Avis | La France est au bord de quelque chose de terrifiant
Quoi qu’il arrive ensuite, cela restera comme l’un des paris les plus fous de l’histoire moderne de la France. La décision du président Emmanuel Macron de dissoudre l’Assemblée nationale et d’organiser des élections législatives anticipées les 30 juin et 7 juillet a donné à l’extrême droite sa meilleure chance de gouverner la France pour la première fois depuis le régime de Vichy de la Seconde Guerre mondiale.
Cette décision a stupéfié la classe politique du pays, y compris les macronistes de haut rang, dont les plans du président auraient été fortement gardés. Et pour une grande partie de la France, la décision reste perplexe. Pour ceux qui ont le plus à perdre de l’extrême droite au pouvoir, en particulier les immigrés et les descendants d’immigrés récents, la nouvelle est carrément terrifiante. M. Macron, qui a l’habitude de faire fi des idées reçues, espèrera sûrement que cette décision lui sera bénéfique. Mais ne vous y trompez pas : la France est en danger.
À bien des égards, l’agenda intérieur de M. Macron était déjà en crise. Depuis que les élections législatives de 2022 ont privé son alliance électorale d’une majorité à l’Assemblée nationale, sa coalition a été contrainte de chercher le soutien d’autres partis, notamment les Républicains de droite. Parfois, le gouvernement contournait complètement le Parlement. Mais pour l’essentiel de son travail, l’administration dépendait du soutien des Républicains.
Le triomphe historique du Rassemblement national de Marine Le Pens aux élections européennes de dimanche, au cours desquelles son parti a obtenu 31 pour cent des voix, soit plus du double de celui du parti du président, a menacé cet arrangement. Sans dissolution de l’Assemblée nationale, le Rassemblement national aurait continué à accroître la pression sur les Républicains, dans le but de séduire les électeurs conservateurs et de punir les dirigeants républicains pour leur soutien tacite au président. La perspective d’une présidence boiteuse n’aurait fait que croître.
Les nouvelles élections sont une tentative de sauver le deuxième mandat de M. Macron. Et il peut sincèrement croire que les électeurs lui apporteront une nouvelle majorité parlementaire, en espérant que sa base d’électeurs âgés et riches se présentera une fois de plus aux urnes en bien plus grand nombre que les électeurs jeunes et ouvriers, moins favorables à sa présidence. L’animosité persistante entre divers partis de gauche et la crainte généralisée d’une arrivée au pouvoir de l’extrême droite pourraient également jouer en sa faveur.
Mais il existe une manière plus cynique de considérer le pari de M. Macron. Alors que l’extrême droite française continue de faire valoir ses diverses obsessions, propulsées par un paysage médiatique nouvellement sympathique et, dans certains cas, même par des textes législatifs inspirants, elle est de plus en plus favorisée pour remporter l’élection présidentielle de 2027. Dans ce contexte, la tactique de M. Macron peut également être considérée comme une tentative de faire dérailler la marche du Rassemblement national vers le Palais de l’Élysée en forçant, contre-intuitivement, le parti à gouverner.
En d’autres termes, cette décision pourrait être une ultime tentative pour démystifier l’attrait contestataire du parti en l’introduisant dans le monde réel et désordonné de l’élaboration des politiques, probablement dans le cadre d’une coalition plus large. Selon cette théorie, même la perspective que le Rassemblement national obtienne la majorité absolue et nomme son propre Premier ministre peut être considérée comme une sorte de sacrifice louable : mieux vaut avoir le Premier ministre Jordan Bardella, l’étoile montante du Rassemblement national, que Le président Le Pen.
Un tel scénario est loin d’être improbable, car il y a de nombreuses raisons de croire que le parti de M. Macron souffrira lors des élections de cet été. D’une part, il est extrêmement impopulaire. Une grande partie du pays le considère comme un dirigeant déconnecté de la réalité qui favorise les intérêts des riches, et les deux dernières années n’ont pas aidé sa cause. Après un premier mandat tumultueux, il a entamé son second en faisant adopter un relèvement âprement contesté de l’âge de la retraite et en réprimant les allocations de chômage. Aujourd’hui, ses taux d’approbation oscillent autour de 30 pour cent, encore plus bas que ceux du président Biden.
De plus, le front dit républicain de la France perpétue la tradition selon laquelle les électeurs et les partis unissent leurs forces pour soutenir quel que soit le candidat à l’extrême droite, il est à l’agonie. Une grande partie de la responsabilité incombe à M. Macron. Lui et ses alliés ont choisi de ne pas soutenir massivement les candidats de gauche contre le Rassemblement national lors des dernières élections législatives, ce qui rend beaucoup moins probable que les électeurs de gauche se tournent cette fois-ci vers les macronistes. Son gouvernement a réprimé les libertés civiles, diffamé les progressistes et adopté un projet de loi sur l’immigration que Mme Le Pen a salué comme une victoire idéologique.
Il semble désormais disposé à accepter la possibilité de remettre les clés du gouvernement à un parti fondé par un ancien officier de section de la Waffen SS et un nostalgique colonial qui a tristement minimisé l’Holocauste. De nombreux électeurs peuvent se demander : à quoi sert un front républicain si le président a déjà décidé que la république peut accueillir l’extrême droite ? Mardi, le chef des Républicains, Eric Ciotti, a semblé trouver une réponse en appelant à une alliance avec le Rassemblement national.
M. Ciotti a été largement réprimandé et expulsé du parti, mais il nage avec la marée. Le Rassemblement national devrait remporter plus de voix que tout autre parti. Outre ses diverses victoires sur le champ de bataille des idées, le parti a montré dimanche qu’il était plus que capable de mobiliser sa base lors d’élections à enjeux élevés. Il pourrait également bénéficier d’une alliance potentielle avec Reconquest, un parti encore plus extrême qui dénonce les ravages du wokisme et adhère ouvertement à la théorie du complot du grand remplacement.
Mais il existe un joker. Alors que la stratégie de M. Macron semblait exclure la possibilité que les quatre grands partis de gauche français unissent leurs forces, ils ont annoncé dans les 24 heures leur intention de le faire. Les partis visent à présenter des candidats uniques dans chaque circonscription législative sous la bannière d’un nouveau Front populaire, un clin d’œil à l’alliance électorale de 1936 forgée dans un contexte de crainte d’une montée du fascisme.
Les dernières élections législatives ont démontré la force de la gauche française lorsqu’elle s’unit. En 2022, une alliance similaire a remporté plus de sièges que le Rassemblement national et a battu la coalition de M. Macron dans de nombreuses circonscriptions. Cette fois-ci, les partis de gauche pourraient également bénéficier de leur opposition plus intransigeante à Mme Le Pen et à M. Bardella. Une forte présence de la gauche pourrait modifier la nature de la campagne. À tout le moins, l’extrême droite ne peut pas s’attendre à une simple procession vers le pouvoir.
En 2017, M. Macron, alors candidat, a annoncé avec audace son intention d’éradiquer la colère qui alimente le soutien au Rassemblement national. Sept ans plus tard, on peut affirmer sans se tromper qu’il a échoué. On se souviendra peut-être de lui pour une raison très différente : non pas comme un opposant de principe à l’extrême droite, mais comme un facilitateur imprudent.