait assurée et avait tenté de la vendre aux enchères pouvait pas prévaloir en titre en application de la règle.14 Appliquant la même règle, la cour d’appel de Paris a rejeté la demande d’héritiers de l’auteur de bande dessinée français Jean Giraud contre un ami galeriste, estimant que les héritiers n’avaient pas réussi à réfuter la possession de bonne foi et la présomption de propriété du galeriste au vu des circonstances dans lesquelles elle était entré en possession des dessins faisant l’objet de la revendication de titre.15
Une exception notable à cette règle est qu’un possesseur de bonne foi ne peut valablement opposer un nouveau titre à l’État ou aux collectivités publiques françaises lorsque ces dernières réclament la restitution de biens culturels appartenant au domaine public (c’est-à-dire des biens appartenant à un établissement public qui présentent un intérêt particulier d’un point de vue historique, artistique, archéologique, scientifique ou technique). Par exemple, dans une décision récente, la Cour d’appel de Colmar a jugé que la ville de Colmar avait réussi à établir que les vitraux mis en vente chez Sotheby’s faisaient partie du domaine public de la ville et, à ce titre, étaient inaliénables et imprescriptibles et donc déclarés que le possesseur ne pouvait valablement s’opposer à un titre de possession de bonne foi.16
La bonne foi est toujours présumée.17 Un possesseur est réputé être de bonne foi s’il se considère comme ayant droit à la propriété, et cette croyance doit être raisonnable.
Dans le cadre d’une vente, la propriété passe du vendeur à l’acheteur dès lors qu’ils se sont mis d’accord sur l’œuvre à vendre et sur son prix de vente. Il en est ainsi même si l’œuvre n’a pas encore été livrée ni le prix payé.18 Toutefois, l’acheteur et le vendeur peuvent convenir contractuellement de différer le transfert de propriété jusqu’au paiement ou à la livraison de l’œuvre, par exemple. Aux enchères, la propriété passe du vendeur à l’acheteur au moment où le commissaire-priseur déclare le lot vendu au plus offrant, bien que de nombreuses maisons de vente aux enchères dans leurs conditions de vente reportent contractuellement le transfert de propriété jusqu’au paiement intégral du prix par l’acheteur. et les fonds ont été dégagés.
L’acheteur n’a aucune obligation légale formelle d’enquête quant au titre. Toutefois, l’acheteur sera considéré comme étant de mauvaise foi s’il a des raisons de douter ou s’il a fait preuve d’une négligence grave dans l’appréciation du titre du vendeur ; par exemple, en ne menant pas de recherche fondamentale sur les bases de données disponibles sur les œuvres volées.
ii Art et biens culturels pillés par les nazis
Les revendications sur les biens artistiques et culturels pillés par les nazis sont toujours régies par une ordonnance du 21 avril 194519 adoptée après la Seconde Guerre mondiale. Le demandeur d’une revendication d’art pillé par les nazis doit d’abord établir la propriété de son ancêtre sur l’objet, et cela devient de plus en plus difficile avec le temps. Le demandeur doit également prouver que son ancêtre a été injustement dépossédé pendant l’occupation nazie. La dépossession illicite peut être présumée sur la base d’éléments contextuels, tels que la date de la transaction (pendant l’occupation nazie en France), l’identité des parties à la transaction (telles que les parties connues pour être impliquées dans le régime nazi) et les conditions de la vente (si la vente a été faite sous menace de violence, par exemple). Enfin, le demandeur doit démontrer qu’il n’a pas été en mesure d’intenter une action avant le 31 décembre 1949.
Dans une décision du 1er juillet 2020,20 la Cour de cassation a confirmé les juges de première instance qui avaient ordonné la restitution d’un tableau de Camille Pissaro, La Cueillette des pois, aux héritiers d’un homme d’affaires injustement dépossédé de ses œuvres pendant l’occupation nazie en France. La Cour a rappelé que les acquéreurs ultérieurs d’un bien reconnu pillé ne peuvent en devenir les propriétaires légaux, même s’ils l’achètent de bonne foi. Les mêmes héritiers n’ont cependant pas réussi à établir qu’un autre tableau de Pissaro, La Fileuseétait l’un des objets pillés dans l’appartement de leur grand-père pendant l’occupation nazie et leur revendication de titre contre la famille propriétaire a été rejetée.21
Le 30 septembre 2020, la cour d’appel de Paris a également ordonné à l’État français de restituer trois tableaux d’André Derain aux héritiers d’un collectionneur d’art juif, annulant une décision de première instance qui avait conclu qu’il y avait « des incertitudes persistantes quant à l’identification des tableaux ». ‘.22 La cour d’appel de Paris a jugé le contraire, estimant qu’il existait des «indices précis, sérieux et concordants» que les trois tableaux avaient bien été pillés et que leur vente devait donc être annulée en application de l’ordonnance du 21 avril 1945.
Le 21 février 2022, une loi spécifique d’aliénation a été adoptée, qui a édicté que 15 peintures ont cessé de faire partie d’une collection publique française, dont des peintures de Klimt, Utrillo et Chagall. Les personnes publiques disposaient d’un an pour restituer les tableaux aux héritiers des victimes des pillages de la Seconde Guerre mondiale, et dont les tableaux avaient été renvoyés en France après 1945 et inclus dans les collections publiques.23
iii Délais de prescription
Les créances artistiques en France sont soumises aux règles générales relatives aux délais de prescription. Le principe en droit français est que le droit de propriété est imprescriptible.24 En théorie, la demande de restitution d’un propriétaire dépossédé n’est donc soumise à aucun délai de prescription.
En pratique, parce que la loi française prévoit que la possession de bonne foi crée immédiatement un nouveau titre indépendant de l’ancien titre,25 les demandes de restitution sont souvent infructueuses malgré leur caractère théoriquement imprescriptible. Dans une exception notable, un nouveau titre ne sera créé qu’après une période de trois ans si l’œuvre a été perdue ou volée.26
Ni les demandes d’œuvres d’art pillées par les nazis ni les demandes de restitution d’entités publiques pour des œuvres d’art appartenant au domaine public ne sont soumises à des limitations dans le temps, ni ne peuvent être valablement opposées pour possession adversative.
iv Règlement extrajudiciaire des différends
La législation française encourage de plus en plus le recours aux modes alternatifs de règlement des litiges (ADR). Par exemple, suite à l’adoption d’un décret le 11 décembre 2019,27 toute demande de règlement d’un litige (et les litiges artistiques ne font pas exception) dont l’enjeu financier est inférieur à 5 000 est irrecevable en justice si elle n’a pas fait l’objet au préalable d’une tentative de conciliation ou de médiation. La Cour suprême administrative a récemment annulé l’article 750-1 du code de procédure civile, estimant que certains critères juridiques étaient insuffisamment définis dans la loi, et a abrogé l’article à compter du 22 septembre 2022.28 Malgré cette décision, une clause de liquidation obligatoire sera nécessairement rétablie dans un proche avenir une fois que le législateur aura révisé les critères et la formulation des conditions.
Le droit français est également très favorable à l’arbitrage. Paris est un centre d’arbitrage reconnu, notamment parce qu’il est le siège de la Cour d’arbitrage de la Chambre de commerce internationale.
Néanmoins, le recours à l’arbitrage ou à d’autres mécanismes de MARC apparaît encore relativement rare en France dans le cadre des litiges artistiques, notamment parce que les professionnels de l’art prévoient presque toujours la compétence exclusive des tribunaux français dans leurs contrats ou conditions générales de vente.
Il n’y a pas d’organisations ou d’institutions spécialisées en ADR spécialisées dans les questions d’art en France.